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Marilyn Monroe: future icône du féminisme?

Aurore Van Opstal publie "Les hommes qui ont tué Marilyn", un roman


Marilyn Monroe: future icône du féminisme?
© REYNARD/SIPA Numéro de reportage : 00368762_000052

Notre contributrice Aurore Van Opstal publie son premier roman intitulé: Les hommes qui ont tué Marilyn (éditions L’esprit du Temps). Marc Reisinger, psychiatre, se demande si les hommes ont effectivement tué Marilyn Monroe. Analyse et critique.


Les hommes ont-ils tué Marilyn? Non et oui. Personne n’a fait plus de tort à la petite Norma Jeane qu’une femme: Gladys, sa mère, incapable de s’occuper d’elle. Marilyn fut placée en orphelinat puis en familles d’accueil pendant une très longue période, tandis que sa mère était internée en psychiatrie. Le refus de dire à Marilyn qui était son père a encore aggravé les carences affectives qui marquent son enfance.

Un traumatisme majeur a été infligé par un homme à Marilyn lorsqu’elle avait neuf ans. Un locataire de sa tutrice l’a attirée dans sa chambre pour la violer avant de lui donner de l’argent pour une glace. Marilyn a évoqué cet événement par écrit en 1954[tooltips content= »Les vies secrétes de Marilyn Monroe, Anthony Summers »](1)[/tooltips], mais elle en avait parlé à de nombreuses personnes, qui ont souvent réagi par le déni. Sa tutrice elle-même avait refusé d’écouter ce qui s’était passé dans la chambre de son meilleur pensionnaire.

Toxicomanie et cauchemars

Le fait de ne pas être cru constitue un facteur aggravant des traumatismes sexuels, et Marilyn est revenue toute sa vie sur cet événement, ce qui montre à quel point il l’a marquée. On sait que le problème majeur de Marilyn, qui l’a réellement tuée, était son addiction aux médicaments, de deux types: les antidouleurs puissants auxquels elle s’était accoutumée à cause de douleurs menstruelles sévères; ensuite les barbituriques dont la fenêtre thérapeutique – c’est-à-dire la limite entre la dose efficace et la dose dangereuse – est étroite surtout en les mélangeant à l’alcool comme elle le faisait.

Son accoutumance aux barbituriques était sans doute elle-même liée à ses traumatismes précoces, puisque son dernier psychiatre, le Dr Ralph Greenson a remarqué qu’elle s’empêchait de dormir, comme tous ceux qui craignent des cauchemars trop perturbants – cauchemars que Marilyn évoquait sans en avoir révélé le contenu à personne.  C’est ici que la forme romanesque du livre d’Aurore van Opstal et son empathie nous permet d’imaginer le vécu de Marilyn :

« Rien qu’à l’évocation de cette bête noire qu’est l’assoupissement, mon corps est rempli d’effroi. Car ce qu’il se passe dans mon état d’inconscience nocturne ne relève pas de rêves classiques (…) Jamais le sommeil ne me repose. Au contraire, il m’enfonce de plus en plus dans l’anxiété et la détresse physique. Dans mes obscurs songes, je revis les viols, les coups, les menaces de mort ou de danger avec les mêmes affects que lorsque les crimes se sont déroulés. (…) La douleur psychologique n’a pas de fin, elle augmente progressivement comme l’intensité du son dans le crescendo du Boléro de Ravel. La musique de ballet prend fin quand l’orchestre a terminé sa démonstration. L’orchestre de ma douleur est inlassable et invincible. Il joue macabrement comme les musiciens sur le Titanic. Or, mon bateau ne coule pas. Il attend des secours qui n’arrivent pas. Les cauchemars sont un enfer sur terre. Tu souffres continuellement dans un tunnel interminable, sans sortie. Les cauchemars reviviscents donnent une idée de l’éternité en Enfer »

Le Dr Greenson, un des hommes qui a peut-être tué Marilyn, a aussi fait tout ce qu’il pouvait pour la sauver, en la traitant comme une patiente à part, en la recevant dans sa famille, dans une sorte de tentative de reconstruction, qui sortait du simple cadre psychanalytique.

