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Charles Senard: la sagesse éternelle d’Épicure

Charles Senard parvient à nous mettre sur la voie de ce bonheur, apparu en Europe il y a 2500 ans.


Charles Senard: la sagesse éternelle d’Épicure
Charles Senard / Capture d'écran YouTube d'une vidéo du 12/10/17 de la chaine Micheline Bourque club de lecture Affaires

Il y a toujours eu beaucoup de préjugés à propos de la philosophie d’Épicure. Notre époque a cru y trouver une justification facile à ses penchants vulgaires. En réalité, l’épicurisme est une véritable sagesse, née en Grèce au IVe siècle avant J.-C. Dans un essai très abordable, Charles Senard met cette philosophie de la vie à la portée de tous.


Dans l’aphorisme n° 45 du Gai Savoir, Nietzsche en décrivait son approche de manière très personnelle, comme d’une pensée au-delà même de toute philosophie : « Oui, disait-il, je suis fier de sentir le caractère d’Épicure autrement que n’importe qui peut-être, et dans tout ce qu’il m’est donné d’entendre ou de lire, de jouir du bonheur vespéral de l’antiquité… » Et Nietzsche concluait avec ce jugement clé : « il n’y eut jamais auparavant pareille modestie de la volupté ».

Humilité retrouvée

Le récent ouvrage de Charles Senard a le grand mérite de bâtir sa réflexion sur l’épicurisme au fil de cette humilité retrouvée. L’auteur, docteur en études latines, nous parle bien sûr un peu d’Épicure, le fondateur de l’École, mais aussi et surtout de ses continuateurs latins, en particulier les poètes Horace et Lucrèce. Le titre qu’il donne à son essai, Carpe diem, est une expression célèbre que l’on doit à Horace. Carpe diem voudrait dire « cueille le jour » ; mais attention, nous précise Senard, ce « n’est pas une invitation à goûter les plaisirs de la vie ». Il explique en effet : « Il s’agit d’autre chose : du rapport avec le temps, de l’angoisse du futur… » C’est que, fondamentalement, les épicuriens essaient de détourner d’eux la peur de la finitude, tel Épicure lui-même qui, dans un passage fameux de sa Lettre à Ménécée, affirmait que la mort n’a aucun rapport avec la vie.

Charles Senard insiste bien sur la place privilégiée que tient la sobriété dans la philosophie épicurienne. Les mots «frugalité» et «prudence» sont aussi de mise, avec elle. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui font que cette pensée trouve aujourd’hui encore un écho particulier chez beaucoup d’esprits : « L’idéal épicurien, écrit Charles Senard, consistant à vivre simplement, dans la sobriété heureuse, chère à feu Pierre Rabhi, entre en résonance avec les aspirations de notre société, sinon avec ses pratiques ».  Il y a là une défense et illustration de l’humilité, ou plus précisément de la « pauvreté », comme souverain bien. Senard cite ainsi le stoïcien Sénèque qui ne dédaignait pas certaines leçons apprises chez les épicuriens, et qui recommandait à Lucilius : « Commence à lier commerce avec la pauvreté ».

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Le docte loisir

Épicure conseillait de vivre caché. Et Horace notait, dans ses Odes, qu’« on mène avec peu de choses une vie heureuse ». Horace vivait retiré à la campagne, et, lorsqu’il n’y recevait pas ses amis, s’adonnait au « docte loisir » (l’otium), c’est-à-dire à l’étude de la connaissance, « qui a, pour les épicuriens, une finalité éthique, écrit Senard : c’est elle qui permet, en particulier, de ne plus craindre la mort ». Horace était très attaché à ce retrait du monde. Lorsque l’empereur Auguste lui proposa le poste de secrétaire particulier, Horace refusa, « soucieux de sauvegarder sa liberté quotidienne et privée ».

Pour autant, les épicuriens ne sont pas renfermés sur eux-mêmes. La sociabilité joue pour eux un grand rôle ‒ déjà pour Épicure, qui recevait ses élèves dans un Jardin. Son biographe, Diogène Laërce, le précise : « D’une manière générale, son amour de l’humanité s’adressait à tous ». L’amitié, en particulier, tenait chez les épicuriens une place essentielle. Elle était pour eux un plaisir à la fois naturel et nécessaire. On connaît les liens étroits qui se nouèrent entre Horace et son protecteur Mécène, une belle amitié (amicitia en latin) dont Charles Senard analyse les tenants et aboutissants.

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La voie du bonheur

On comprend alors mieux peut-être ce que Nietzsche entendait par l’expression que j’ai rapportée au début : « il n’y eut jamais auparavant pareille modestie de la volupté ». Un Nietzsche qui écrivait également d’Épicure : « Pareil bonheur, seul quelqu’un qui souffre sans cesse a pu l’inventer… » Charles Senard, sans bien sûr vouloir être Nietzsche, parvient, grâce à son goût communicatif de l’érudition, à nous mettre sur la voie de ce bonheur, apparu en Europe il y a 2500 ans. Il sait, à travers les textes qu’il cite, nous en faire aimer la saveur primordiale et inoubliable, le mystère définitif. 

Charles Senard, Carpe diem. Petite initiation à la sagesse épicurienne, Les Belles Lettres, 2022, 138 pages, 19 €.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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