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La chasse aux réacs est ouverte


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© Ludovic MARIN / AFP

Des centaines de signatures d’écrivaillons sévèrement burnés s’opposent dans une pétition à ce que Sylvain Tesson parraine le Printemps des Poètes. Dans cette prose dénuée de poésie, on l’accuse d’être un réac de la pire espèce. Pourtant s’il est un auteur où tout dans l’œuvre et dans sa vie est poésie, romanesque et profondeur de champs, c’est bien lui. L’idéologie sectaire des signataires n’est qu’un prétexte. Ce qui leur fait peur avec Tesson, c’est de souffrir la comparaison.


Le brave citoyen regarde le monde planqué derrière ses persiennes, écoute l’air du temps l’oreille collée aux portes, s’informe par le petit trou de la serrure. Aidé en cela par des journalistes-midinettes, soldats de plomb de la machine politico-médiatique lancée dans l’opération diversion: plus l’on travaille à la fabrique des cons, plus le système tiendra bon. On nourrit le peuple de vulgarité sur les restes de la succession Hallyday, par la découpe à l’abattoir de la carcasse Depardieu, et, aujourd’hui, on le shoote à l’impudeur avec la lente agonie publique d’Alain Delon. Sans jamais l’inciter à revoir l’acteur gagné par la fièvre face à une Girardot brulante dans Rocco, ou éteindre un Ronet incandescent en pleine mer ou dans une piscine. Pas plus qu’au milieu de la polémique, on fera référence à l’infinie délicatesse s’échappant de l’armoire à glace Depardieu chuchotant à Deneuve dans le Dernier Métro: “vous regarder est une joie, une joie et une souffrance.” Autant de plaintes et de déliés en un seul homme ne plaiderait pas la cause, n’alimenterait pas la version “gros dégueulasse”.

A relire: Et si c’était le talent que la gauche reprochait à Sylvain Tesson?

Sylvanothérapie. L’entre-soi du monde de la culture ne va pas changer la donne de la médiocrité ambiante. La pétition a remplacé la lettre anonyme. On se sent pousser des couilles à partir de 300 signatures. A 500 on est des Robocop, des Charles Bronson auxiliaires de justice, des Charles Manson de l’application des peines. La chasse aux réacs est ouverte. La meute a mis à prix la belle gueule cassée de Sylvain Tesson. Wanted dead or alive. Justement, mort ou vif pourrait être le titre d’une bio de Tesson. Mort ou vif, peu importe le talent est là, intact. Il aime la vie à la folie en affranchi d’une mort de dingue. Et le succès veille avec les anges à ce que “les feuilles des arbres brillent comme des tessons de bouteille” (Blondin). Réac, quelle horreur! Et pourtant, comment ne pas l’être quand on a aimé Paris, les bistrots, le ballon de blanc et l’œuf dur du comptoir, nos études Rue Princesse, le master “allons boire un dernier verre à Castres” (Nimier), ses chauffeurs de taxis un brin franchouillard, avec la fine moustache de Noël Roquevert et leur chien couché sur le plaid à carreaux à la place du mort, le Paris des Halles aux Halles et des tapins pour queue dalle… Réac, c’est de la nostalgie à boire comme un trou, à pleurer des Danube, en remontant la rivière d’un saumon échappé d’une fanfare kusturicienne. Au pied de la montagne, difficile d’endiguer la nostalgie, devant la beauté et la puissance minérale qui dépasse les hommes. Au pied du chêne, difficile de ne pas douter de la fiabilité des femmes à préserver l’essentiel… le gland.

“A plus de deux, il n’y a que des bandes de cons” (Brassens). Je ne sais s’il y aura une contre-pétition de soutien à Sylvain Tesson et je m’en bats les œillets. À sa santé je préfère me servir un whisky, allumer un cigare, m’enfoncer dans le canapé à peine remis des frayeurs à suivre sa partie de roulette russe. Une fois son œuvre en montagnes slaves avalée, il m’arrive d’avoir le vertige assis sur le tabouret d’un comptoir. Alors j’auto-pétitionne pour lui dire “les mots des pauvres gens, ne rentre pas trop tard et surtout ne prend pas froid.”


Elisabeth Lévy : « La pétition contre Sylvain Tesson montre une haine de la liberté »


Si haut d’ici-bas

Fuir, fuir la chair, les voix,
Retrouver la matière,
Le verre, la pierre, le bois,
Remonter les rivières

Prendre les chemins de crête,
Là où jaillit la lumière
L’âme s’ouvre à la quête,
L’infini, la prière

Ressentir la puissance,
Le mystère, l’élégance,
La vertu du silence,
Du divin la présence,

Com la bulle de champagne
Remonte à la surface,
Au pied de la montagne
Un vertige le dépasse

Question sans coupon-réponse,
Lumière blanche, bout du tunnel,
Est-ce des phares est-ce l’éternel,
Ou bien la mort qui s’annonce

Pour atteindre le sommet
Laisser à la consigne
Tout ce qui n’est pas digne
De hauteur, d’être nommé.

Devant tant de beauté,
Privilège d’invité
Enfin déconnecté,
Il sent ses larmes monter

Il faut bien redescendre,
Pour ceux qu’on aime être tendre,
Retrouver ses racines,
Ses recettes de cuisine

Seuls les morts peuvent savoir,
Croire en quoi dans l’absence,
Le big bang, le trou noir,
L’ivresse des livres, la science,
L’ivresse de vivre, l’enfance…

Dans l’rétro voir ce qui reste,
Du sexe la beauté du geste,
Pour chaque femme un alcootest,
Seul l’amour d’Eve, d’Everest

Dans l’absence le lâcher prise,
Dans la chute doubler la mise,
En silence panser ses plaies
D’insolence, d’homme fêlé

Si c’est si beau vu d’en-bas,
L’eau de la source, l’homme des bois,
Sans façon il vit com ça,
Sain et sauf et vice-versa…




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Journaliste

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