Accueil Édition Abonné Transition hard

Transition hard

Grande enquête sur le "transporno"


Transition hard
Captures d’écran de vidéos publiées sur la plate-forme Hypnotube dédiée aux vidéos « sissy hypno porn ». © D.R

Les militants transgenres ont trouvé un nouvel outil pour promouvoir leur propagande auprès des jeunes, voire des très jeunes : les vidéos porno ! Grâce aux films amateurs et aux plate-formes spécialisées, le porno trans fait un tabac et crée des vocations. Enquête dans la galaxie des catégories de genres.


Comment expliquer l’explosion, depuis dix ans, du nombre de personnes, surtout des adolescents voire des préadolescents, qui veulent changer de sexe ou nient avoir un sexe stable ? De nombreuses causes sont connues – fanatisme idéologique des militants transgenres ou queer (terme qui recouvre aussi les non-binaires), argent des milliardaires sponsors du mouvement, cynisme commercial d’une partie du milieu médical, sans oublier le rôle de la contagion sociale en ligne. On connaît moins l’influence de la pornographie. En effet, l’explosion des candidats à la transition s’est accompagnée d’une expansion tous azimuts de la pornographie transgenre numérique, rendue possible par l’essor sur internet de la pornographie en général, essor qui facilite l’accès à des images érotiques, parfois pour des enfants de moins de 10 ans. Les relations entre le transgenrisme et le porno sont complexes, mais ce dernier a plusieurs fonctions dans le mouvement queer qui sont plus ou moins cachées. Rappelons que la doctrine trans est fondée sur une séparation nette entre l’identité de genre, d’un côté, et le sexe biologique et l’orientation sexuelle de l’autre. Selon la doxa officielle, seul un sentiment intime n’admettant aucune contestation peut déterminer le genre d’un individu. Le désir de transitionner ne peut s’expliquer ni par une influence sociale ni par le plaisir érotique. Publiquement, les militants entretiennent la fiction d’une identité de genre immatérielle, libre de toute manifestation corporelle. En réalité, l’assouvissement de besoins sexuels est partout présent dans l’histoire du transgenrisme, comme le révèlent de nombreux travaux sur les débuts de ce phénomène[1].

Cache-sexe

Le lien entre genre, plaisir érotique et pornographie était bien visible dans les recherches du grand pionnier scientifique de la théorie du genre, John Money (1921-2006). C’est lui qui a forgé le terme d’« orientation sexuelle », vulgarisé celui d’« identité de genre » et promu la pratique de la chirurgie de réattribution sexuelle. Néo-Zélandais émigré aux États-Unis, professeur de pédiatrie et de psychologie médicale à l’université Johns Hopkins, il a conduit une expérience particulièrement cruelle sur des garçons jumeaux en 1966. L’un des deux, David Reimer, ayant perdu son pénis à 22 mois, suite à une circoncision ratée, Money a poussé les parents à consentir à l’ablation de ses testicules et à élever le garçon comme une fille. Plus tard Money a présenté les résultats de son expérience comme un succès, démontrant l’absence d’un lien indéfectible entre sexe biologique et identité de genre. En réalité, David a décidé à 14 ans de vivre comme un garçon. Dépressif toute sa vie, il s’est suicidé en 2004, à l’âge de 38 ans. Non seulement la réputation scientifique de Money était fondée sur un mensonge, mais il a essayé d’influencer l’orientation sexuelle des deux garçons dès 6 ans en les obligeant à regarder des images érotiques et à mimer des actes sexuels. Dans un livre de 1975, il a préconisé l’usage de la pornographie dans l’éducation des enfants prépubères qui, à son avis, auraient aussi gagné à regarder des adultes forniquer. Il fallait que cet ancêtre encombrant soit évacué de la généalogie du transgenrisme, ce qui fut fait par Judith Butler qui se livra à une critique dévastatrice dans Défaire le genre de 2004.

A lire aussi : La fin de l’Europe écolo-woke ?

