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« Chernobyl », la dernière bombe d’HBO

"Vous avez affaire à quelque chose qui ne s'est jamais produit sur cette planète!"


« Chernobyl », la dernière bombe d’HBO
© HBO / Chernobyl (2019)

Tchernobyl. Un nom qui évoque une catastrophe, un traumatisme, les mensonges et dissimulations d’un régime politique déclinant. 33 ans après l’explosion du réacteur nucléaire ukrainien, le créateur américain Craig Mazin nous replonge dans ce cauchemar au travers d’une mini-série de cinq heures à peine, avec une intensité, une pudeur et un souci de vérité très marqués. Remarquable.


Une série américaine sur un sujet aussi sensible que l’explosion d’un réacteur nucléaire soviétique, le parti pris semble couler de source, et la critique facile sinon évidente. Et cependant, la mini-série produite par HBO est des plus surprenantes. Bien plus qu’un énième procès un peu rapide du régime communiste, la série prend la question à hauteur d’homme. Si les responsables directs sont punis et le régime décrédibilisé, le peuple russe est quant à lui sublime, il force le respect et l’admiration. C’est toute l’intention de Craig Mazin, le créateur de la série, qui s’exprimait dans une interview donnée à Slate en Juin 2019 : « La dichotomie est que le système soviétique était terrible, criminel et oppressif. Et le peuple soviétique était remarquable. »

La célébration de l’âme slave

L’âme slave, le Peuple avec une majuscule, ses chants mélancoliques, son courage dopé à la vodka, son sens du sacrifice pour le bien commun impressionnent autant qu’ils inquiètent. Cette capacité à donner sa vie anonymement pour une Russie transcendante a quelque chose de mystique et de dérangeant, habitués que nous sommes à la consommation d’héros individuels. Ce peuple n’est pas victime, il est bien plus que cela : c’est une âme, une conscience. Une conscience entretenue dans des illusions et des mensonges, prise dans un écheveau d’intérêts et d’ignorance, sur fond de propagande. Cocktail explosif ! Tout comme leurs grands-pères s’étaient sacrifiés lors de la Grande Guerre Patriotique, les corps à nouveau s’amoncellent, s’empilent pour tenter, désespérément, de combler les trous d’un régime défaillant.

« Le prix du mensonge »

La vérité triomphe toujours, même si souvent, elle arrive trop tard… La véritable question est donc de savoir combien de temps peut tenir un mensonge. Éternellement pour le régime soviétique, pas longtemps pour ces lanceurs d’alerte de la première heure que sont Legassov, le physicien nommé pour gérer la catastrophe, et Khomyuk, son assistante, personnage monté de toute pièce pour honorer la mémoire de tous les scientifiques qui, avec Legassov, se sont mobilisés pour gérer la catastrophe.

Ce personnage fictif illustre tout l’enjeu de la série : jusqu’à quel point peut-on se permettre de narrer, de raconter, au lieu de montrer ? Au bout du cinquième épisode, de la cinquième heure, le créateur capitule et ce qui était histoire devient documentaire, des photos et vidéos d’archives remplacent le scénario, la catastrophe est bien réelle.

Le procès des individus coupables qui clôt l’épisode final se révèle être un plaidoyer pour la vérité. Le coût du mensonge, c’est la catastrophe nucléaire. Celui de la vérité, la chute du régime soviétique. Ironie du sort : Gorbatchev payera les deux !

Manifeste pour la transparence

Ce choix entre mensonge et vérité n’appartient pas qu’au passé, et encore moins au seul régime soviétique. À l’heure de la post-vérité, c’est une problématique on ne peut plus actuelle ! Beaucoup plus qu’une simple description de faits tragiques, cette série est un véritable manifeste pour la transparence… Le réalisateur se fait prophète, toujours dans Slate : « Nous vivons sur une planète qui est en danger, et les scientifiques nous mettent en garde de la même manière qu’ils l’avaient fait dans les années 70 en URSS pour les réacteurs RBMK. Les gouvernements choisissent de les écouter ou de ne pas les écouter, les individus choisissent de les écouter ou de ne pas les écouter. Mais la vérité, la planète, le thermomètre n’en ont rien à faire ! »

A lire: « Fake news »: et si on apprenait à réfléchir plutôt qu’à interdire ?

Un propos à nuancer cependant : les scientifiques soviétiques d’alors n’avaient pas le pouvoir de leurs confrères de l’Ouest. Censurés par le KGB, ils étaient exclus de tout embryon de débat. Une puissance, un pouvoir du débat qui sont naturels aujourd’hui. Il ne sert que de voir l’impact que peuvent avoir une étude de l’OMS, un rapport de l’OCDE, l’avis de chercheurs du CNRS de nos jours lorsqu’ils sont publiés dans la presse, relayés sur les réseaux sociaux et confrontés aux réponses de leurs contradicteurs. L’information est bien là, et cela change tout ! A nous seulement de choisir de les écouter ou pas et d’en assumer les conséquences…

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