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Le marché turc, un truc qui marche


Le marché turc, un truc qui marche

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On apprenait récemment que, « dopée par la forte croissance économique du pays, Istanbul est devenue le foyer d’un intense foisonnement créatif, qui est en passe de l’imposer comme une place importante du marché de l’art contemporain » (AFP).
Nul n’aurait le mauvais goût de reprocher à l’Istanbul Museum of Modern Art la vocation qu’il revendique de « présenter l’héritage artistique de la Turquie » – et Allah sait s’il est riche et passionnant -, « la créativité, l’identité culturelle et les valeurs universelles que la Turquie détient ».
Passons sur les « valeurs universelles » de l’art dit contemporain. L’AC est surtout une valeur refuge internationale au même titre que l’or, ce que les spéculateurs soucieux de faire fructifier leur patrimoine sont loin d’ignorer : « Face à la tendance cyclique accélérée des crises financières, explique un magazine expert, le marché de l’art s’impose comme un investissement alternatif particulièrement rentable sur le marché haut de gamme. » Les investisseurs locaux emboîtent donc logiquement le pas aux plaques tournantes de ce marché en expansion que sont Londres, Venise, Paris, Berlin, Dublin, New York et auxquelles se sont ajoutées Hong Kong, Pékin, Saõ Paulo et Dubaï.
Nul ne s’étonnera donc qu’aux abords de ce nouveau temple dédié aux performances, installations et autres créations plurielles fleurissent galeries marchandes et galeries d’art financées par les principales banques nationales. Le projet a été soutenu par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, et ce secteur en plein boom a favorisé une croissance de 8% du PIB en 2010 et 2011.
Signe d’ouverture à cette merveilleuse modernité mondiale, le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara n’entretiendrait « pas de trop mauvaises relations notoires avec le monde culturel », puisque selon le commissaire-priseur Kerem Topuz, « la place de la religion et des symboles religieux a pris plus de poids dans le pays depuis dix ans, mais pas au point de constituer un danger pour l’art ». Ouf ! Manquerait plus que ça !
Peu importe que la Turquie soit classée au 154e rang mondial (sur 179) en ce qui concerne la liberté de la presse, qu’elle soit la première prison au monde pour les journalistes, qu’elle instruise des procès contre les généraux d’une armée autrefois garante de la laïcité, qu’elle figure notamment aux côtés de la Chine, de l’Arabie Saoudite, de la Syrie, de l’Iran, du Yémen et de la Corée du Nord parmi les vingt-six pays pratiquant les plus grosses censures d’internet, qu’elle procèderait encore à des arrestations arbitraires d’opposants, et interdise plus ou moins subtilement une conférence sur l’égalité des sexes, ou des publications académiques sur les questions kurdes et environnementales.
Peu importent les réalités politiques et sociales lorsque « le monde de l’art mondial », comme le définit si justement Levent Calikoglu, conservateur de l’Istanbul Museum of Modern Art, peut se réjouir sans entraves. Puisque le gotha international a consacré une nouvelle place des ventes de ce « grand champ d’épandage visuel »[1. Marc Fumaroli à propos de l’art contemporain, dans Paris-New York et retour. Voyage dans les arts et les images, Fayard, 2009.], la pensée peut continuer à croupir dans les geôles.

*Photo : pirano Bob R.



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Isabelle Kersimon est journaliste.

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