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La Grande-Bretagne parie sur l’optimisme de « BoJo »

Portrait du nouveau locataire du 10, Downing Street


La Grande-Bretagne parie sur l’optimisme de « BoJo »
Boris Johnson, hier © James Veysey/REX/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40719782_000330

Portrait de Boris Johnson, le nouveau Premier Ministre britannique. Par Jeremy Stubbs.


Boris Johnson ressemble à Theresa May. Non pas par la similitude de la coiffure, mais parce que chacun n’aurait jamais été premier ministre sans un concours de circonstances très particulier. Au Royaume-Uni, les citoyens élisent un parti et le parti vainqueur impose son leader comme chef du gouvernement. Theresa et Boris ont tous les deux accédé au pouvoir à mi-mandat, entre deux élections générales. Jusqu’au référendum sur le Brexit, la première s’était plus ou moins retranchée dans son Ministère de l’Intérieur, vivant en autarcie avec deux conseillers trop proches d’elle et très impopulaires au sein du Parti. En juillet 2016, après la démission de David Cameron, celle qui manquait cruellement de charisme et ne cultivait pas ses relations avec ses collègues a fini par être la seule candidate en lice. 

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De la même façon, jusqu’en juin 2019, BoJo n’était pas dans les petits papiers de la majorité des autres députés conservateurs. Au cours des années, ses incohérences, son comportement de girouette, ses petites lâchetés et ses grosses gaffes avaient aliéné la plupart de ses collègues. Il conduit la campagne pour le Brexit jusqu’à la victoire mais disparaît au moment du choix d’un nouveau chef de gouvernement, prétextant faiblement une trahison de la part d’un allié. Il roule des mécaniques comme ministre des affaires étrangères, mais commente de façon erronée les activités d’une Anglo-iranienne détenue en Iran, ce qui n’arrange pas le cas de celle-ci. S’opposant au projet de construire une troisième piste à l’aéroport de Heathrow, il jure qu’il se couchera devant les bulldozers, mais le jour où le projet est voté par les Communes, il s’arrange pour être en Afghanistan. 

Nigel Farage l’a fait roi

Tout change en mai 2019, lorsque Nigel Farage conduit son Brexit Party, fondé seulement au mois de janvier, à la victoire dans les élections européennes au Royaume-Uni, décimant le vénérable Parti conservateur. Prônant une sortie immédiate de l’UE, avec ou sans accord, Farage mobilise une grande partie de l’opinion publique pro-Brexit, maintenant acquise à la l’idée d’une rupture brutale avec Bruxelles. Pris de panique, les députés conservateurs se rendent compte que le seul successeur à Theresa May capable de tenir tête à Farage en termes de charisme et de légitimité eurosceptique, c’est Boris. Boris se rend compte qu’en assimilant à sa manière le discours intransigeant de Farage, il peut enfin recueillir une majorité des votes, non seulement des adhérents du Parti qui l’adorent, mais aussi des autres députés qui se méfiaient de lui. Si aujourd’hui Boris est roi, c’est Nigel qui est le faiseur de roi. 

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Déjà, sa résolution a vacillé entre un discours plus intransigeant et un autre plus conciliateur, lui attirant des réprimandes des faragistes et des jusqu’au-boutistes conservateurs. Tout le monde dit qu’il y a un « bon » Johnson et un « mauvais ». Le bon, c’est celui qui fait le showman en laissant faire les autres, plus qualifiés ; le mauvais, celui qui prétend faire lui-même tout en restant showman. Le bon Boris a été en évidence tout au long de ses deux mandats comme maire de Londres, de 2008 à 2016. Là, il a su déléguer et se faire guider par des conseillers avisés. Quel est le Boris qui vient d’être élu ? Les premiers signes ne sont pas rassurants. Il a prétendu que, en cas de no deal, le Royaume-Uni et l’UE pourraient continuer à échanger des biens sans appliquer des tarifs en invoquant l’article 24 du GATT, en particulier son alinéa 5(b). Quand un journaliste de la BBC lui demande au cours d’un entretien en live s’il connaît l’alinéa 5(c), qui invalide l’applicabilité de l’article 24 dans le cas des relations avec l’UE, Boris avoue qu’il n’a pas lu jusque-là. 

Un populiste au 10 Downing Street?

Ses ennemis l’accusent tantôt de ne pas avoir de convictions, tantôt d’être populiste. En fait, son conservatisme est authentique et très modéré, la seule exception étant sa position sur le Brexit. Celle-ci est le résultat d’un certain patriotisme vieux jeu, fait de parties de cricket, de sandwichs au concombre ou de pintes de bière moussantes servies dans des pubs de village. En 2014, il a commis un mauvais livre sur Churchill, comme si on avait besoin d’un tome de plus sur ce sujet. En fait, ce livre parle de lui, de lui tel qu’il se rêve. Depuis toujours, il aspire au statut de héros courageux, sans avoir démontré jusqu’ici une telle force de caractère. 

Maintenant, son heure a sonné : sera-t-il à la hauteur ? Boris n’est pas un populiste, mais un démagogue, ivre de paroles et assoiffé d’adoration populaire. Sa plus grande force est dans sa maîtrise de la langue anglaise. Ses écrits, ses discours et même ses entretiens sont émaillés d’archaïsmes qui détonneraient chez un autre mais brillent, chez lui, de mille feux. Selon Rabelais, « un fou enseigne bien un sage ». Avec Theresa May, on a eu beaucoup de sagesse mais sans résultat. Peut-être que la folie de Johnson se révélera plus efficace. 



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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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