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«Sel», de Jussi Adler Olsen: la neuvième enquête du Département V

Un roman noir venu du nord (un de plus !)


«Sel», de Jussi Adler Olsen: la neuvième enquête du Département V
L'écrivain danois Jussi Adler-Olsen photographié en 2012 © ANDERSEN ULF/SIPA

Quels sont les ressorts de notre intérêt pour ces « affaires classées », désormais appelées « cold cases » ? Peut-être, dit notre chroniqueur, notre horreur des histoires non finies…


J’avais dix ans quand j’ai découvert, en Livre de poche, les deux volumes du « Service des Affaires classées », une série de nouvelles policières qui venaient d’être traduites mais que leur auteur, Roy Vickers, avait inaugurées dès 1934. Le romancier intitulait cela The Departement of Dead Ends, on ne parlait pas encore de « cold cases » dans le monde anglo-saxon, l’expression s’est imposée avec une série télévisée américaine en 2003-2010.

Et je me rappelle ma fascination pour ces récits inachevés auxquels enfin on apportait une conclusion. Comme un enfant à qui l’on raconte une histoire le soir pour l’endormir, sans l’achever et en lui promettant la fin pour le lendemain. De quoi créer des frustrations durables.

Le « cold case » est aujourd’hui un must de la littérature policière — et le meilleur roman noir que j’ai lu ces derniers temps, l’Île des âmes, repose entièrement sur le remords d’un flic à la retraite de ne pas avoir élucidé, dans une Sardaigne plus primitive que jamais, une série de meurtres atroces.

Le goût de ces énigmes enfouies et réactivées m’est resté — et je me suis donc précipité sur la dernière enquête du Département V, cette entité de la police danoise imaginée depuis 15 ans par Jussi Adler Olsen.

Inutile de vous rappeler les premiers romans de la série, Miséricorde, Profanation ou Délivrance. Même si vous ne les avez pas lus, vous aurez peut-être vu les excellents films, glauques à souhait, qu’en a tirés Mikkel Nørgaard — avec un couple d’acteurs déglingués à souhait, Nikolaj Lie Kaas et Fares Fares. Et si vous avez échappé à toutes ces occasions de vous passionner pour les plus répugnantes affaires jamais imaginées par un romancier danois, sachez qu’elles existent en DVD, heureux lascars…

Sel, le neuvième opus de la série, est à la hauteur des précédents. Même schéma de base : un flic haut gradé garde le remords d’une enquête inaboutie, trente ans auparavant. Et il la confie au Département V.

Qui va déterrer une quinzaine de meurtres, étalées sur trois décennies, dont le lien est le dépôt, à chaque fois, d’une certaine quantité de sel de cuisine sur les lieux.

Les fervents des lectures bibliques auront compris l’allusion à la fin de Sodome et Gomorrhe. Il s’agit bien, pour le criminel (chut, je ne dirai rien !) de purger notre société de ses représentants les moins recommandables, politiciens corrompus (pléonasme !) animateurs d’émissions pour la télé-poubelle (autre pléonasme) et racailles diverses. Après tout, c’est de « sel » que découle, en français, « salaire » — et les victimes reçoivent donc la juste rétribution de leurs méfaits. Le tout dans un Danemark saisi par le Covid et les confinements en pleines fêtes de Noël.

Le polar scandinave s’est imposé depuis au moins trente ans. Ce fut d’abord Henning Mankell qui ouvrit le feu. Suivirent Stieg Larsson (Millenium), Camilla Läckberg, Jo Nesbø, Arnaldur Indridason — longtemps mon préféré —, et j’en passe. Point commun : des atmosphères lourdes et humides (Adler Olsen ironise sur « l’exécrable relation du Danemark avec les dieux de la météo »), des flics au bout du rouleau, perturbés par des problèmes familiaux insolubles, et la description d’une société scandinave rongée par le presbytérianisme : sens étroit du péché, aucune rémission possible (comme aux Etats-Unis, il n’y a pas dans leurs systèmes judiciaires de prescription des crimes), sens aigu de la faute et de la culpabilité, et transposition des foudres du Dieu vengeur dans la société civile. Comme dit Adler Olsen : « Les Danois n’avaient aucun tabou en matière de sexe. C’était libérateur. C’était dans tous les autres domaines qu’ils avaient des problèmes avec la notion de liberté. » Le libre arbitre devient prédestination.

Le dieu presbytérien n’est pas un marrant — et il ne se manifeste que par des catastrophes. On n’entretient pas avec lui le doux dialogue que les catholiques ont avec le leur, via la confession hebdomadaire et la fréquente communion. Le dieu de Sel est si bien caché qu’il faut se substituer à lui pour punir les méchants.

Et pas en deux minutes avec une balle dans la tête. Le trait commun à tous ces romanciers, particulièrement Adler Olsen, c’est la séquestration de longue durée. Le temps que la future victime réalise ses fautes, se repente et admette le bien-fondé de son châtiment. Miséricorde, le premier de la série, reposait déjà sur l’enlèvement d’une femme politique au futur prometteur — cinq ans auparavant : quand enfin Carl Mørck, l’enquêteur, et Assad, son adjoint, la retrouveront, elle sera devenue un zombie, une épave. On ne rigole pas avec la justice de Dieu.

Ajoutez à cela qu’Adler Olsen écrit avec une efficacité remarquable : peu de réflexions oiseuses, chaque phrase décrit un fait, une action. Et le livre, quoiqu’épais, ne se lâche pas — sinon pour se reposer la main.

Et quand vous l’aurez fini, il pourra toujours vous servir d’oreiller sur la plage…


Jussi Adler Olsen, Sel, Albin Michel, 555 p. Sans oublier Miséricorde, Profanation, Délivrance, Dossier 54, L’Effet papillon, Promesse, Selfies et Victime 2117, tous disponibles désormais en Poche.

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Et pour compléter : Piergiorgio Pulixi, L’île des âmes, Éd. Gallmeister, collection Totem, 557 p.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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