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À un moment, il faut que ça tranche…

Une France réduite aux aguets?


À un moment, il faut que ça tranche…
Palais de l'Elysée, 19 juillet 2023 © Yoan Valat/AP/SIPA

Après une étrange et sadique garden-party, à l’Élysée, le 18 juillet, où tous les ministres étaient à la fois invités et en sursis, Emmanuel Macron n’aura pas de mal à faire passer le remaniement ministériel pour un ajustement technique sans importance – tant les Français trouvent ce jeu de chaises musicales sans intérêt. Chronique de notre vie politique nationale, et d’une France réduite aux aguets.


On peut tout dire de notre vie nationale depuis la réélection d’Emmanuel Macron et la majorité relative à l’Assemblée nationale sauf qu’elle est épique. Au contraire, terriblement ordinaire. Alain Peyrefitte avait théorisé « La Société de confiance » (publié en 1995 chez Odile Jacob). Il me semble qu’on n’en a jamais été plus loin. La déconnexion entre le peuple et le pouvoir, dont j’admets qu’elle relève, au fil des périodes, d’une sorte de banalité, est plus nette et dévastatrice que jamais, au cours des débuts de ce second mandat présidentiel. Comme la promesse de rassemblement faite en 2017 et renouvelée en 2022 a été totalement trahie.

Singularité délétère

Parce que probablement nous avions toujours échappé à une personnalité affichant de manière aussi ostentatoire son désintérêt de l’opinion même fortement majoritaire des Français sur des sujets et des choix dont elle considère qu’ils se rapportent à son domaine réservé. Emmanuel Macron ne fait même pas semblant d’être le président de tous. Il a trouvé le moyen d’inspirer une vive défiance aux forces régaliennes largement entendues qui bénéficiaient traditionnellement du soutien de ses prédécesseurs. Parce que leur souci était moins de se distinguer que de stabiliser et d’apaiser le pays. La police aura pu le vérifier avec son propos initial sur la mort de Nahel et sa réponse fausse – contrairement à ce qu’il a affirmé, il visait cette seule affaire et ne parlait pas en général – à Matthieu Valet lors du 14 juillet.


On a eu encore eu un exemple de cette singularité délétère avec le sadisme festif de la soirée du 18 juillet à l’Elysée : « Amer dîner pour ministres en sursis » après la confirmation minimaliste de la Première ministre : pour quelques ministres il était clair que ce buffet serait sans doute le dernier ! Comme le président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, Laurent Marcangeli, a raison de protester : « On peut finir par croire qu’Emmanuel Macron prend un malin plaisir à ces moments d’attente… À un moment il faut que ça tranche ». Imagine-t-on le général de Gaulle qui n’aspirait qu’à de l’épopée et que les Français décevaient parce qu’ils y étaient allergiques, « des veaux » selon lui, pratiquer ces mondanités à la fois ridicules et honteuses à la place de confirmations ou d’exclusions clairement signifiées, sans la moindre équivoque ? Loin de l’épopée, cette conception élyséenne tourne au vaudeville. Les mots servent de baume. Le réel est euphémisé. Pas de remaniement mais des ajustements ! Cela va mal mais ça va bien !

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Le pire est que par contagion l’ensemble des processus politiques semble atteint, gangrené et qu’en effet une France de méfiance, aux aguets, quasiment caricaturale dans ses dérives, ses ambitions cachées, ses haines et sa « cuisine », a pris la place de ce qu’on aurait pu espérer : un pays d’allure, de grands espaces et de haute vision. Emmanuel Macron concocte ses petits plats au lieu de nous préparer le grand dîner du futur. La lutte des personnes s’est substituée à la recherche d’un destin collectif.

De quoi rire. LFI s’est assignée pour mission de contrôler le RN en vérifiant si les propos de ses députés ne sont pas « trop trash » en commission : Thomas Portes qui a été un modèle d’élégance républicaine est notamment à la manœuvre !

Venons-en aux choses sérieuses…

Emmanuel Macron n’aime pas Elisabeth Borne mais la maintient. Edouard Philippe lui déplaît, trop libre, trop indépendant, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire ont trop d’ambition – ils font comme s’il n’était déjà plus là ! -, heureusement il y a Jean Castex avec lequel il s’est toujours bien entendu et qui ne lui a jamais manqué. Pour 2027, il pourrait être le bon candidat… Edouard Philippe joue un jeu subtil, loyal mais juste ce qu’il faut, opposant mais doucement, avec la dent dure en aparté ; il n’a rien oublié et se réjouit – il est étranger au narcissisme – de la condescendance de ceux qui l’ont maltraité et ont abusé d’inélégance sur son apparence : je suis persuadé qu’il sera dans la course. Bruno Le Maire fera moins de propositions, en 2027, que lors de sa malheureuse primaire mais il répète tellement qu’il adore sa fonction ministérielle qu’on sait qu’il ne pense qu’à la suite… Gabriel Attal jouit de son talent et accepte de retarder un tantinet l’expression de son dessein suprême : président. Trop tôt. Mais il ne sera pas en retard.

Eric Ciotti s’obstine à vendre Laurent Wauquiez pour la future élection présidentielle mais ce dernier n’a pas l’air de comprendre qu’il doit tout de même participer à l’action et ne pas avoir le dos tourné à chaque fois que le parti a besoin de lui… Nicolas Sarkozy a trahi LR mais il n’est pas gêné : il donne des leçons comme s’il finissait par croire au personnage de sage qu’on s’acharne à fabriquer pour lui et qui ne lui va pas du tout. Jordan Bardella piaffe et sait qu’il est meilleur que Marine Le Pen mais il a le temps. Elle échouera en 2027 et il sera en lice en 2032. Marion Maréchal a pris conscience qu’elle s’était fourvoyée en quittant trop vite le RN mais elle aussi est confiante pour 2032 : Eric Zemmour a tout donné mais il restera comme la preuve éclatante qu’en démocratie on a le droit de tout penser mais qu’il ne faut surtout pas tout dire.

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Jean-Luc Mélenchon se persuade que ses foucades, ses orages et ses outrances n’entraveront pas le futur qu’il continue à se concéder, généreux avec lui-même, grâce à son verbe et à son aura (de plus en plus ébréchée, il est vrai). Mais il oublie que derrière la façade, il y a des appétits, des ambitions, des envies de profanation, des intuitions plus lumineuses que les siennes, qu’il y a notamment François Ruffin qui ne gagnera jamais une élection présidentielle mais pourra lui boucher l’accès pour 2027… Olivier Faure, doué pour le « paquito » certes restera Olivier Faure : par électoralisme il a accepté la Nupes mais tué le socialisme. Il n’a plus qu’un dessein : briser net l’élan apparemment poussif de Bernard Cazeneuve. Fabien Roussel est trop lucide pour ne pas deviner qu’il ne pourra compter que sur sa personnalité empathique et chaleureuse, mais pas sur le communisme, le présent n’ayant pas encore fait totalement oublier le passé.

J’ai à peine exagéré en schématisant ainsi la vie politique, en la simplifiant, tel un jeu de rôles. En la réduisant à une France aux aguets. Je vais finir par comprendre ceux qui, révolutionnaires, anarchistes, conservateurs, citoyens déçus ou exaspérés, ne veulent plus entendre parler de cette politique. Les uns la fuient et la dévoient, les autres ne votent plus. Pour ma part je résisterai toujours à la tentation de la violence, de la dérision ou de l’abstention. Être un citoyen (aussi imparfait qu’on soit) est une chance et un honneur.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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