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Thomas Morales ou la nécrologie comme sport de combat

"Et maintenant, voici venir un long hiver..." de notre chroniqueur Thomas Morales (2022)


Thomas Morales ou la nécrologie comme sport de combat
L'écrivain Thomas Morales sur les bords de Loire © D.R.

Et maintenant, voici venir un long hiver…, recueil de nécrologies, est avant tout un exercice d’admiration élégant qui n’exclut pas la nostalgie…


Autant l’affirmer d’emblée, je suis une groupie de Thomas Morales. Son style unique, truculent mais pudique – d’où jaillit parfois une phrase si délicatement sensible qu’elle vous met les larmes aux yeux – me fascinait lorsque j’ai commencé à écrire à Causeur.

Vient de paraître Et maintenant, voici venir un long hiver…  récompensé dans la foulée par le prix Denis Tillinac. Et comme cela est mérité !

Nécrologue maison

Si vous êtes de fidèles lecteurs de Causeur, vous n’êtes pas sans savoir que Morales est notre nécrologue maison (quel vilain mot), nécrologies qui sont donc réunies dans ce dernier ouvrage.

Mais, dit-il dans la préface : « Mes nécrologies, comme on les appelle dans le jargon de la presse, ne sont pas des viandes froides préparées à l’avance, que les journaux ressortent du frigo à l’occasion. Pardonnez-moi cette figure cavalière, mes nécros sont faites sur le vif, de l’annonce du disparu à la rédaction de mon article, juste quelques minutes, une heure maximum, et que la plume file sur la feuille blanche ». Thomas confie également comparer le chroniqueur à un sportif de haut niveau car il n’est pas qu’un nostalgique, mais aussi un amateur de bagnoles et de Formule 1. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait fait une magnifique nécro de Sagan. Comme elle, il est dans la vie, le mouvement, et sait que le bonheur est volatile.

Nulle tristesse dans les nécros de Morales, mais au contraire une explosion de joie, de mots qui fusent et qui réconfortent, il est virtuose de l’énumération, exercice périlleux s’il en est. Dans son article consacré à Bernard Tapie, il cite toutes nos madeleines de Proust des années 80 : « Swatch au poignet, les ados réclamaient du Yop à boire au goûter et un bicross Skyway à Noël. La Nouvelle cuisine s’exportait aux Amériques. Gault et Millau faisaient la une du Times. Quick ouvrait son premier restaurant à Aix-en-Provence, cours Mirabeau ». Et viennent à ma mémoire le souvenir de ma Swatch noire et verte du Quick de la place Clichy.

A lire aussi, Thomas Morales: À la gloire de nos mères!

Pour rendre hommage à la grande Agnès Varda, il exploite le procédé du « je me souviens » de Perec. Il a tout compris à cette réalisatrice touche à tout, finalement inclassable. Il évoque pêle-mêle : Morrison, Demy, Bonnaire, et surtout, ce film mal connu qu’est « L’une chante, l’autre pas », peutêtre monpréféré : « Je me souviens du meilleur rôle de Valérie Mairesse, rouquine instable et désirable, effrontée et pugnace, une lueur triste dans ce monde qui basculait ». Tout le talent de Morales est contenu dans cette phrase. Cette délicatesse, si émouvante qui est aussi sa marque de fabrique pour qui sait lire.

Fidélité à l’enfance

De Johnny, il a également tout compris : la multiplicité du personnage, sa complexité, sa tragédie aussi : « Quelque chose de dérisoire et futile qui devient essentiel à notre existence quand la lumière s’éteint ». Et il devine la mélancolie de Danielle Darrieux, l’implacable intelligence de Marie Laforêt, l’aspect presque boulevardier de la fatale Stéphane Audran. À propos de Tavernier, il évoque un de ses films méconnus: « Les enfants gâtés », qui a certainement résonné en lui car il est enfant unique, comme le héros du film: « Des enfants gâtés rend triste et heureux, amers et vivants, dans cette incertitude poisseuse que connaissent les enfants uniques depuis leur naissance ».

A travers ses chroniques, Morales nous livre aussi un peu de lui même. Nous devinons l’enfant rêveur qu’il a dû être, vêtu d’un Duffle-coat rouge, sillonnant  la campagne du Berry. Nous restons à jamais fidèle à l’enfant qu’il a été.

Le titre du recueil est la dernière phrase d’Un singe en hiver d’Antoine Blondin, écrivain cher à son cœur. À la mort de Belmondo, j’y suis moi même allée de mon hommage, et donc, je vais avoir l’outrecuidance de me citer. J’avais bien sûr évoqué l’adaptation, avec Belmondo et Gabin, d’Un singe en hiver, ainsi que la très belle chanson éponyme de Jean-Louis Murat : « Je suis rentré d’Indochine un beau matin, et j’ai trouvé une vie bien trop facile, bête à crever ». Elles servent à cela les chroniques de Thomas Morales: nous consoler de nos vies, qui, en 2022, sont devenues, quelquefois, bêtes à crever.

Thomas Morales, Et maintenant, voici venir un long hiver…, Éditions Héliopoles, 2022.

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