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Europe : Apocalypse 2014


Europe : Apocalypse 2014

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Le 2 août 1914, à 10 heures, le caporal Jules-André Peugeot, du 44e RI, 21 ans, instituteur originaire du Doubs s’écroulait, victime de deux balles tirées par le sous-lieutenant Camille Mayer, un Alsacien mobilisé dans le 5e régiment de chasseurs à cheval de Mulhouse, ville annexée en 1870 par le Reich. Avant de succomber, il avait eu le temps d’armer son fusil et de blesser mortellement Mayer. Cela s’est passé près de Delle, dans le Territoire de Belfort, et le lendemain, l’Allemagne notifiait à la France sa déclaration de guerre. La suite est, hélas, bien connue, et les deux premiers morts militaires sur le front de l’Ouest furent suivis de 40 millions de victimes civiles et militaires au cours des quatre années qui suivirent.
En avril 1913, on ne pouvait imaginer, bien sûr, l’ampleur de la catastrophe qui allait submerger le Vieux Continent, et faire du XXe siècle le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité. Les voix prophétiques étaient inaudibles, et la course vers l’abîme ne pouvait plus être freinée.
Cent ans plus tard, nous avons devant les yeux tous les éléments qui nous permettent de prédire, avec un degré de vraisemblance élevé, ce qui nous attend, en France et en Europe, pour l’été 2014 : au mieux le chaos, au pire l’apocalypse. Dès mars 2013, alors que les principaux responsables politiques européens proclament que « la crise de l’euro est derrière nous », quelques observateurs peu enclins à pratiquer la prophétie autoréalisatrice notent que rien n’est réglé au sein de la zone euro, bien au contraire. Les cures d’austérité imposées aux « PIGS » (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) par la « Troïka » (FMI, UE, BCE)  provoquent un cercle infernal (dépression, chômage, chute des rentrées fiscales, gonflement de la dette) ne permettant pas à ces pays de surmonter la crise. « Ces pays sont comme un hamster dans une roue, ils s’épuisent à la faire tourner sans avancer d’un centimètre…», note le journaliste économique François Lenglet.[access capability= »lire_inedits »] Frédéric Lemaître, correspondant du Monde à Berlin, peu suspect d’euroscepticisme, s’alarme de la rigidité allemande : « Fiers de leurs succès, les Allemands, gauche et droite confondues, n’ont qu’une seule recette à apporter à leurs voisins : faites comme nous il y a dix ans. Restructurez-vous, et vous redeviendrez compétitifs. Pour eux, les difficultés des pays latins sont essentiellement dues à un manque de courage politique. »
L’imbroglio politique italien issu des élections législatives de février 2013, où le centre-gauche de Pier Luigi Bersani se trouve dans l’incapacité de former un gouvernement, faute de majorité au Sénat, vient s’ajouter à la montée de la révolte sociale en Espagne et au Portugal.
Dans ces deux pays, ce ne sont pas les structures traditionnelles, partis de gauche et syndicats, qui mobilisent les foules, mais des mouvements issus de la société civile, comme le collectif « Que la Troïka aille au diable ! » au Portugal, ou les « Indignés de la Puerta del Sol » en Espagne. En France, le nouveau tour  de vis budgétaire imposé par le gouvernement Ayrault, la baisse généralisée du pouvoir d’achat des ménages et l’inexorable montée du taux de chômage ont pour conséquence la défiance généralisée de l’opinion envers le président
Hollande et le gouvernement de gauche. En Grande-Bretagne, malgré les manoeuvres de David Cameron, menaçant d’organiser un référendum sur la sortie de l’UE au cas où Bruxelles persisterait à vouloir discipliner les budgets nationaux, le parti europhobe UKIP taille des croupières aux conservateurs dans les élections partielles.
