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Le jour où les députés français ont voté la «préférence nationale»

Loi Immigration : qui perd, gagne ?


Le jour où les députés français ont voté la «préférence nationale»
Sacha Houlié et Gérald Darmanin, Assemblée nationale, 19 décembre 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Non, la loi immigration adoptée hier soir après des dizaines de péripéties n’a rien d’extrême droite.


Après des mois de tractations et de débats, le parlement a finalement adopté une loi immigration et intégration voulue par Emmanuel Macron. Témoignant de la complexité du fonctionnement de nos institutions comme des difficultés inouïes que présentent les tentatives de réformes de la France, l’adoption de cette loi dite Darmanin laissera des traces importantes dans notre vie politique. Elle peut d’ailleurs d’abord être vue comme la démonstration de l’état de mort cérébrale dans laquelle est plongée la Vème République, système de plus en plus anachronique et illibéral au premier sens du terme. Au-delà de ces blocages institutionnels permanents, il est manifeste que le décalage entre l’opinion publique et la classe politico-médiatique n’a jamais été aussi grand.

Une opinion française radicalisée sur l’immigration

Ainsi le sondage Ifop de septembre 2023 témoignant du regard des Français sur l’immigration montrait qu’une très large majorité des Français, de droite comme de gauche du reste, souhaitaient que les politiques migratoires soient beaucoup plus fermes. Ils étaient 86% à se déclarer favorables à l’expulsion des « délinquants étrangers à l’issue de leur peine de prison » et 80% à vouloir « supprimer ou du moins limiter la délivrance de visas aux pays qui ne récupèrent pas leurs citoyens entrés illégalement en France et ayant l’obligation de quitter le territoire (OQTF) ».

Sur des sujets plus clivants encore, comme celui de la fin de « la libre circulation dans l’espace Schengen des immigrés qui se sont vu refuser une demande de visa dans un des pays membre » ou de la suppression des accords bilatéraux de 1968 signés avec l’Algérie, ils étaient respectivement 74% et 67% à s’y dire prêts. Pis, 72% des Français étaient d’accord avec la suppression de l’Aide médicale d’Etat. Au contraire, seuls 30% d’entre eux déclaraient qu’il fallait augmenter les « dépenses publiques pour favoriser l’intégration des immigrés ».

Emmanuel Macron ne pouvant ignorer la réalité de l’opinion publique, il savait qu’il devait faire de l’immigration l’un de ses chantiers prioritaires. Et pourtant que ce fut dur pour le gouvernement qui s’est retrouvé une fois de plus attaqué par les élus de sa propre majorité, la fameuse « aile gauche » subsistante. De la même manière qu’en 2018, au moment de l’examen de la Loi Collomb, des élus venus des rangs du Parti socialiste tué par Emmanuel Macron ont considéré qu’il était leur devoir de détricoter méthodiquement les mesures envisagées par le Sénat pour proposer un texte allégé. Une version dépouillée qui n’a pourtant pas convaincu Sacha Houlié, président de la Commission des Lois, qui n’a cessé de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement, confirmant d’ailleurs son vote hier aux côtés de 67 autres députés de la majorité, soutenus par sept ministres ayant annoncé qu’ils démissionneraient si la loi immigration issue de la commission mixte paritaire était adoptée.

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Après le vote de la motion de rejet qui a renvoyé le texte au Sénat, votée par une alliance de circonstance allant de la Nupes au RN en passant par le groupe LR, Sacha Houlié s’était d’ailleurs montré dépité : « Nous avions fait un travail qui était susceptible de convenir à tous et d’abord à ceux qui ont en besoin, c’est-à-dire les Français. Ils veulent rétablir le texte du Sénat. On rappelle que le texte du Sénat c’est la suppression de l’AME [Aide médicale d’Etat], la suppression du droit du sol et puis toute une série de mesures extrêmement dures ». Il avait, à l’image de Delphine Batho, compris que la gauche s’était piégée avec sa motion de rejet, ne comprenant ni les nouveaux équilibres parlementaires ni la radicalisation progressive de la société sur ce sujet. Mais prenons le problème à l’envers : par son radicalisme immigrationniste, ne serait-ce pas l’aile gauche du macronisme qui a offert une victoire à la droite en trahissant le texte du Sénat ?