A Hollywood, il faut coucher pour réussir

Mais là où son cœur n’a pas fait défaut, sa tête l’a peut-être fait, car en se basant sur Freud, il ne croyait pas à la réalité du traumatisme sexuel comme cause des troubles psychiques. Il évoquait les « fantasmes de mauvais traitements » de Marilyn sans les prendre au sérieux. A cause de la théorie boiteuse de Freud qui attribuait aux victimes des fantasmes d’abus sexuels plutôt que des souvenirs, les psychanalystes se montrent souvent incapables d’écouter les traumatismes réels de leurs patients et de les aider à se les remémorer, comme on le fait, par exemple, en hypnose thérapeutique. A tel point que Marilyn elle-même, peu avant sa mort, minimisait l’abus dont elle fut victime : « A dire vrai, je crois que j’étais plus curieuse qu’autre chose ». Signe de lucidité ou perte de conscience précédant la chute ?

Or les traumatismes sexuels ne s’étaient pas limités à son enfance. On sait que les victimes d’abus précoces montrent une prédisposition à revivre des situations analogues, comme si elles étaient paralysées par l’abuseur, ou comme si elles tentaient de reprendre le contrôle de la situation en se vengeant de leurs abuseurs, par exemple en se prostituant.

Marilyn a fait savoir qu’elle avait débuté sa carrière en couchant avec des producteurs, et quelque chose la poussait à le faire. A l’aube de sa carrière, lorsqu’elle rencontre à vingt ans un photographe connu, André de Dienes, qui tombe amoureux d’elle et lui propose de se marier en vivant loin d’Hollywood, elle choisit le cinéma, même si elle sait qu’elle doit coucher[tooltips content= »André de Dienes, Marilyn, Taschen. »](2)[/tooltips]. Elle fera en effet la tournée des bureaux de production avec une lettre d’introduction rédigée par un des assistants de Joe Schenk, patron de la 20th Century Fox. « Curieusement, à peine avaient-ils ouvert l’enveloppe que les producteurs se levaient, faisaient le tour du bureau et se débraguettaient, exigeant de Marilyn qu’elle se mette à genoux ». Plus tard on apprendra que la lettre indiquait seulement : « Cette fille fait des pipes merveilleuses »[tooltips content= »François Forestier, Marilyn et JFK, 2008, cité dans Le Vif/L’Express, 9/5/2008. »](3)[/tooltips]

Mais même lorsque Marilyn devînt une actrice reconnue, dont le grand acteur Laurence Olivier ou le producteur Billy Wilder (qui la supportait pourtant mal) ont célébré le génie, il lui arriva de se placer dans des situations où l’abus d’alcool et de médicaments la livraient à des prédateurs sexuels comme Sam Giancana, patron de la mafia de Chicago et son complice Frank Sinatra, telle que le reconstitue Aurore Van Opstal :

« Je passai le week-end des 28 et 29 juillet 1962 au casino du Cal Neva Lodge où, sous un soleil de plomb, se succédaient des allées d’arbres verdoyants, près des bungalows destinés à recevoir les invités du chanteur. Ce week-end-là, j’ai été violée par Sinatra et Giancana qui s’étaient présentés comme des amis bienveillants envers moi afin de mieux m’amadouer. Frank Sinatra prenait des clichés compromettants de moi, nue, à l’agonie à cause des drogues, complètement désemparée et tétanisée en train de réaliser des actes sexuels forcés mais qui apparaîtraient juste comme dégradants pour moi, la victime, la perverse. Ces photos avaient pour but de me faire taire. Ils voulaient me violer et me menacer afin que je ne révèle rien. La publication des clichés pouvait ruiner ma carrière. Ils le savaient. Je le savais. La mafia à l’œuvre : le viol prémédité. Le crime, organisé. Ces deux-là n’en étaient pas à leur coup d’essai. »

Alors oui, malgré des hommes qui lui ont sans doute fait plus de bien que de mal, comme ses trois maris – un jeune marin, Joe Di Magio et Arthur Miller – ou des metteurs en scène comme John Huston et Billy Wilder, d’autres ont abusé d’elle et l’ont poussée vers le gouffre suicidaire caractéristique des victimes d’abus sexuels.

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psychiatre et anthropologue. Il est l'auteur de "Opération Merah" et de "Lacan l'insondable".

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