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Misères françaises

"Histoire intime de la Vᵉ République: Tragédie française" de Franz-Olivier Giesberg (Gallimard, 2023)


Misères françaises
Le journaliste franco-américain Franz-Olivier Giesbert © BALTEL/SIPA

Avec une alacre impertinence, FOG nous conte les splendeurs et misères d’un pays, dans le troisième tome de son Histoire intime de la Ve République, « Tragédie française ». Si les Français ont assisté, depuis les années Mitterrand, à l’avènement du tout-pour-ma-gueule et aux terribles effets secondaires de la créolisation, ils ne doivent pas (complètement) désespérer.


Après nous avoir raconté les splendeurs de la France, Franz-Olivier Giesbert nous fait maintenant le récit de ses misères. Le premier volet de sa trilogie, Histoire Intime de la Ve République, intitulé Le Sursaut, relatait le redressement de la France par le général de Gaulle, en 1958. Dans La Belle Époque, deuxième opus, on a suivi la continuation du gaullisme sous Pompidou et Giscard, jusqu’aux chocs pétroliers de 1973 et 1979.

Chronique d’un abaissement continu

Voici le troisième tome, Tragédie Française, consacré aux décennies suivantes, celles de la débâcle, de l’affaissement continu d’un pays qu’on a laissé s’enfoncer sans en maîtriser ni les comptes publics ni les flux migratoires. La narration, documentée par les carnets et le Journal que l’auteur tint au fil des ans, rend compte au plus près de « ce temps de faux espoirs et de vraies ruptures, dans un va-et-vient entre nos perceptions d’alors et notre regard d’aujourd’hui. » La faillite exposée, inexorable, est orchestrée par sept « démolisseurs » : Mitterrand, Chirac, Balladur, Jospin, Sarkozy, Hollande et Macron. « La France en est là pour des raisons de toutes sortes, dont la moindre n’est pas l’impéritie d’au moins sept chevaliers du déclin, promus connétables, dont il aurait fallu traduire certains devant un tribunal de commerce des gouvernants défaillants ». On a là un document riche, précis, plaisant à lire : galerie de portraits, anecdotes et analyses s’emboîtent harmonieusement pour donner à voir une époque, en restituer l’atmosphère et dévoiler les coulisses du pouvoir.

L’ancien patron du Point a côtoyé de près les artisans de la dégringolade : il a vu Mitterrand et ses successeurs manipuler, douter, mentir, affirmer sans vergogne, se rétracter, lutter, rebrousser chemin, perdre, se perdre et par la même occasion, nous perdre. Il sait donc de quoi il parle quand, avec une alacre impertinence, il conte cette descente aux enfers française qui se fait dans la célébration hallucinée et frénétique d’un illusoire « vivre-ensemble ». Retraite à 60 ans, 35 heures, nationalisations, immigration incontrôlée, ghettos communautaires qu’on a laissé s’installer, montée de l’antisémitisme, recul de la laïcité, saccage de l’école : des années 80, si légères, aux années Macron, la machine s’est emballée, valse endiablée et vertige absolu.

Les effets secondaires de la créolisation

Tout avait démarré dans l’euphorie : on a voté socialiste, on s’est métissé, on a revendiqué des droits, on a dansé à la Bastille, on a entonné en chœur « l’Aziza ». Qu’importe si « le foulard » s’est montré au collège, on s’est voilé la face. Les années Chirac ont filé. Déjà Sarkozy puis, Hollande… Voici maintenant le « prince de l’évitement », Macron. Avec « le sourire du serveur de bar à volonté », il nous fait boire le bouillon jusqu’à plus soif. Nous sommes sur une piste de bobsleigh, mais c’est moins drôle que dans Rasta Rockett. Franz-Olivier Giesbert relate sans concessions cette glissade ininterrompue parce qu’il pense comme Péguy, qu’il cite en exergue à l’un de ses chapitres : « Celui qui ne gueule pas la vérité lorsqu’il la connaît se fait complice des menteurs et des faussaires ! »

C’est aussi le La Bruyère des Caractères mâtiné du Jean Cau de Croquis de mémoire qu’on retrouve dans Tragédie française alors que Giesbert évoque les artisans du désastre. Voici Balladur : « Comme Mitterrand, le nouveau Premier ministre est double. C’est une poule qui se prend pour un renard. C’est aussi un rondouillard qui est très svelte, avec un nez finement sculpté, et qui n’a pas de ventre mais qui le porte délicatement sous son menton (…) Il a toujours le teint rose d’un bébé qui sort du bain. Tout luit chez cet homme, le visage, les mains, les oreilles. Ses mocassins à pompons brillent comme des soleils » Lang, encore fringant – on a pu le voir dimanche en tête de la Marche pour la paix organisée par le show-biz et la culture – est « un mélange de lion, pieuvre, mille-pattes et chien de chasse. Sans oublier le célèbre sparadrap du capitaine Haddock. Impossible de s’en débarrasser. » « Sous Fabius, perce déjà Macron. Il préfigure les gouapes de la génération du Tout-Pour-Ma-Gueule. Pas d’affect ni de scrupule, le même amour effréné de soi, la même absence de convictions, la même aptitude à affirmer, avec componction, une chose et son contraire (…) »

La France finira bien par se réveiller

Franz-Olivier Giesbert, qui a travaillé au Nouvel Observateur, au Figaro, puis au Point, ne se prive pas non plus d’égratigner au passage la gent journalistique : « Il y a trois façons de pratiquer notre métier : debout, assis ou couché. Le tout est de changer de position. Se mettre à plat ventre est la règle au début des présidences, quand il faut applaudir à tout bout de champ. Ensuite, vous pouvez vous relever puis vous asseoir. À la fin, lorsque les cloches égrènent les dernières notes du glas, il est temps de redresser complètement l’échine (…) » C’est enfin Le Monde et ses lecteurs qui en prennent pour leur grade : « Le bourgeois ne veut pas d’ennuis. C’est pourquoi il se dit de gauche ou, mieux d’extrême gauche. Le Monde lui donne chaque jour les « analyses » qui collent à son personnage et qu’il se croit obligé de clamer plus ou moins fort comme une récitation (…) Pour donner l’illusion d’être intelligent ou informé, il lui suffit de reprendre avec un air pénétré les oracles du journal. »

Pourtant, ne prenons pas Giesbert pour un pessimiste désespérant, un réactionnaire désabusé ou un pisse-vinaigre qui se complairait dans la seule peinture d’un irréversible désastre. Il aime bien trop la vie et l’amour, Giesbert, les chansons populaires et le vin, la littérature et les paysages de France auxquels il rend hommage dans son récit pour ne pas croire en l’éternel retour des jours cléments. « Elle est belle, la France, et la beauté ne meurt jamais. » « Quand elle aura touché le fond, la France se réveillera, qui a passé son temps à mourir pour renaître ensuite. » Nous en acceptons l’augure. Puisse cette lecture salvatrice contribuer à déclencher le sursaut collectif qui nous sortira les naseaux de la boue.

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est professeur de Lettres modernes

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