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Une panthère comme cadeau de Noël

Sylvain Tesson à retrouver au cinéma


Une panthère comme cadeau de Noël
"La panthère des neiges", film de Marie Amiguet et Vincent Munier (2021) © Haut et court

La beauté de la contemplation de la nature comme antidote à notre modernité mortifère !


Le très beau film contemplatif et onirique « La Panthère des Neiges », co-réalisé par un couple amoureux de la nature, Marie Amiguet et Vincent Munier, sorti ce mercredi, vient de réaliser un très beau démarrage en salles. Incontestablement le plus cadeau, à l’approche des Fêtes, que peut nous offrir le 7e art en ces temps cauchemardesques, troublés et fracturés, où la quête de sens ne s’est jamais posée avec autant de gravité et d’acuité. 

Vertus de la patience et de l’observation

Le photographe animalier Vincent Munier a eu l’excellente idée de proposer à l’écrivain-aventurier-globe-trotter-casse-cou Sylvain Tesson l’adaptation ciné de son best-seller, La Panthère des neiges (500 000 exemplaires vendus !), qui a reçu les honneurs du Prix Renaudot en 2019. « Vincent a eu l’idée de convier Sylvain » en mode « prête-moi ta plume, je te montrerai la panthère des neiges » », précise Marie Amiguet. Le résultat est époustouflant et nous procure un magnifique bol d’oxygène !

Portrait de Sylvain Tesson en juin 2015 Photo: Hannah ASSOULINE

Au cœur des hauts plateaux tibétains, sur le toit du monde, dans une nature hostile, sauvage mais authentique et magnifiquement préservée de la prédation humaine (mais jusqu’à quand ?), nos deux explorateurs à l’ancienne, parfaitement complémentaires, déploient des trésors de patience, de témérité et d’ingéniosité pour observer, contempler, humer, ressentir charnellement, expérimenter une faune et une flore à la valeur inestimable et exceptionnelle : yacks, renards, antilopes, vautours, ours, chats sauvages, oiseaux… Nos yeux s’écarquillent à chaque plan (du reste parfaitement filmé et monté) et s’émerveillent devant ce spectacle que l’on croirait pourtant définitivement disparu et perdu à tout jamais…  

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Avec de surcroît une quête passionnée et méthodique pour accéder au Graal suprême : la vision de la fameuse panthère des neiges, aussi rare que furtive ! Et c’est ainsi que le film jusqu’alors très « documentaire » bascule dans un véritable conte de fées au dénouement certes attendu mais toujours aussi émouvant et sublime pour le plus grand plaisir des petits … et des grands !

Avant cette délicieuse récompense, nos deux héros vont devoir se faire tout petit face à la rudesse et la majestueuse grandeur de « Mère Nature » et se fondre dans un décor inhospitalier, avec sommets escarpés culminant à plus de 5000 mètres, intempéries climatiques (tempête de neiges notamment) et températures pouvant varier entre -15° la journée et -30 la nuit ! On a plaisir à retrouver notre Sylvain Tesson au look hirsute mais toujours aussi passionné, des étoiles pleins les yeux tel un gamin déballant son cadeau, griffonnant quotidiennement son petit calepin avec ses doigts engourdis par le froid, alternant phrases courtes poétiques et petits croquis des reliefs l’entourant afin de ne pas perdre une miette de l’aventure hors-normes se déroulant sous nos yeux ébahis. L’un des plus beaux moments du film concerne la rencontre fortuite avec deux jeunes enfants tibétains sur une des crêtes arpentées. Il faut voir comment, malgré la barrière de la langue, la fusion va immédiatement s’opérer avec nos aventuriers qui vont leur laisser manipuler leur matériel high-tech vidéo, jumelles et autres smartphones pour le plus grand bonheur des autochtones. S’ensuit un improbable dialogue entre Sylvain, aidé d’un dictionnaire franco-tibétain, et le jeune garçon pour faire mieux connaissance et évoquer leur nom, leur âge… ainsi que la mobilité d’un troupeau de yacks des environs !        

Eloge des temps archaïques

A rebours de notre époque caractérisée par une certaine « épilepsie » bougiste (selon les termes de Sylvain Tesson), le tout-vitesse, l’impatience érigée en norme, la recherche effrénée de la performance et du résultat immédiat, ce beau film lyrique et méditatif ose une puissante contre-proposition en faisant l’éloge de la patience, du calme, de l’observation et de la délectation des choses simples du monde naturel nous entourant. C’est tout l’art délicat de « l’affût » (mot magique martelé plusieurs fois par l’expérimenté Vincent Munier) et de la lecture des traces et des empreintes (dans la roche, dans la terre, sur les parois) qu’enseigne avec conviction et humilité notre photographe à un Tesson que l’on sent davantage bouillonnant pour parvenir enfin à la fameuse vision ultime…et sortir ainsi du fantasme.  

Pierre-Andre Taguieff en 2007 © BALTEL/SIPA Numéro de reportage: 00542783_000015

On aura plaisir à retrouver durant tout le métrage le récit très poétique des événements lu par Sylvain Tesson, ce qui permet de scander les grandes étapes et les stratégies de leur quête tout en actant (définitivement ?) leur rupture avec les affres de notre société individualiste et hyper-connectée. On peut à ce titre opportunément se rappeler qu’il y a tout juste vingt ans était publié un petit livre manifeste à l’étrange postérité, signé Pierre-André Taguieff et astucieusement nommé Résister au bougisme : démocratie forte contre mondialisation techno-marchande (Editions Mille et Une Nuits/ Fondation du 2 Mars).

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« Les normes particulières de la modernisation mondialisatrice sont simples, voire sommaires : consommer toujours plus, communiquer toujours plus rapidement, échanger d’une façon optimalement rentable. Rapidité, efficacité, flexibilité, rentabilité. L’entrée dans la société « bougiste » planétaire et l’imposition à tous les peuples des valeurs de l’individualisme moderne / occidental (utilitaristes, « compétitivistes », hédonistes) s’accompagnent d’une réduction de la démocratie au couple formé par les droits de l’homme et le marché libre, sans frontières. » Pas sûr que l’on ait beaucoup progressé sur tous ces points en l’espace de vingt ans…

Loin de nous lamenter sur ce que charrie notre époque en termes de désespoirs et de catastrophes présentes ou à venir, nous préférons encore suivre jusqu’au bout la philosophie de Sylvain Tesson consistant à vouloir retisser un dialogue direct et respectueux avec ce monde naturel, authentique et sauvage, afin de renouer avec les temps archaïques lorsque l’homme, la nature et les dieux communiaient et parlaient le même langage ! Chiche ? Mais combien sont réellement prêts à relever le défi ?

La Panthère des neiges, film de Marie Amiguet et Vincent Munier, France, 2021, 1h32. Actuellement en salles. 

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