Au cours du printemps et de l’été 2013, les marchés réagissent mollement à ces sombres perspectives. La BCE, en dépit des résistances allemandes, a sauvé les banques et l’État chypriote de la faillite, et rachète discrètement de la dette des « PIGS » sur le marché secondaire, juste la quantité nécessaire pour maintenir, au jour le jour, la tête de ces pays hors de l’eau. Mais plus la date des élections allemandes se rapproche, plus Angela Merkel se montre intransigeante. Les sociaux-démocrates se rallient à l’idée d’une Europe à deux vitesses, rassemblant dans un « noyau dur » les pays disposés à adopter la discipline budgétaire imposée par Berlin et ses vassaux au sein de l’UE, un schéma développé dès février 2013 dans une étude de la Friedrich Ebert Stiftung, le « think tank » du SPD.
En France, à la suite d’un accord secret passé entre François Hollande et Angela Merkel, Berlin ferme les yeux sur le non-respect de la clause des 3 % du PIB comme plafond du déficit budgétaire, à condition que le Parlement français vote une réforme du régime des retraites dont les termes sont dictés par Berlin : allongement des durées de cotisation qui porte, dans les faits, l’âge minimum de la retraite à taux plein à 67 ans, désindexation du montant des pensions, calcul des retraites sur l’ensemble de la carrière.
À la rentrée de septembre 2013, alors que le projet de loi est en discussion à l’Assemblée, la CGT, dont Thierry Le Paon vient de prendre les rênes, organise des manifestations dans toute la France qui réunissent plusieurs centaines de milliers de personnes. À Amiens, Nancy et Rouen, ces manifestations tournent à l’émeute, dont les ouvriers licenciés de Continental, Petroplus et ArcelorMittal sont le fer de lance. Des dizaines de manifestants et de policiers sont blessés, dont certains grièvement. Au PS, la gauche du parti entre en rébellion : une soixantaine de députés et sénateurs, emmenés par Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj, annoncent qu’ils voteront contre la réforme des retraites, s’alignant sur la position du Front de gauche. Cette réforme est néanmoins adoptée, grâce aux voix des députés de l’UDI de Jean-Louis Borloo, alors que l’UMP, par choix tactique en vue des municipales de mars 2014, se réfugie dans l’abstention. Harlem Désir fait les frais de cette agitation interne : il est limogé de son poste de premier secrétaire, et remplacé par Guillaume Bachelay dans une direction où les aubrystes font un retour en force. François Hollande résiste néanmoins aux pressions, notamment celles de Manuel Valls, visant à lui faire changer de premier ministre, Jean-Marc Ayrault ayant atteint un taux « cressonien » d’impopularité. « On verra après les municipales et les européennes ! », tranche le président de la République.
Les élections au Bundestag du 22 septembre 2013 se traduisent par une stabilité de la CDU-CSU de la chancelière Angela Merkel, qui reste le premier parti avec 33 % des voix. Le SPD progresse légèrement avec 25 % des voix, et ne confirme pas les succès engrangés lors des élections régionales, en raison des gaffes répétées de son candidat chancelier Peer Steinbrück. Les Verts bénéficient de cet échec du SPD en obtenant près de 20 % des voix, alors que les alliés libéraux de la CDU sont éliminés du Bundestag, n’ayant pas atteint la barre des 5 % des voix. Les néo-communistes de Die Linke, en revanche, se maintiennent à 6 %, grâce à leur bonne implantation dans les Länder de l’Est.
Mathématiquement, deux coalitions sont possibles : « rose-rouge-vert » (SPD, Die Linke, Verts) ou « noir-rouge », grande coalition SPD-CDU. À l’issue d’un congrès extraordinaire dramatique, où le parti est au bord de la scission, le SPD tranche pour l’alliance avec Merkel.
Un appel solennel à « ne pas s’allier aux héritiers d’Erich Honecker », lancé par l’ancien chancelier Helmut Schmidt, 95 ans, fait pencher la balance en faveur du « noir-rouge ». Au cours des négociations sur le programme du gouvernement de coalition, le SPD obtient la création d’un SMIC horaire fixé à 8,50 euros, mais Angela Merkel ne cède pas d’un pouce sur la politique européenne de la CDU, résumée dans les trois « Nein » de Berlin : non au déplafonnement des fonds mis à la disposition du Mécanisme européen de stabilité ; non à l’assouplissement des critères de déficit  public des pays de l’UE ; non à la gestion dynamique de l’euro par la BCE.
