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Nupes: la gauche soumise

Elisabeth Lévy présente notre grand dossier du mois de juin


Nupes: la gauche soumise
Jean-Luc Mélenchon et plusieurs députés de la France insoumise, Assemblée nationale, Paris, 23 mars 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Jean-Luc Mélenchon a réussi à transformer une défaite électorale en une victoire politique et médiatique. C’est que le signifiant «gauche» n’a pas perdu son pouvoir de séduction, indépendamment du référent qu’il désigne. Mais la mélenchonisation des esprits ne s’arrête pas aux frontières de la Nupes comme le montre la nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation.


L’élection présidentielle s’est déroulée selon le scénario attendu et éculé. Mais la surprise est venue de là où on ne l’attendait pas. Nous nous étions habitués à penser (sans déplaisir excessif pour ma part) que la gauche était dans les choux et que la droite, voire le camp souverainiste, avait gagné la bataille des idées. Certes, la gauche ne totalise qu’un tiers des voix, ce qui signifie que deux tiers des Français sont, sinon de droite, « pas-de-gauche ». N’empêche, pour un tiers de nos concitoyens, le signifiant « gauche » continue à avoir des vertus quasi magiques, indépendamment du référent qu’il désigne. En effet, bien avant que l’union soit réalisée entre les appareils sous la houlette du Lider Maximo, les électeurs la réclamaient à cor et à cri – raison pour laquelle je leur en veux, même à mon très cher Jérôme Leroy (pages 64-66 de notre magazine), car entre l’islamo-gauche, le communisme à l’ancienne de Fabien Roussel et la gauche laïque, il y a plus que des nuances : des visions antagonistes du monde et de la société. Et pourtant, 80 % des électeurs de gauche approuvent un accord idéologiquement contre-nature. Quant aux dirigeants, ils ont recommencé à psalmodier le mantra de la « vraie gauche ». La gauche n’est pas une opinion, mais une vertu : le camp du Bien est de retour !

Pour Mélenchon, les tueries de Merah étaient une manipulation

On dira, comme Christophe Bourseiller (notre entretien ici), qu’on ne peut pas réduire Mélenchon à l’islamo-gauchisme. Il est cependant assez curieux que des gens qui traquent, chez leurs adversaires, le moindre dérapage de jeunesse et ont passé au scanner le moindre écrit d’Éric Zemmour s’insurgent parce qu’on critique leurs propos souvent très récents. Mélenchon a, entre autres, estimé que les tueries perpétrées par Merah étaient une manipulation et que son ami Jeremy Corbyn avait été victime du CRIF et du grand rabbin d’Angleterre (le seul communautarisme qui le dérange, c’est le communautarisme juif), il a soutenu avec des trémolos son ami Taha Bouhafs qui pratique un humour digne de Le Pen[1]… Sans parler de sa participation à la marche contre l’islamophobie, au côté d’islamistes patentés, et de sa détestation nouvelle de Charlie Hebdo qu’il accuse d’être « le porte-bagages » de Valeurs actuelles. D’après Julien Dray, la conversion de ce vieux laïcard aux beautés de la religion des opprimés est sincère. En tout cas, elle s’est avérée électoralement payante (voir l’article de Céline Pina pages 55-58 du magazine). Et politiquement, elle est criminelle, car Mélenchon n’hésite pas, en flattant la fibre victimaire, à aggraver le divorce entre une partie de la jeunesse musulmane et son pays.

