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L’enterrement de Hugo


« Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les Églises. Je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu ». (codicille de Victor Hugo à son testament, remis à Auguste Vaquerie, en août 1883).

Victor Hugo ne s’est pas contenté de mourir chez lui, le 22 mai 1885, mais encore dans l’avenue qui portait son nom de son vivant ! Sa gloire était immense et universelle. Il ne l’ignorait nullement : dans une famille qui m’est proche, on rapporte l’histoire de l’arrière-grand-mère, jolie femme encore jeune, se promenant un jour, à Paris. Elle croise un individu de belle allure à barbe blanche, mais l’ignore, selon les convenances de l’époque, alors l’homme : « On ne salue pas Victor Hugo ? ». Cette légende familiale est mieux que vraie, elle est possible.

Sa mort, cependant, fut paisible. Il eut le temps de dire adieu à ses proches. Après le décès, il fut placé sur son lit. Nous avons un témoignage original, la lettre que l’historien Émile Mâle écrivit à ses parents après avoir rendu une visite d’hommage et d’admiration muette à la dépouille de Victor H. Il était alors un jeune lycéen, très brillant, à Louis-le-Grand, préparant le concours de l’École normale supérieure (il sera reçu premier à l’agrégation) : « […] j’ai eu la faveur insigne d’entrer chez Victor Hugo et de voir le grand homme sur son lit de mort. C’est à Claretie que j’en suis redevable. Il avait demandé à son oncle Jules Claretie quelques mots de recommandation qui puissent lui permettre d’être admis chez Victor Hugo avec quelques amis. Nous étions cinq ou six de l’école. Nous avions acheté une couronne pour ne pas nous présenter les mains vides. On nous a introduit dans le salon, où on nous a fait attendre un petit quart d’heure. Nous avons examiné la maison à loisir ; nous avons vu par la porte ouverte le joli petit jardin, où Victor Hugo se promenait, la véranda où il s’asseyait et où on voit encore son fauteuil à côté des chaises de ses petits-enfants, le salon qui était tout rempli de fleurs et de couronnes, la salle à manger, tendue de cuir jaune, toute petite et très modeste. Enfin, on nous fait monter ! Dans la chambre, deux dames sont assises : Mme Lockroy et Mme Mesnard-Dorian. Le lit est au fond, dans l’ombre. Victor Hugo est couché, avec une palme verte sur la poitrine. Sa tête est très belle : il est aussi blanc qu’une statue de marbre. On dirait un buste de vieux poète grec. Près de son front, pour mieux en faire ressortir la blancheur, on a mis un bouquet de fleurs rouges. Nous le contemplons quelques minutes, tout pleins d’émotions, nous mettons notre couronne au pied du lit, et nous partons. Ce sera pour nous tous un grand souvenir. C’est ce soir qu’il est exposé à l’Arc de triomphe. On nous a donné une permission de onze heures et demi, pour que nous puissions voir l’effet grandiose de ce catafalque illuminé. Lundi, nous partirons à huit heures pour l’Arc de triomphe : par précaution, nous déjeunerons très copieusement avant de partir ; et l’économe, homme avisé, nous donnera des petits pains et du chocolat pour mettre dans nos poches. » […] ».[1. Lettre d’Émile Mâle (1862-1954) à ses parents, le 31 mai 1885 « Souvenirs et correspondances de jeunesse »,éditions Créer. Rappelons qu’il est le grand rénovateur de l’histoire de l’art en France, en particulier pour ce qui relève de l’époque médiévale.]

Les provisions de bouche furent sans douté dévorées par les jeunes gens, car elle fut longue, la marche vers le Panthéon qu’entreprit le cercueil, depuis l’Arc de triomphe jusqu’à sa destination finale. Le cercueil de Victor Hugo est donc exposé le 31 mai et jusqu’au lendemain matin, sous l’Arc, drapé pour l’occasion d’un grand voile de gaze noire. Il est déposé sur un catafalque énorme, qui le rend visible de très loin. L’émotion populaire se manifeste par une foule innombrable (deux millions ?), rassemblée autour de sa dépouille, puis le long du parcours que suivra le cortège, le lendemain, 1er juin, jusqu’au Panthéon. « Totor »[2. Surnom affectueux que Juliette -dite Juju- Drouet, donnait à son grand homme.] Hugo retrouvait ce peuple qui l’avait acclamé le 5 septembre 1870, alors qu’il rentrait enfin de son exil interminable (près de vingt ans !) : « Citoyens ! j’avais dit : “Le jour où la République rentrera je rentrerai“, me voici ! ». La république, Troisième du nom, lui fit des funérailles grandioses, auxquelles s’associèrent certains nationalistes, parmi lesquels des jeunes gens qui n’oubliaient pas le père du romantisme français ; ainsi Maurice Barrès.

Ce dernier nous en a laissé un superbe témoignage, certes quelque peu emphatique par instant, mais non dénué d’émotion vraie.
« […] Un immense voile de crêpe, dont on avait essayé de tendre l’angle droit de l’Arc de Triomphe, paraissait, des Champs- Elysées, une vapeur, une petite chose déplacée sur ce colosse triomphal. La garde du corps, confiée aux enfants des bataillons scolaires, était relevée toutes les demi-heures pour qu’un plus grand nombre participassent d’un honneur capable de leur former l’âme. Ces enfants, ces crêpes flottants, ces nappes d’administrateurs épandues à l’infini et dont les vagues basses battaient la porte géante, tout semblait l’effort des pygmées voulant retenir un géant : une immense clientèle crédule qui supplie son bon génie. […] d’une extrémité à l’autre des Champs-Elysées se produisit un mouvement colossal, un souffle de tempête ; derrière l’humble corbillard, marchaient des jardins de fleurs et les pouvoirs cabotinants de la Nation, et puis la Nation elle-même, orgueilleuse et naïve, touchante et ridicule, mais si sûre de servir l’idéal ! Notre fleuve français coula ainsi de midi à six heures, entre les berges immenses faites d’un peuple entassé depuis le trottoir, sur des tables, des échelles, des échafaudages, jusqu’aux toits. Qu’un tel phénomène d’union dans l’enthousiasme, puissant comme les plus grandes scènes de la nature, ait été déterminé pour remercier un poète-prophète, un vieil homme qui, par ses utopies, exaltait les cœurs, voilà qui doit susciter les plus ardentes espérances des amis de la France. Le son grave des marches funèbres allait dans ses masses profondes saisir les âmes disposées et marquer leur destinée. Gavroche, perché sur les réverbères, regardait passer la dépouille de son père indulgent et, par lui, s’élevait à une certaine notion du respect. […] »[3. Maurice Barrès, Les Déracinés.].

Dans cette cérémonie s’incarne le peuple parisien, celui de la liesse, des joies collectives, du bonheur mais aussi du recueillement et du chagrin. On le retrouvera à la Libération, aux obsèques d’Edith Piaf, comme à celles de Jean Cocteau, et sous la pluie battante, place de l’Étoile, quelques heures après l’annonce du décès du général de Gaulle. On retiendra encore que la préparation de la cérémonie hugolienne persuada le gouvernement de désacraliser définitivement le Panthéon : l’église, où l’on célébrait encore le culte catholique, devient temple laïque, exclusivement consacré au culte des grands hommes, par la Patrie, reconnaissante…



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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