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Un cavalier pas toujours très à cheval sur les principes

Silvio Berlusconi (1936-2023)


Un cavalier pas toujours très à cheval sur les principes
Silvio Berlusconi, Rome, 2013 © MARIANELLA MARCO/OLYMPIA/SIPA

L’Italie pleure la disparition de Silvio Berlusconi, qui fut un réformateur libéral et patriote. Une journée de deuil national est décrétée pour l’homme qui détient le record de longévité à la tête du Conseil des ministres.


La disparition de Berlusconi tourne une page de l’Italie. Pour bien comprendre ce qu’il a représenté et continuera de représenter pour les Italiens, il faut comprendre d’où il venait et qui il était ; et se rappeler ce qu’était l’Italie lorsqu’il se lança en politique en 1994.

Berlusconi vient d’une famille de la classe moyenne bourgeoise milanaise. Rien ne le prédestinait à devenir un grand homme d’affaires.  Pourtant, après des études de Droit, il se lança dans l’immobilier. Via sa holding Fininvest, il bâtit un empire dans le secteur de la promotion immobilière puis, dans les années 80, grâce notamment à l’appui de son ami Bettino Craxi, dirigeant du Parti Socialiste italien (PSI) et président du conseil de 1983 à 1987, l’étendit au monde des médias.

Trois ans après la chute du mur de Berlin, en 1992, arriva l’opération « mains propres ». L’Italie sortait de 47 ans d’une vie politique sclérosée où, sur fond de guerre froide, s’opposaient deux blocs politiques; l’un ancré dans la démocratie chrétienne conduite par Andreotti, l’autre, le parti communiste, qui, esseulé, miné par les attentats commis par les brigades rouges, n’était jamais arrivé au pouvoir, d’autre part. En 1992, l’opération « mains propres », conduite par une équipe de magistrats milanais, révéla un vaste système de pots-de-vin, spécialement dans le domaine des appels d’offres. Une grande partie de la classe politique de l’époque fut décimée. Parmi eux, Bettino Craxi, le dirigeant charismatique du Parti Socialiste Italien (PSI) qui, pour éviter d’aller en prison, s’enfuit en Tunisie où il mourut en 2000.

1994: le séïsme Forza Italia

Berlusconi décida alors de faire son entrée dans l’arène politique. C’est son succès d’homme issu de l’Italie moyenne, combiné au dégoût que la classe dirigeante classique inspira aux Italiens suite aux révélations de corruption dans le cadre de l’opération « mains propres » en 1992, qui séduisit et convainquit nombre d’entre eux de voter pour son nouveau parti, Forza Italia. En 1994, puis en 2004 et encore en 2008, Berlusconi fut Président du Conseil italien pour une durée totale de 9 ans 1 mois et 20 jours. Jamais, depuis la guerre, une personne n’avait occupé cette fonction aussi longtemps en Italie.

Que l’on se reconnaisse dans ses idées ou non, il est indéniable que Berlusconi contribua à assouplir les mœurs dans un pays jusqu’alors cadenassé entre la rigueur des chrétiens-démocrates et l’austérité du communisme italien.

Sa politique fut résolument atlantiste, libérale sur le plan social-économique et pro européenne.

Atlantiste, il le fut lorsqu’il soutint l’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis. Atlantiste, il le fut aussi lorsque l’administration Obama demanda à l’Europe de soutenir davantage la mission de l’OTAN en Afghanistan, le gouvernement Berlusconi augmentant le contingent italien d’un millier de soldats, plus que n’importe quelle autre nation européenne. Cela n’empêcha pas Berlusconi, à l’instar de certains dirigeants français, de s’être échiné pour que l’Italie soit une tête de pont entre l’Europe et la Russie. Son amitié avec Poutine – qui, à la lumière de la guerre en Ukraine, jette un véritable malaise même parmi ceux qui l’ont soutenue – est bien connue.

Sur le plan social, le gouvernement de Berlusconi de 2003 adopta la loi Biagi, du nom de son promoteur, assassiné par les brigades rouges en 2002. Entre autres, cette loi rendit les licenciements plus flexibles et facilita le recrutement de personnes dites « défavorisées », parmi lesquelles les femmes, celles-ci ayant la possibilité de bénéficier lors de l’embauche, de contrats d’insertion d’une réduction égale ou supérieure à 25 % des cotisations de sécurité sociale et de prévoyance à la charge de l’employeur.

A lire ensuite, Thomas Morales: Les Italiens du quai de Conti

Sur le plan économique, les gouvernements de Berlusconi sont à l’origine d’importantes réformes. La réforme Maroni de 2004 institua un système d’incitations pour les personnes reportant leur départ à la retraite, celles qui choisissent le report pouvant ainsi bénéficier d’un super bonus consistant en un versement, dans le paquet de paie, des cotisations de sécurité sociale qui auraient autrement été payées à l’institution de sécurité sociale. La loi Maroni augmenta aussi l’âge de la retraite : tout en laissant inchangée la condition de cotisation de minimum 35 ans, elle modifia l’âge minimum d’accès de départ à la retraite, la faisant passer de 57 à 60 ans à partir de 2008, à 61 ans à partir de 2010 et à 62 ans à partir de 2014.

Le gouvernement Berlusconi de 2001 abrogea les droits de succession (réintroduits, depuis).

En 2008, son gouvernement de l’époque supprima la taxe communale d’habitation pour la résidence principale.

J’ai vu choir un gominé

La carrière de Berlusconi fut aussi émaillée de scandales (les fameux Bunga-bunga), de poursuites judiciaires et de lois ad personam (telle que la loi dépénalisant les faux bilans). Il convient tout de même de préciser que parmi toutes les poursuites dont il fit l’objet, Berlusconi ne fut condamné qu’une seule fois définitivement par la Cour de cassation italienne, pour fraude fiscale. Cela lui valut de faire des travaux d’intérêt général.

Ce dernier point peut conduire un Français à établir un parallèle avec Bernard Tapie (surtout si l’on compare le Milan AC et l’OM). Pourtant, ce parallèle ne peut être que très partiel : car au contraire d’un Tapie dont le français était basé sur la gouaille, Berlusconi s’exprimait dans un excellent italien, plus proche du français d’un Balladur.

De gauche à droite : Silvio Berlusconi, Giorgia Meloni, Matteo Salvini, 27 juillet 2022. © Luigi Mistrulli/SIPA

Si d’aucuns pensent qu’il n’est entré en politique que pour se protéger de poursuites judiciaires dont il se savait la cible, il est indéniable qu’il cultivait aussi une véritable fibre patriotique pour son pays. Lui qui fut le président du grand Milan AC, il regrettait qu’il y eût trop de joueurs étrangers dans le championnat de football italien.

Enfin, Berlusconi fut résolument Européen. C’est grâce à Berlusconi que la coalition de centre-droit actuellement au gouvernement a pris une orientation européenne : il a œuvré en coulisses depuis plus de 10 ans pour faire accepter à la Ligue et à Fratelli d’Italia que, malgré les défauts de la construction de l’Union européenne, le destin de l’Italie est en Europe et pas ailleurs.

La disparition de Berlusconi devrait à présent rebattre les cartes de la politique italienne, le parti qu’il a fondé, Forza Italia, étant menacé d’implosion. L’ombre de Berlusconi continuera donc de s’étendre dans les prochaines semaines dans les hémicycles de la chambre des députés et du Sénat italiens. Jusqu’à faire tomber le gouvernement Meloni?



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