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Il est probable (mais pas certain) qu’après avoir perdu la présidentielle, la gauche mélenchonisée sera vaincue au « troisième tour ». N’empêche, Mélenchon a magistralement transformé sa défaite électorale en victoire politique. Chapeau l’artiste ! La création de la Nupes n’en est pas la seule preuve. Il faut aussi noter la fascination qu’il exerce sur nombre de médias, en particulier ceux de service public. D’après l’Arcom (ex-CSA), qui ne semble pas s’en émouvoir plus que ça, durant la première quinzaine de mai, la France insoumise a bénéficié sur les chaînes publiques d’un temps d’antenne pour le moins disproportionné : sept heures quarante (télés et radios confondues) contre moins de trois heures pour la Macronie (Renaissance) et moins de deux pour le RN. Au cours de la même période, Reconquête ! a eu droit à vingt-quatre secondes sur France Inter… Rien d’étonnant si on considère que LFI reconduit l’alliance des jeunes, des bobos et des immigrés préconisée en d’autres temps par Terra Nova. Certes, cette nouvelle gauche a renoué avec « la sociale » et récupéré, en plus des trois électorats cités, une partie non négligeable des classes populaires. N’empêche, culturellement, le mélenchonisme a bien partie liée avec ce que Tom Wolfe a baptisé « le gauchisme de Park Avenue » – ou radical-chic –, raison pour laquelle il a séduit « les 500 intermittents les mieux payés de France[2] » qui ont signé en sa faveur une pétition énamourée.

Même Macron fait la cour à l’électorat LFI

Surtout, la mélenchonisation des esprits ne s’arrête pas aux frontières de la Nupes. Entre les deux tours, Emmanuel Macron n’a cessé de faire des œillades aux Insoumis. Cette amabilité tranche avec la douche froide infligée à la gauche laïque qui, en récompense de son ralliement, n’a pas obtenu le moindre poste, et plus encore avec le mépris glacé qu’il semble réserver aux partisans de Zemmour et Le Pen. Depuis le 24 avril, le président-de-tous-les-Français n’a pas eu un mot pour apaiser les inquiétudes des 42 % d’électeurs qui n’ont pas voté pour lui. En clair, la France périphérique n’a qu’à le rester. Et se la fermer..

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Le pire, c’est que Macron est sans doute sincère. S’il est de droite sur le plan économique, culturellement, le président est Mélenchon-compatible[3]. Certes, il ne vante pas encore la créolisation mais, outre son enthousiasme pour le féminisme en hidjab, il n’a pas hésité à nommer Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation. Aussi estimable soit l’historien, il n’en incarne pas moins l’indigénisme en costard-cravate, le wokisme soft. Le républicain laïque qui, en 1988, est parti enseigner aux États-Unis en est revenu deux ans plus tard avec une détestation de l’« universalisme chauvin d’homme blanc hétérosexuel » et une obsession de la couleur de peau. Pap Ndiaye aime désormais compter les Noirs (à l’Opéra par exemple), et ce n’est pas pour s’endormir, mais pour s’éveiller comme le préconise l’idéologie woke (qui signifie justement « éveillé »). Houria Bouteldja, la fondatrice de l’indigénisme français, ne s’y est pas trompée. Après avoir estimé que Mélenchon était le meilleur « butin de guerre » de son courant, elle a salué la nomination de Ndiaye, qu’elle attribue d’ailleurs au score de l’Insoumis en chef à la présidentielle.

On dirait bien que, pour Macron, le modèle républicain et assimilationniste a fait son temps. Les électeurs de droite tendance Zemmour-Ciotti qui ont voté pour lui, sans doute parce qu’ils préfèrent leurs profits à leur patrie, auront peut-être sur la conscience la banalisation de notre pays, appelé à rentrer dans le rang du multiculturalisme mondialisé qui nous va si mal au teint.


[1] Quand Alain Finkielkraut a été attaqué par un Gilet jaune le traitant de « sale sioniste », Benoît Hamon a estimé que l’antisionisme était souvent l’alibi de l’antisémitisme. Le gracieux Bouhafs a répliqué qu’il ne voulait pas rater le dîner du CRIF et ses petits fours…

[2] Encore merci à Aaron Fontvieille-Buchwald, directeur numérique de Marianne, pour cette formule malicieuse.

[3] Ce que nos confrères du Point ont diagnostiqué avec une « une » consacrée au président titrée « Mélenchon, sors de ce corps ! ».

Juin 2022 - Causeur #102

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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