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Macron: démagogie antijudiciaire?

Une analyse de Philippe Bilger


Macron: démagogie antijudiciaire?
Philippe Bilger. Photo D.R.

La reconduction d’Eric Dupond-Moretti exacerbe les tensions entre l’Élysée et le corps judiciaire.


Longtemps la fraude fiscale a été le sport national français. Elle a été remplacée par le dénigrement de la magistrature, qui à l’évidence a pris une place considérable dans le débat public. Il semble que les attaques, qu’elles émanent du pouvoir, des intellectuels et des justiciables mécontents (ceux qui ont gagné se taisent), aussi injustes qu’elles soient, seront accueillies dans le climat actuel avec une sorte de lamentable jubilation.

Mais les temps ont changé.

Non pas parce qu’on aurait compris que la Justice et ceux qui la servent sont fondamentaux pour la démocratie et qu’à ce titre ils ont droit à des égards républicains autant, voire plus, que ceux qui sont dispensés à d’autres institutions, à d’autres services publics.

Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, des « petits pois » aux dérèglements politisés de l’état de droit, avec le concours d’une haute hiérarchie complaisante, la magistrature a été peu considérée. Il faut au moins reconnaître à l’ancien président une franchise qui ne dissimulait pas son hostilité : il ne cherchait pas à faire croire qu’il éprouvait une forte empathie pour le corps judiciaire qu’il percevait comme un empêcheur d’agir en rond ; et d’ailleurs ses critiques, avant même qu’il soit élu en 2007, étaient souvent pertinentes, je les ai approuvées et nous n’étions pas nombreux à le faire.

Laissons de côté la présidence de François Hollande qui n’ayant pas dans son for intérieur une vive estime pour les magistrats, a trouvé le moyen de leur imposer une garde des Sceaux, Christiane Taubira, à la fois nuisible et inactive, le verbe poétique tenant lieu de tout.

Eric Dupond-Moretti, la bête noire des juges

Emmanuel Macron, derrière la soie et le velours d’une apparence démocratique, est probablement le chef d’Etat qui au travers de mille signes – dérisoires et importants – a mis le plus en branle une opposition concrète et constante à l’encontre de la magistrature. Tant par d’étranges processus de nomination – on se rappelle comment Rémi Heitz avait été choisi comme procureur de la République à Paris même s’il n’a pas démérité à ce poste – que par des vexations signifiant le peu de crédit qu’il attachait à son rôle de garant de l’indépendance des juges et des procureurs.

Faut-il encore rappeler la provocation de la nomination comme ministre de la Justice d’Eric Dupond-Moretti qui s’était distingué comme avocat par sa détestation de la magistrature ? Convient-il de dénoncer à nouveau le scandale de son maintien place Vendôme ? Comment qualifier cette double péripétie politique et gouvernementale autrement que comme un acte de guerre à l’encontre d’une institution qu’on veut bien célébrer formellement mais sans le moindre respect concret ? Comment ne pas s’indigner que les magistrats du Parquet se voient contraints d’être sous les ordres d’un ministre mis en examen et susceptible d’être renvoyé devant la Cour de justice de la République pour des conflits d’intérêt ? Ce qui conduit à cette situation étrange, dès sa nomination et son renouvellement, de devoir confier au Premier ministre la charge de certains dossiers problématiques le concernant…

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Ce n’est pas tout. Dans une excellente et très éclairante double page du Figaro, on apprend qu’un certain nombre de griefs seraient adressés aux chefs de la Cour de cassation – Chantal Arens et François Molins -, notamment parce que conviés la veille de l’investiture du président réélu, ils n’avaient pu y assister et ne s’y étaient pas fait représenter. Il paraît également que les réquisitions de renvoi du ministre devant la CJR n’auraient pas dû être annoncées au moment où le nouveau gouvernement se composait.

La magistrature reçoit donc des leçons de politesse républicaine et d’opportunité politique. Ces mises en cause sont assez comiques quand on n’a jamais entendu le président de la République inviter le garde des Sceaux à mettre un bémol à des propos et à des pratiques qui rendent impossible tout dialogue entre les organisations syndicales de magistrats.

Qu’on n’impute pas l’absence de cette concertation aux magistrats qui n’auraient pas accueilli à bras ouverts EDM alors que ce dernier a toujours été l’agresseur et qu’il n’était écrit nulle part que les premiers devaient par masochisme applaudir le second !

Les temps n’ont pas changé sur le plan de la démagogie antijudiciaire.

La magistrature entre en résistance

Mais parce que depuis quelque temps la magistrature a décidé de ne plus tendre l’autre joue. Parce que souffletée elle a pris le parti sinon de résister du moins de manifester une opposition ferme à tout ce qui n’avait pour finalité que de la réduire, de la banaliser et de l’offenser. Parce que Chantal Arens et François Molins ont su par leurs interventions qui n’ont jamais dépassé la mesure démocratique, porter haut l’honneur de la magistrature et pour une fois susciter un consensus que certains de leurs prédécesseurs n’avaient pas mérité par leur connivence soumise et leur souci de davantage ménager le Pouvoir que de défendre la dignité des magistrats.

Ce qui est apparu insupportable à l’autorité macronienne – si totalitaire au fond – tient au fait que cette haute hiérarchie judiciaire a réagi, répliqué, riposté, récusé et que loin du masochisme, elle n’a plus tendu l’autre joue.

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Tant de reproches absurdes sont faits à la Justice à cause d’un populisme faussement élégant, qu’on peut être tenté de ne pas reconnaître les torts de celle-ci. Ce n’est pas ma pente et cet hommage que je rends à une institution n’est pas exclusif de tout ce qu’elle aurait à changer dans ses pratiques et sa perception des justiciables.

Mais, pour que nous ayons une chance à la fois de ne plus avoir à mener un combat permanent pour la reconnaissance effective de ce que nous avons à apporter à la pacification d’une société et d’avoir la lucidité de se pencher sur nous-mêmes sans complaisance ni corporatisme, l’une des conditions essentielles serait qu’on nous fasse l’honneur politique de nommer un vrai, un authentique ministre.

Et de ne plus nous prendre pour des mous et des dépendants.

Ce serait au moins un début.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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