Un gouvernement illisible obsédé par le Rassemblement national

Le gouvernement a eu une attitude incompréhensible ces derniers jours. Songeons qu’en l’espace de quelques semaines, Gérald Darmanin a pu accuser les Républicains de vouloir « régulariser des clandestins » s’ils votaient la motion de rejet en première lecture, puis a hier soir moqué les élus du Rassemblement national de vouloir régulariser ces mêmes clandestins en votant son texte. Gérald Darmanin a la colonne vertébrale d’un ver de terre, capable de toutes les pirouettes politiciennes pour se maintenir en vie. Il est à l’image d’un exécutif fier de faire voter une loi dont il annonce à l’avance que certaines des dispositions qu’elle contient seront jugées en non-conformité avec les normes supérieures par le Conseil Constitutionnel.

Où a-t-on vu jouer pareille comédie dans une démocratie libérale ? Dans un message adressé par un de ses proches, Emmanuel Macron a ainsi fait savoir qu’il comptait lui-même saisir lui-même le Conseil constitutionnel et «retirer» certaines des concessions faites à la droite. Trois dispositions sont notamment susceptibles d’être barrées par les « Sages » : les quotas pluriannuels votés par le parlement, le rétablissement du délit de séjour irrégulier puni par une amende, et le resserrement du regroupement familial ! Emmanuel Macron a donc probablement obtenu au forceps les voix manquantes du Modem en expliquant à François Bayrou que le parlement ne comptait pas puisqu’il lui suffisait d’ordonner à l’EPHAD de la rue de Montpensier de dépouiller sa propre loi de ses éléments les plus novateurs.

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Accusé de jouer un « coup politique », le Rassemblement national s’est pourtant contenté de voter un texte considéré par ses députés comme un moindre mal bien qu’encore largement insuffisant. En cela, Marine Le Pen a tout simplement joué le jeu parlementaire d’une démocratie. Elle a d’ailleurs été victorieuse sans forcer, s’imposant comme une force incontournable dans un scénario grotesque où le président de la République a affirmé qu’il refuserait de promulguer sa loi si elle était votée avec les voix des élus du Rassemblement national. Une démarche inédite qui n’a rien à envier à celle d’un régime autoritaire, les représentants de la nation ne représentant pas leur parti mais les Français dans leur ensemble.

Nous reviendrons sur le fond du projet ces prochains jours, mais il n’est clairement pas « d’extrême-droite » comme veulent le faire croire différentes personnalités médiatiques. Le délit de séjour irrégulier entrainera désormais une amende de 3500 euros d’amende, la belle affaire. Afin d’exécuter les OQTF, sujet épineux, 44 millions d’euros seront débloqués. Bref, rien de nature à changer significativement la situation. Au fond, la gauche s’indigne du rétablissement de dispositions qui furent longtemps la norme et qu’elle a supprimées quand elle était au pouvoir. Elle n’a aucune volonté de contrôler l’immigration comme le font tous les pays du monde, elle veut ouvrir la France en grand. Elle ne distingue pas le citoyen du non-citoyen. La préférence nationale qui l’horripile est pourtant consubstantielle au fait républicain. Qu’est-ce qui peut justifier moralement qu’un étranger bénéficie d’aides sociales avant même d’avoir jamais contribué à la solidarité nationale ? Sur le plan moral, rien. Le gouvernement est plus isolé que jamais. Rejeté par la droite qui voit dans son attitude de la faiblesse et de la versatilité, il est aussi considéré comme d’extrême-droite par une gauche qui se raidit à mesure que la population française s’éloigne de ses idées internationalistes. Grand perdant, Gérald Darmanin aura appris qu’on ne peut plus faire de politique politicienne uniquement basée sur la communication quand un gouvernement n’a pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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