Vers la même époque, les travaux d’un autre scientifique ont fait l’objet d’une campagne de dénigrement. Dans les années 1980, Ray Blanchard (1941), psychiatre à Toronto, a développé le concept d’« autogynéphilie » afin de catégoriser les trans selon leur orientation sexuelle. Les autogynéphiles étaient des hommes qui trouvaient du plaisir érotique dans l’idée d’être une femme. Ils étaient suffisamment motivés pour s’habiller et se comporter comme une femme et, dans certains cas, pour recourir à une opération de changement de sexe. Les idées de Blanchard ont été vulgarisées dans un livre de 2003, The Man Who Would Be Queen, écrit par le psychologue et généticien comportemental, J. Michael Bailey. Encore une fois, les militants queers se sont employés à torpiller toute notion de lien entre transgenrisme et plaisir sexuel. Dans ce qui représente un modèle de cancel culture avant la lettre, un petit groupe de femmes trans ont lancé une opération en ligne pour discréditer Bailey en tant que chercheur et l’ont même harcelé personnellement, ainsi que sa famille. Le concept d’autogynéphilie proposé par Blanchard a donc été banni du discours scientifique et militant. Désormais, gare à quiconque oserait suggérer que le genre puisse être déterminé par le désir. Ainsi refoulée, la sexualité des trans n’allait pourtant pas tarder à ressurgir sous une forme pornographique.

Entrée des sissies

Aujourd’hui, sous les effets conjugués d’internet et des réseaux sociaux, la pornographie est devenue omniprésente, traversant la plupart des frontières nationales et échappant en grande partie à la régulation. Muni d’un smartphone, vous êtes à trois clics des images les plus hard. Le porno trans, qui a connu une expansion constante à partir des années 1990, décolle après 2014. En 2022, le plus grand site au monde, PornHub, a enregistré une augmentation de 75 % des consultations de cette catégorie. À côté des grandes plateformes et des entreprises spécialisées, le porno trans amateur explose grâce à l’usage de webcams. La production, qui consiste non seulement en vidéos mais aussi en montages de scènes extraites de films pros et en GIF, est publiée non seulement sur YouTube, Facebook, X ou TikTok, mais aussi sur d’autres sites comme OnlyFans, grand hébergeur de contenus érotiques.

D.R

Il y a deux catégories principales de porno trans. La plus ancienne, appelée « transamory » (« amoureux des trans »), vise des hommes hétéros attirés par des corps de femme munis d’un pénis. Des femmes trans y participent souvent pour financer leur transition chirurgicale. L’autre catégorie, montante, est celle du « porno sissy », d’un mot qui veut dire « efféminé » et « froussard ». Elle vise et met en scène des hommes qui rêvent d’être des femmes, de s’habiller et de se comporter comme une bimbo, et d’être humiliés et violés par une dominatrice ou un homme macho. Ce processus s’appelle la « sissification » ou la « féminisation forcée ». Une sous-catégorie, le « sissy hypno porn », sans être véritablement hypnotique, interpelle le spectateur avec des messages qui l’invitent à devenir un sissy et même à faire une transition. Entre conseils de maquillage ou promotions de lingerie, on fait l’article pour des traitements hormonaux. Le site le plus populaire, Hypnotube, a engrangé en 2022 4,8 millions de visiteurs mensuels, résidant dans le monde entier.

A lire aussi : Il faut sauver le soldat Butler

Ce flot torrentiel d’images produit son effet. Des internautes lambda témoignent sur Reddit, le site communautaire de blogs et discussions, de l’influence du porno sissy sur leur changement de genre. Des apologistes du transgenrisme très en vue parlent ouvertement du rôle du porno dans leur vie. Dans son essai Females, publié en 2019 et encensé dans les milieux progressistes, l’Américaine Andrea Long Chu raconte son addiction au porno avant de conclure : « C’est bien le sissy porn qui m’a rendue trans. » Selon elle, cette catégorie réduit la féminité à ses composantes extérieures : « Une bouche ouverte, un trou qui attend, des yeux vides, vides. » En effet, la vision queer exalte et se délecte de l’objectivation la plus misogyne de la féminité, définie par Chu de la façon suivante : « Se faire baiser vous rend femelle, parce être femelle, c’est être baisé. » Dans le lexique des femmes trans, le vagin est déprécié par le terme « trou antérieur » (front hole), tandis que l’anus est qualifié par Chu de « vagin universel par lequel on peut toujours atteindre la féminité ». Toute une production autobiographique et romanesque abonde dans ce sens. Le roman de Torrey Peters, Detransition, Baby, publié en 2021 (et traduit en français), porté aux nues par les critiques, discute de porno trans et d’autogynéphilie. Please Miss (2022), de Grace Lavery traite longuement de porno et de sissification. L’auteur, universitaire à Berkeley, a mis le porno sissy au programme d’un cours sur la « méthode trans ». Les frères Wachowski, qui ont tourné la trilogie Matrix, ont tous les deux transitionné. En 2019, Lilly a révélé que le porno trans a été le déclic qui a « libéré quelque chose dans son cerveau ». Certes, dans tous ces cas, il s’agit de femmes trans, tandis que les candidates à la transition seraient aujourd’hui plus nombreuses que les candidats. Et toutes les trans femmes ne sont pas des addicts au porno. Mais beaucoup le sont, et certaines sont mises en avant comme des modèles. Certains hommes trans comme les anciennes stars du porno Buck Angel et Jiz Lee, se posent en ambassadeurs de l’idéologie queer, mais ce sont les femmes trans qui constituent le fer de lance publicitaire et politique du mouvement. Et leur prosélytisme fait partie d’un vaste effort pour convertir les générations futures à leur mode de vie.

