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Réservé aux mauvais perdants


Jeudi dernier, mon tendre et cher, histoire de dire que l’on ne se voit pas que pour ça, m’envoie un sms radieux m’annonçant qu’il avait des billets pour aller voir La casa de la fuerza d’Angélica Liddell. Entre deux parenthèses, il précisait : 5h.

Ma réponse fut brève : Tu veux ma mort ???

Cinq heures de spectacle, c’est prendre le risque d’avoir non seulement des fourmis dans jambes mais aussi de perdre ce temps si précieux qui nous file entre les doigts dès que l’on n’y prend pas garde et qui quand on s’ennuie au théâtre nous donne la mesure du dommage.

Vous l’aurez compris, le sacrifice étant parfois complice de l’amour, j’y allais en traînant les pieds, sachant qu’après avoir payé mon tribut à la culture bobo, j’aurai quoiqu’il en soit quelques heures en tête à tête avec mon amoureux… et ça, ça n’a pas de prix !
En arrivant au théâtre de l’Odéon, avec demi-heure d’avance pour pouvoir retirer les billets à temps et ne pas rater une minute sur les 300 qui nous attendaient, une erreur informatique me fit espérer que j’échapperais à ce supplice. Hélas, mon amoureux est tenace, plutôt payer les billets deux fois que renoncer… j’en venais presque à douter de son amour pour moi.

Bref, informatique oblige malgré notre demi-heure d’avance, nous avons raté le lever de rideau mais y avait-il un rideau ?

Sur la scène, trois femmes : une en noir, une en bleu, une en rose. Les robes ressemblent à ces minables déguisements de princesse propre à nous convaincre que décidément les contes de fée, c’est pas la vraie vie.

La vraie vie, c’est de la merde, le prince charmant est un salaud, alors les princesses se saoulent à la bière pour oublier qu’il n’y a jamais eu de bonne fée au-dessus du berceau.
La femme en noir se met à chanter ou plutôt à hurler sa douleur accompagnée par des mexicains plan-plan coiffés de sombreros de pacotille. Contraste saisissant entre la détresse des femmes et ces hommes bons enfants complètement à côté de la plaque. La plaque, la vraie, c’est celle où sont ces femmes meurtries, celle où la douleur s’exprime dans sa jouissance la plus ravageuse.

Et c’est bien d’un ravage qu’il va être question. « La casa de la Fuerza », c’est la force de la solitude, de l’angoisse, de la désillusion qu’Angélica Liddell décline sans pudeur et sans concession, en trois tableaux.

Inutile de vous dire que mes appréhensions initiales trouvaient leur justification – j’allais devoir pendant cinq heures assister sans broncher aux plaintes hurlantes et déjantées de trois hystériques en mal d’amour. Je commençais à passer en revue toutes les techniques de relaxation propre à m’aider à supporter l’insupportable. Mais soyons honnête, respirer par le nez, faire le vide mental, imaginer de beaux paysage, ça ne marche pas !

Et celà pas parce que je ne suis que spectatrice au théâtre de l’Odéon. Non, parce que cet insupportable je le connais, je l’ai éprouvé et d’ailleurs, vous aussi, j’en suis sûre ! Tous, nous le connaissons. Seulement, nous, nous tentons de l’oublier, nous faisons avec. « C’est la vie !» comme disent les Français que nous sommes. A se vautrer dans le narcissisme, on en viendrait à perdre son âme. Isn’t it ? Vous reprendrez bien un peu de prozac ?

Dans le déchaînement d’une vérité, pas toujours bonne à dire, Angélica Liddell donne à ce malheur banal quelques lettres de noblesse.

Thank you Darling ! Je n’ai pas perdu mon temps…



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Hélène Hessel est psychanalyste.

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