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Il faut sauver le soldat Butler

Le billet de Dominique Labarrière


Il faut sauver le soldat Butler
Judith Butler à Pantin, 3 mars 2024. DR.

Alors que Judith Butler fait scandale en qualifiant l’attaque islamiste du Hamas du 7 octobre d’« acte de résistance », les intellectuels de gauche volent à son secours et dénoncent une fausse polémique.


Ils s’y mettent à soixante. Soixante de ces intellectuels à la française sans qui le dogmatisme rouge-très-rouge ne serait pas tout à fait ce qu’il est, un festival permanent de contre-vérités, de sophismes abracadantesques, de grossières  manipulations, l’ensemble saturé d’une indigence morale crasse et d’une malhonnêteté intellectuelle proprement ébouriffante. 

Soixante noms au bas d’une tribune parue dans Libération[1], là où se rejoignent les pétitionnaires en chambre, les révolutionnaires de campus, bref tous ceux qui appartiennent à ce que Céline appelait « la race des signeurs ».

En l’occurrence, il s’agit de voler au secours de Judith Butler, la philosophe américaine qu’on n’hésite pas à présenter ici comme « la papesse » de la théorie du genre. Nous ayant fait la grâce d’une tournée missionnaire en France, elle n’a pas hésité à qualifier l’attaque des bouchers du Hamas du 7 octobre contre les populations israéliennes d’acte relevant de la « Résistance armée ». Bien sûr, une telle complaisance, la cécité volontaire poussée à un si haut degré ne pouvaient que soulever un fort vent de contestation. C’était pousser le bouchon du déni de réalité tout de même un peu trop loin. D’où la croisade des soixante pour tenter de défendre leur papesse et corriger le tir. On aurait mal compris, n’est-ce pas. Nous nous trompions lourdement, par exemple, en considérant que l’expression « résistance armée » pouvait renvoyer à une référence historique bien présente chez nous, les heures terribles de notre histoire où notre pays était occupé par une puissance étrangère, les hordes nazies. Or, c’est bien ce que, recourant à cette qualification, la papesse en question et avec elle ceux de sa chapelle veulent induire : la sauvagerie du 7 octobre trouverait sa légitimité, sa nécessité et sa gloire dans la lutte contre l’occupation d’une force étrangère plus ou moins assimilable à celle des nazis, le peuple juif. Voilà en effet qui est bel et bien inscrit dans l’esprit de la locutrice et de ses ouailles. « Faux procès !» font mine de s’insurger les soixante. D’ailleurs, avancent-ils, lors d’autres propos, antérieurs, Mme Butler serait allée jusqu’à émettre des réserves sur la méthode employée par le Hamas. Peut-être même l’aurait-elle condamnée. Mais condamner la méthode ce n’est pas la nommer. Ce n’est pas dire clairement ce dont elle relève : de la barbarie, du terrorisme, de la sauvagerie exterminatrice. Oui, exterminatrice. La continuation par d’autres moyens de l’entreprise nazie, justement.

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Les défenseurs nous disent aussi que leur gourou ne cesse de militer pour la paix. Outre qu’on a rarement vu quelqu’un militer tranquillement pour la guerre, cela n’a proprement aucun sens. La ficelle est des plus grosses. Le Hamas lui-même est pour la paix. La condition de cette paix selon lui : l’élimination pure et simple du peuple d’Israël de sa terre. Rien de moins. Avec à la clef, la constitution d’un État islamique de « la rivière (le Jourdain) à la mer ». Cela est sans cesse réaffirmé dans son programme… En attendant de pouvoir pousser plus loin, bien sûr, car cette « résistance armée », si noble, si légitime, ne devra pas s’arrêter en si bonne voie, évidemment. Celle en actes en Israël le 7 octobre et dont se félicitent Mme Bultler et consorts n’est à l’évidence qu’un épisode dans une épopée purificatrice d’une tout autre ampleur. Rayer Israël de la carte du monde ne serait qu’une première victoire ouvrant la voie à ce que cette « résistance armée » vienne à bout, partout où elle existe, de la civilisation occidentale, celle du Blanc honni, coupable de tous les maux, de toutes les oppressions. L’occupant et le dominant à traquer lui aussi partout où il est établi.

L’ironie de l’affaire – ou le côté ubuesque si vous préférez – c’est que, obnubilés par ce but ultime, Mme la papesse et ses thuriféraires se refusent à voir qu’en se rangeant sous la bannière ensanglantée du Hamas, ils entassent eux-mêmes les fagots de leurs futurs bûchers. Ces bûchers où l’islamisme triomphant enverra crever les LGBT+++ et leurs défenseurs, les contempteurs de la domination masculine sur la femme, les adversaires, même discrets, de toute esquisse de visée théocratique. Ainsi, ce n’est pas seulement de soixante noms au bas d’une tribune qu’il est question ici, mais, à y bien regarder, d’une première liste de candidats à cette autre forme de solution régénératrice et finale. Liste établie au nom, bien entendu de « la résistance armée. »


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/laure-murat-annie-ernaux-etienne-balibar-60-intellectuels-denoncent-un-faux-proces-fait-a-judith-butler-20240314_NTHOCHUE3RA7VI72ICKATUKU4A/




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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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