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« Grégory »: Netflix rend justice aux Vosgiens

Netflix propose un documentaire sur l'affaire Grégory Villemin


« Grégory »: Netflix rend justice aux Vosgiens
Christine Villemin se recueille sur la tombe de son fils en juillet 1985 © GOYHENEX JEAN-MARIE/SIPA Numéro de reportage: 00122982_000001

Avec l’affaire du « petit Grégory », la France profonde aura été trainée dans la boue. Le documentaire de Netflix remet les pendules à l’heure.


Nous avons hésité à regarder le documentaire en ligne sur Netflix consacré à l’Affaire Grégory. La lecture d’un article du Monde avait tout fait pour nous en dissuader. « Il fallait pouvoir intéresser le monde entier avec un conte noir qui se tisse dans un village aussi attrayant qu’une remise à outils, avec, en têtes d’affiche, les bacchantes très gauloises de Bernard Laroche et les 4L très franchouillardes de nos gendarmes à képi », nous inflige le journaliste du quotidien du soir, qui n’a sans doute jamais mis les pieds dans une vallée vosgienne pour se faire plaisir dans un mépris caractéristique de sa maison.

Mépris pour une France dite « reculée »

Mais après avoir visionné le documentaire en cinq volets, nous nous sommes rendus compte que rien n’avait en fait changé depuis trente-cinq ans et que le fiasco judiciaire et médiatique avait sans doute pour origine ce mépris sidérant pour les contrées qu’on dit reculées. Mépris qui s’accompagne d’une fascination morbide pour ces ruraux forcément frustres, d’autant moins ouverts qu’ils sont enracinés. Enracinés « comme des radis », nous souffle Jacques Attali.

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À lire toute cette bonne presse, on doit surtout au caractère de ces foutus Vosgiens le fait qu’on ne connaît toujours pas la vérité sur l’assassinat de Grégory Villemin. Dès le début – nous en parlions déjà dans la cour de notre collège aussi rural que celui de Murielle Bolle – on nous a bassiné avec cette propension des habitants du 88 à être taiseux. Forcément taiseux. Et pourquoi pas arriérés, voire consanguins. Et pourtant – et c’est le principal mérite de la série produite par Netflix – ce qui éclate, c’est que cette non-élucidation du crime, et tous les rebondissements, l’injuste mise en cause de Christine Villemin, mère de l’enfant, et l’assassinat de Bernard Laroche, on le doit surtout aux non-Vosgiens!

Jean-Michel Lambert, ce petit juge incompétent, n’était pas vosgien. Son instruction fut un fiasco.

Tous ces journalistes envoyés spéciaux de Paris, bien plus acharnés que les locaux à se classer parmi les pro-Laroche ou les pro-Vuillemin, ils n’étaient pas vosgiens.

Vosgiens, les flics du SRPJ de Nancy qui débarquent à Lépanges, après que Lambert ait dessaisi les gendarmes locaux? Et ce commissaire Corazzi qui raconte dans le documentaire à quel point Christine Villemin était « excitante » en tenue de deuil – il avait dû voir un mauvais film du samedi soir de la chaîne cryptée naissante – pour tenter de convaincre à quel point cela pouvait peser dans l’éventuelle culpabilité de la mère de Grégory.

Marguerite Duras, pas une lumière

Et Marguerite Duras, « apologiste sénile des infanticides ruraux », selon le mot si juste de Pierre Desproges, était-elle aussi immatriculée en 88? Lorsqu’elle débarque à sa demande, ou à celle de Serge July, on ne sait plus très bien, à Lépanges pour rencontrer Christine Villemin, et que cette dernière refuse avec bon sens, d’où vient-elle, d’où parle-t-elle? Là voilà, devant la maison des Villemin et qui décrète devant un Denis Robert consterné que c’est là, forcément là, que le crime a eu lieu. Elle déboule ensuite chez le juge Lambert et lui offre le mobile qu’il recherchait désespérément: l’infanticide vengeur contre la domination masculine: « Aucun homme au monde ne peut savoir ce qu’il en est pour une femme d’être prise par un homme qu’elle ne désire pas. La femme pénétrée sans désir est dans le meurtre. Le poids cadavérique de la jouissance virile au-dessus de son corps a le poids du meurtre qu’elle n’a pas la force de rendre : celui de la folie». C’est dans « Sublime, forcément sublime », le fameux article qui aurait dû l’envoyer direct en hôpital psychiatrique. C’est la révélation du documentaire: Lambert convaincu par cette illuminée, star germano-pratine. Le côté taiseux des Vosgiens est bien loin.

Si une affaire du même genre survenait, Libé enverrait-il désormais sa nouvelle star Christine Angot sur place? Angot qui, sept ans après que Christine Villemin avait été définitivement innocentée, déclarait « Je suis tellement Duras tendance Villemin ». Si cela devait être le cas, on espère que des messieurs en blouse blanche l’accompagneraient et interviendraient pour qu’elle ne rencontre pas le juge d’instruction.

France d’en bas, France d’en haut

Devant tous ces personnages, on comprend que les Vosgiens se montrent taiseux. Adolescents à la fin des années 80, nous nous serions volontiers joints à ceux de Lépanges qui chassaient tous ces « envoyés spéciaux » du cimetière, ou tentaient d’aller les perdre dans la forêt. Allumer la radio, et y entendre ce qu’on entendait sur les habitants de cette vallée, cela ne devait pas inciter à se montrer accueillant.

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La fracture territoriale qui a sauté l’an dernier à la gueule de la France d’en haut, celle qui envoie Duras à Lépanges, n’est pas étrangère à ce mépris. Ceux qui sont taiseux, mais fument parfois des clopes et roulent encore au diesel. N’entendez-vous pas parfois comme on parle de faits divers à la radio ou à la télévision? Puisque l’auteur de ces lignes est originaire de Franche-Comté, un peu plus au sud des Vosges, qu’il lui soit pardonné de rappeler comme on désigne « l’affaire de l’anesthésiste de Besançon ». Pourquoi précise-t-on « de Besançon » ? Cet homme a un nom et d’ailleurs, il est toujours présumé innocent, ainsi que la ville où il réside. Mais non, l’anesthésiste « de Besançon », ça fait peur. On voit le type arriver avec sa seringue, patibulaire, menaçant. Tout le monde n’a pas la chance de se faire endormir à l’hôpital américain de Neuilly. On pourrait sans doute trouver d’autres affaires ainsi désignées: celle du dentiste de Guéret, du quincailler de Montluçon, du crétin des Alpes, ou de la Bête du Gévaudan.

Ce n’était peut-être pas volontaire, mais merci à Netflix d’avoir rendu leur honneur aux Vosgiens. Merci d’avoir montré qui étaient les véritables responsables du fiasco: les fameux « envoyés spéciaux », de nos systèmes judiciaire et médiatique. Merci d’avoir montré ce que valaient les élucubrations de Duras.

Cette justice-là, au moins, est rendue.



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