Pédagogie drag

Dans les domaines de la sexologie et de l’éducation sexuelle, la doxa qui règne parmi les spécialistes et façonne les politiques d’institutions comme l’Unesco ou l’OMS est celle du mouvement « sex positif ». Selon ce dernier, né outre-Atlantique dans les années 1980, il faut célébrer la sexualité sous toutes ses formes et commencer l’éducation sexuelle le plus tôt possible. Quelles pratiques sexuelles sont acceptables et qu’est-ce qui peut être enseigné aux enfants à tel ou tel âge ? La doctrine est moins claire là-dessus. La pornographie est valorisée comme outil pédagogique, ce qui convient bien au mouvement trans. Depuis 2014, les activistes encouragent les ados potentiellement LGBT à utiliser le porno en ligne pour explorer à la fois leur sexualité et leur identité de genre. Des études confirment que ces jeunes le font beaucoup plus que leurs contemporains hétéros. En particulier, la plateforme de microblogage Tumblr a été décrite dans le passé comme une « utopie queer ». Si des garçons sont convertis en sissies, il se peut bien que, a contrario, les adolescentes soient révoltées par l’image humiliante de la féminité présentée par le porno et décident d’adopter une identité masculine.

Dans le cadre de la campagne Drag Queen Story Hour (DQSH), des drag-queens animent un atelier dans une école primaire de Chesterland, dans l’Ohio, 1er avril 2023. © Michael Nigro/Pacific Press/Shutterstock/SIPA.

A lire aussi : Le dévoiement du féminisme

Le rôle éducatif du porno trans trouve une extension dans la généralisation des interventions de drag-queens à l’école ou à la télévision, parfois aux frais du contribuable. Bien que leurs performances ne semblent présenter qu’une version édulcorée de la sissification, certaines de leurs prestations – par exemple des danses lascives dignes d’un cabaret érotique – témoignent d’une volonté de repousser les limites. La campagne Drag Queen Story Hour (DQSH), lancée aux États-Unis en 2015 pour rendre les écoles plus « inclusives », fait intervenir des queens pour lire des histoires et animer des ateliers de déguisement et de maquillage. Le modèle a été reproduit dans de nombreux pays. Mais cette façade ludique cache souvent une opération de subversion qui a été théorisée par des universitaires nord-américains. Dans un article publié en 2021 dans une revue de pédagogie, Harper Keenan, un homme trans, et Lil Miss Hot Mess, une drag-queen, figure de proue de DQSH, mais de son vrai nom Harris Kornstein, vendent la mèche. Cherchant à « déstabiliser la fonction normative de l’école », la pédagogie drag ou queer ne vise pas l’intégration des LGBT aux structures sociales existantes, mais la transformation de ces structures. Il ne s’agit pas de faire connaître la vie des personnes LGBT mais d’enseigner comment « vivre de façon queer ». Et si les événements DQSH sont « familiaux », c’est moins parce qu’ils sont adaptés aux familles que parce qu’ils invitent à rejoindre la grande famille des queers, selon un terme argotique utilisé par ces derniers. Ce double langage montre que cette « pédagogie » est en réalité un instrument d’endoctrinement et de recrutement. C’est ainsi que le porno trans, hard ou soft, est devenu omniprésent bien qu’invisible ou méconnaissable. Il propose moins une source de plaisir qu’une force de persuasion. Contre cette dernière, notre société est presque sans défense.


[1] Outre les recherches de l’auteur, cet article est redevable à celles de Beáta Böthe, Heather Brunskell-Evans, Alex Byrne, Alice Dreger, Genevieve Gluck et Christopher Rufo.

Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent L’envers du décor
Article suivant Un balcon sur le temps
est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération