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Voir Zanzibar et mourir avec classe


Voir Zanzibar et mourir avec classe

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Thibault de Montaigu est l’écrivain des peuplades bizarres et des contrées difficiles. Dès son premier roman, Les Anges brûlent, il s’est intéressé à la jeunesse dorée d’Auteuil qu’il a ensuite emmenée, dans Un jeune homme triste, sur la côte normande, déguster des fruits de mer en buvant du pouilly-fumé. Plus tard, Les grands gestes la nuit nous a tout dit de la vie des playboys français et des minettes délurées de bonne famille, au cœur des sixties, entre Paris, Megève et Saint-Tropez. Avec Zanzibar, Montaigu va plus loin : il suit les traces de deux journalistes, Vasconcelos et Klein, dont la ligne de vie – insolente, flamboyante et hasardeuse – se brise sur l’archipel de l’océan Indien. L’un a été retrouvé pendu au ventilateur de la chambre de sa luxueuse villa ; l’autre, ligoté à un poteau maritime, s’est fait grignoter les entrailles par des barracudas.
Vasconcelos écrivait des articles touristiques ; Klein était photographe. Ils possédaient un certain charme : lunettes noires, mots à l’assaut, filles faciles à leur cou. Klein, notamment, avait rencontré une très jeune Islandaise : sur le Web, ils échangeaient mots doux et coquineries. Dans les gazettes, les premiers reportages des duettistes avaient la cote. Il y avait une langue, un style, des angles de vue. Klein et Vasconcelos ont très vite compris, pourtant, que ça ne payait guère. Leur idée de génie : quitte à toucher une misère pour écrire beaucoup et prendre de trop nombreux clichés, autant paresser à l’œil dans des palaces.[access capability= »lire_inedits »]
Avec leurs cartes estampillées L’Officiel Voyage, Tourisme Magazine ou même New York Times, et quelques attachées de presse dans leur poche et ailleurs, ils promettaient des merveilles. Il leur fallait juste avoir le temps de s’imprégner des lieux, dans le confort et l’abondance de cadeaux. Ça a marché un temps. Ils ont passé des mois entre l’île de Jura, en Ecosse, le Grand Hôtel Europe de Saint-Pétersbourg, la Mamounia ou le Lake Palace d’Udaipur. Ils ont joué aux rock-stars : mangeant, buvant, baisant sans fin. Un jour, on s’est rendu compte qu’aucun texte ne paraissait. Fureur des payeurs. Des plaintes ont été déposées. Vasconcelos et Klein ont fait la « une » des magazines : des escrocs, la honte de leur noble profession. Les intellectuels se sont écharpés autour de leur cas. Des livres, des films ont vu le jour. Pour certains, ils avaient dynamité de l’intérieur le système pourri du gagnant-gagnant touristique : je t’invite, tu m’encenses. Ultime touche de mystère : la fin tragique des deux gandins qui voulaient voir la vie comme une partie de plaisir loin des figures imposées du quotidien.
Meurtres ou suicides : chacun ses goûts. Montaigu ne choisit pas : « Peu importent les livres, les voyages : on en revient toujours au même point. Et la seule gloire qui nous est échue est celle d’avoir essayé quand bien même nous savions que tout était vain et perdu d’avance ».
On le voit, Montaigu est un lointain petit cousin des dandys de la bande à Vadim. Il a le goût des titres qui claquent au vent, un style chic et dilettante comme un costume de lin froissé, au petit matin, un jour d’été. Il nous offre, avec Zanzibar, un roman de soleil pâle, de fugue et de mélancolie sur le rebord des tombes…[/access]

*Photo : eutrophication&hypoxia.

Thibault de Montaigu, Zanzibar (Fayard).

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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