Dès son entrée en fonction en octobre 2013, le nouveau gouvernement allemand propose à ses partenaires l’« Agenda 2020 pour l’Europe » qui pose les principes d’une union politique et d’un gouvernement économique de la zone euro excluant tout transfert supplémentaire des pays du Nord vers ceux du Sud. En France, cette initiative allemande met le gouvernement de gauche en porte-à-faux : la droite applaudit bruyamment la chancelière et a beau jeu de pointer l’isolement d’un PS français englué dans ses vieilleries idéologiques. L’extrême gauche et le FN se déchaînent contre Angela Merkel, qualifiée d’« affameuse des peuples ». François Hollande temporise : « C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses ! », affirme-t-il, en précisant que l’« Agenda 2020 » de Berlin n’est que le point de départ d’une négociation où il fera valoir les intérêts de la France. Il est décidé, lors du Conseil européen de janvier 2014, de reporter cette négociation  après les élections au Parlement européen, fixées au 25 mai.
Ce répit est mis à profit, en France, pour se lancer dans la bagarre des municipales. Sentant qu’il a le vent en poupe, le Front de gauche pose des exigences exorbitantes en termes de têtes de listes à ses partenaires du PS et des Verts. À droite, Jean-François Copé fait capoter l’accord électoral avec l’UDI de Borloo en misant sur une droitisation du discours de l’UMP susceptible de lui gagner, au deuxième tour, les voix des électeurs du FN. Au bout du compte, c’est en ordre dispersé que chaque camp aborde, le 9 mars 2014, le premier tour des municipales.
Le résultat est conforme aux prévisions : le PS et les Verts s’effondrent, l’UMP progresse, mais est confrontée à une forte poussée du FN, notamment dans le Midi et dans les villes moyennes frappées par la montée du chômage. Le Front de gauche récupère une partie des déçus du hollandisme et se trouve en position favorable pour dicter ses conditions pour la fusion des listes de gauche. Maigre consolation pour le PS : les divisions de la droite ont empêché Nathalie Kosciusko-Morizet de conquérir l’Hôtel de Ville de Paris. Au PS, c’est le sauve-qui-peut : la ligne d’union de la gauche pour garder le maximum de municipalités est battue en brèche par de nombreux barons locaux. À droite, c’est aussi la cacophonie : la position officielle de l’UMP (« ni front républicain, ni alliance avec le FN ») risque de faire perdre bon nombre de mairies si le FN maintient ses listes. L’appel de Marine Le Pen à la constitution de listes communes dites de « Salut national » est entendu par bon nombre de notables locaux de l’UMP qui décident qu’il vaut mieux perdre leur âme qu’une élection. Seule la proximité des élections européennes empêche un règlement de comptes immédiat et sanglant, à la tête du PS comme au sommet de l’UMP.
La campagne pour les élections au Parlement de Strasbourg démarre dans l’indifférence générale. Alors que les sondages prédisent une abstention record dans les 28 pays de l’UE, les seuls à occuper le devant de la scène sont les partis eurosceptiques ou europhobes, ainsi que les mouvements issus des révoltes de la société civile, comme le « Mouvement 5 étoiles » de Beppe Grillo en Italie. En France, Frigide Barjot, s’appuyant sur les réseaux militants créés à l’occasion de la mobilisation contre le mariage gay, établit une liste de candidats intitulée « L’Europe des familles », dont les meetings festifs attirent des foules considérables. Le PS se voit contraint de confier le leadership de la campagne à Ségolène Royal, qui en profite pour se démarquer du gouvernement et du président de la République.
