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Traviata too much

"La Traviata", Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, à l'Opéra Bastille jusqu'au 25 février


Traviata too much
La Traviata 23-24 © Vahid Amanpour - OnP

À l’Opéra Bastille, la relecture contemporaine de La Traviata, et sa mise en scène par Simon Stone, en font beaucoup trop. Dommage.


Salle comble, ovation délirante au tomber de rideau du chef-d’œuvre de Verdi, dans cette production du metteur en scène australien Simon Stone millésimée 2019 dont la reprise l’année suivante avait dû être annulée, vaincue par la pandémie. Ce n’est pas la première transposition contemporaine de l’admirable livret concocté en 1853 par Francesco Maria Piave d’après la pièce tirée par Dumas fils lui-même de son propre roman paru cinq années plus tôt. Il faut se souvenir que Verdi, toujours célibataire à quarante ans, entretient alors la chanteuse Giuseppina Strepponi : le compositeur déjà célébrissime n’épousera sa maîtresse qu’en 1859. Autant dire qu’à l’époque, une telle situation n’était pas sans faire jaser dans le beau monde. En adaptant La Dame aux Camélias, Verdi ne s’aventurait pas tout à fait en terrain vierge…

La Traviata 23-24 © Vahid Amanpour – Opéra national Paris

Éternelle, la figure de la courtisane s’actualise dans des avatars inégalement convaincants, dont la mise en scène de Robert Carsen pour la Fenice, en 2004, reste l’exemple élégant entre tous, et décidément le mieux abouti : Violetta en jet-setteuse se faisant injecter à la seringue, dans le bras, des remontants à haute dose ; Alfredo en paparazzi compulsif ; une jonchée de billets libellés en euros en guise de feuilles mortes tapissant un sol campagnard, au deuxième acte…

Sous les auspices du « jeune » Stone (né en 1984), également acteur et cinéaste, La Traviata – littéralement, « la dévoyée » –  prend chair cette fois sous les traits d’une influenceuse narcissique dont le décor, plateau tournant laisse circuler, sur deux murs perpendiculaires, l’affichage en continu et en taille XXL des échanges Instagram, SMS triviaux agrémentés d’émojis, courriels perso de la Violetta, et jusqu’aux résultats d’analyses médicales forwardés par le labo pour l’avertir que son cancer récidive… Le procédé est assez marrant, avouons-le, et provoque d’ailleurs des éclats de rire clairsemés dans la salle. Sinon que, superposés aux arias chantés en italien (et dont on suit volontiers le sous-titre en traduction sur écran, comme toujours, au-dessus du cadre de scène), ces signatures, rédigées dans un français bas de gamme, morceaux choisis anachroniquement entachés de cette insondable vulgarité puisée sans filtre à l’égout de la « culture » numérique propre au présent siècle, distraient l’attention du spectateur. Au point de polluer, dans une optique somme toute assez racoleuse, le drame poignant qui devrait nous absorber tout entier.

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C’est d’autant plus dommage que cette régie, sur le plan du graphisme visuel comme de la technique des enchaînements, fonctionne de façon ultra efficace – par ailleurs émaillée de jolies trouvailles : telle, reproduite à l’échelle, la statue équestre dorée à l’or fin de Jeanne d’Arc, pareille à celle que l’on peut admirer dans Paris, place des Pyramides, en retrait de la rue de Rivoli, et qui apparaît à plusieurs reprises sur le plateau, comme une allégorie de la sainteté martyre.

Dans le rôle-titre, la soprano Nadine Sierra prend la relève de Pretty Yende (remplacée dans le rôle de Violetta Valery, pour la seule représentation du 25 février, par la soprano russe Kristina Mkhitaryan) tandis que le ténor René Barbera, prenant la suite de Benjamin Bernheim qui l’interprétait déjà fabuleusement en 2019, campe à son tour Alfredo Germont au plus haut niveau. Dans les deux cas, la nouvelle distribution est magnifique : vibrato impeccable, phrasé souverain, virtuosité jusque dans les aigus les plus redoutables. Quant à notre baryton national Ludovic Tézier, il se surpasse dans l’emploi du géniteur Germont, dans une sobriété, une aisance, une apparente facilité confondantes, sa voix d’airain impeccablement projetée, en lien avec une gestuelle parfaite. A côté de ces stars incontournables de la scène lyrique, l’excellente mezzo de la Troupe de l’Opéra de Paris, Marine Chagnon (Flora), la soprano Cassandre Berthon (Annina), ou encore le ténor polonais « maison », Maciej Kwasnikowski… Du grand art sur le plan vocal.  

Reste que, si les lectures contemporaines du répertoire lyrique permettent, dans leur principe, de revivifier à bon escient un patrimoine sinon menacé de sclérose, ce n’est pourtant pas à n’importe quel prix. Et surtout pas au sacrifice du génie intrinsèque de l’œuvre proprement dite. Et là, vraiment, Simon Stone, je te le dis comme je le pense, tu es too much.


La Traviata. Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi (1853). Direction : Giacomo Sagripanti. Mise en scène : Simon Stone. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Nadine Sierra/Pretty Yende, Marine Chagnon, Cassandre Berthon, René Barbera, Ludovic Tézier…
Opéra Bastille, les 23, 27, 30 janvier, 2, 5, 8, 10, 14, 16, 20 février à 19h30, le 25 février à 14h30
Durée : 2h45




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