À droite, c’est Bruno Le Maire qui est envoyé au casse-pipe pour défendre le mot d’ordre : « Avec Angela, pour une Europe qui gagne ! » Les marchés ne restent pas indifférents à ce climat délétère, qui ne concerne pas seulement la France, et se remettent à spéculer contre les maillons faibles de l’UE, avec en première ligne l’Italie, ou le premier ministre Pier Luigi Bersani est paralysé par le soutien à éclipses que les « grillini » consentent à son gouvernement minoritaire. En Espagne et en Écosse, les mouvements séparatistes catalan, basque et écossais transforment le scrutin européen en référendum pour l’indépendance de leur région. Au soir du 25 mai, les résultats sont sans appel : la participation moyenne pour les 28 pays est inférieure à 30 % ! Elle tombe en dessous de 20 % à l’Est, en République tchèque,
Hongrie et même en Croatie qui vient tout juste d’adhérer à l’UE. Plus grave, les partis « europhiles » de droite, du centre et de gauche sont laminés, et seront minoritaires dans ce Parlement à qui il appartient désormais d’investir le président de la Commission choisi au sein du parti ayant recueilli le plus de suffrages à l’échelle du continent.
En France, où la participation est de 35 %, l’UMP arrive, certes, en tête avec 19 %, mais talonnée par le FN à 18,5 %. Le PS s’effondre à 14,5 %, le Front de gauche obtient 12 %, l’UDI 8 %. Les Verts échouent, à quelques centaines de voix près, à franchir la barre des 5 %. La surprise est créée par la liste « L’Europe des familles », qui obtient 9 % des suffrages et 7 députés, en dépit du matraquage négatif dont elle a été l’objet dans la quasi-totalité des grands médias.
Dans les autres grands pays européens, à l’exception de l’Allemagne, les résultats sont à l’avenant : en Grande- Bretagne, c’est l’UKIP, partisan d’un retrait du royaume de l’UE, qui arrive en tête, devant les travaillistes. En Écosse, le scrutin est un plébiscite en faveur d’Alex Salmond, le premier ministre indépendantiste. En Espagne, les partis traditionnels (PP et PSOE) subissent une déroute, au profit des « Indignés de la Puerta del Sol » en Castille et en Andalousie, et des séparatistes de droite et de gauche en Catalogne et au Pays basque.
En Italie, c’est la déroute pour les europhiles du centre-gauche de Bersani et du centre de Mario Monti. La Ligue du Nord exige la démission du gouvernement et un référendum sur l’indépendance de la Padanie. La crise la plus grave, cependant, éclate en Belgique, où les élections législatives ont eu lieu le même jour. La Nouvelle Alliance flamande de Bart De Wever obtient la majorité absolue des suffrages en Flandre, et lance le soir même un ultimatum aux francophones : soit ils acceptent la fédéralisation du royaume aux conditions flamandes, c’est-à-dire en vidant l’État fédéral de toute substance autre que protocolaire, soit la Flandre proclame unilatéralement son indépendance.
Le 2 juin, dans un sommet de crise des 28 à Bruxelles, Angela Merkel et ses alliés imposent leur loi : les pays ne souscrivant pas à l’« Agenda 2020 » devront quitter la zone euro. Le tsunami électoral en France a provoqué un putsch à l’UMP. Nicolas Sarkozy, dans une déclaration solennelle, le 25 mai à 22 heures, de son QG de la rue La Boétie, appelle « tous les militants et sympathisants de l’UMP à se rassembler derrière lui pour sauver le pays du désastre ». Au cours d’une réunion secrète à la Lanterne, Nicolas Sarkozy et François Hollande concluent un pacte : la droite ne cherchera pas à déstabiliser le gouvernement avant l’échéance présidentielle de 2017 à la condition que la France accepte l’« Agenda 2020 » lors du sommet de Bruxelles… Dany Cohn-Bendit annonce, au Journal de 20 heures du 26 mai, qu’il restera au Brésil après la Coupe du monde de football qu’il doit commenter pour Canal+ et qu’il a fait une demande de  naturalisation à Dilma Rousseff. 
La première victime française de ce bouleversement, ironie de l’histoire, se nomme Peugeot. Thierry Peugeot est exclu du conseil de surveillance de PSA le 27 mai 2014, alors qu’est rendue publique la nouvelle de la prise de contrôle de PSA par Volkswagen, tenue secrète en raison des élections.[/access]

*Photo : Soleil.

Avril 2013 #1

Article extrait du Magazine Causeur



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