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Tribune de 39 intellectuels pour Sarah Halimi: attention aux mauvais procès!

La lutte contre l'antisémitisme doit se mener au nom de la justice. Pas en contestant ses principes.


Tribune de 39 intellectuels pour Sarah Halimi: attention aux mauvais procès!
Manifestation contre l'antisémitisme, Paris, Auteurs : Erez Lichtfeld/SIPA. Numéro de reportage : 00895581_000050

La tribune pour Sarah Halimi signée par une trentaine d’intellectuels et de journalistes lundi dans Le Figaro remet en cause l’instruction en cours. Or, la lutte contre l’antisémitisme doit se mener au nom de la justice. Pas en contestant ses principes. 


Malvenu. C’est le premier mot qui vient à l’esprit pour qualifier la démarche entreprise par un certain nombre d’intellectuels signataires d’une tribune demandant que l’auteur du meurtre de Sarah Halimi ne soit pas déclaré irresponsable par la justice pénale. Cette initiative est effectivement pour le moins malvenue et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la lecture du texte montre bien la cause que les signataires entendent servir, celle de la lutte contre l’antisémitisme musulman. Combat nécessaire s’il en est mais qui ne passe pas par une volonté d’instrumentaliser la justice à son service, meilleur moyen de ne pas poser les vrais problèmes et en lui reprochant une position de complaisance, vis-à-vis des dérives islamistes, et un refus de prendre en compte leurs dimensions spécifiquement antisémites.

Sarah Halimi et les péripéties de la procédure

Rappelant que ce n’est pas la première tentative de faire pression sur la justice dans ce dossier, le texte de la tribune contribue à faire de la procédure judiciaire l’otage d’un combat politique non seulement légitime mais nécessaire. Il faut rappeler que l’espace où doit se dérouler impérativement une procédure pénale est celui du prétoire, avec les règles qui s’y appliquent et qui sont destinées à faire émerger autant que faire se peut une vérité judiciaire support d’une décision rendue au nom du peuple français et opposable à tous. Prenant la forme d’un réquisitoire, nécessairement unilatéral, choisissant les détails, multipliant les sous-entendus sur l’attitude des magistrats et de la police de quartier intervenue ce jour-là, la pétition nous présente l’affaire pour soutenir une cause : que Kobili Traoré soit déclaré responsable de ses actes, traduit et jugé en cours d’assises. Ainsi « existerait-il un espoir que justice soit rendue à Sarah Halimi, victime d’un crime antisémite barbare ».

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Toutes les péripéties de la procédure, dont on rappelle qu’elle est contradictoire et qu’y interviennent le parquet autorité de poursuite, la défense, et les parties civiles, sont présentées comme autant de tentatives pour ménager et exonérer celui qui a tué Sarah Halimi. Il y a même des détails étranges sur la façon dont sont rapportées les expertises psychiatriques pourtant essentielles. Tout d’abord, le premier expert intervenu est nommé par les signataires: il s’agit de Daniel Zagury, psychiatre brillant et très médiatique, comme s’il s’agissait de faire valoir à cette occasion une forme d’argument d’autorité. La tribune  nous dit « qu’une expertise réalisée par Daniel Zagury rendue au bout de six mois établissait que K. Traoré avait fait une bouffée délirante aiguë (BDA) suite à une consommation massive de cannabis. Il conclut à l’altération du discernement, mais à une responsabilité pénale ».

Abolition ou altération, telle est la question

C’est l’article 122–1 du code pénal qui traite la question et des conditions dans lesquelles un accusé peut être déclaré irresponsable. Parlant d’abolition du discernement, l’alinéa premier de cet article nous dit: « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » Le deuxième alinéa, quant à lui, traite de l’atténuation de la responsabilité et par conséquent de la peine en cas d’altération du discernement. C’est le choix de l’altération qu’a fait en conscience le Docteur Zagury. Le départ entre l’abolition et l’altération est une question très délicate à trancher, surtout lorsque l’on instruit et ensuite juge une affaire criminelle qui a, par surcroît, donné lieu à beaucoup de passion.

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Les magistrats instructeurs ont souhaité avoir un nouvel avis, et il n’est pas très honnête de présenter cette initiative de procédure comme incongrue et probablement dictée par la volonté d’épargner Kobili Traoré. « Cette expertise n’a pas l’heur de plaire à la juge d’instruction qui en ordonne une seconde ; requête provenant usuellement de l’avocat de la défense qui ici n’avait rien demandé. » Une seconde expertise a donc été ordonnée et réalisée cette fois-ci par un collège de trois experts, qui eux ne seront pas nommés dans la tribune et ont tranché en faveur de l’abolition. Face à deux avis divergents, une troisième expertise a été ordonnée et confiée à un collège de quatre experts cette fois-ci qui ont à nouveau choisi l’abolition du discernement. Et pour disqualifier l’avis de ces sept experts assermentés, les pétitionnaires s’improvisent psychiatres et nous expliquent à quel moment on peut considérer que quelqu’un est schizophrène.

La justice ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées

Je ne peux pas dire si Kobili Traoré avait son discernement aboli ou seulement altéré au moment où il accomplissait son forfait, je n’ai pas les compétences pour en savoir. Je m’en remets au traitement par la justice de mon pays de cette épouvantable affaire. Il appartiendra aux magistrats en charge de ce dossier, le collège des juges d’instruction, la collégialité de la chambre d’instruction, et éventuellement la collégialité de la cour d’assises, de prendre leurs responsabilités et de trancher la question. Parce que c’est comme ça que cela doit se passer, et que le lieu pour statuer sur cette question, dans un pays civilisé, c’est le prétoire et non pas l’espace médiatique aussi prestigieux soient les signataires de pétitions. Les règles du débat contradictoire sont là pour ça, et il n’est pas très heureux de se livrer à cette pression sur une justice dont on nous serine par ailleurs qu’elle doit être indépendante et surtout impartiale. Il faut rappeler encore et encore que l’autorité judiciaire ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées, et que dès lors qu’on lui assigne des objectifs qui ne sont pas les siens cela ne peut qu’aboutir à la détourner de sa mission.

Les islamistes sont (aussi) des déséquilibrés

On ajoutera que cette pression est aussi une façon de se défausser sur la justice du traitement et de la réponse à une question particulièrement brûlante exprimée d’ailleurs par le texte même de la tribune : « Quatre experts ont rendu mi-mars 2019 leurs conclusions corroborant la seconde expertise. En France, aujourd’hui, être juif serait-il une incitation au meurtre pour des déséquilibrés psychiatriques ? S’agit-il de préparer l’opinion à une réinterprétation de la dizaine d’assassinats de Français juifs par des islamistes ? La psychiatrisation est-elle le nouvel outil du déni de réalité ? » On répondra : « Oui, il est évident que les islamistes et leurs pulsions barbares sont des déséquilibrés ». Et qu’il est indispensable de s’interroger sur la tournure pathogène et criminalisante qu’a pris aux quatre coins du monde la religion musulmane. Sur le rôle, dans le passage à l’acte criminel, de l’interprétation littérale du Coran, recueil qu’on le veuille ou non d’interdits et d’injonctions à respecter sous peine de terribles punitions. Et il vaudrait mieux prendre cette question à bras-le-corps, sans se laisser intimider par le « pas d’amalgame » et la crainte de l’accusation « d’islamophobie ».

Menons le combat là où il doit l’être

Parce qu’accuser la justice d’utiliser la psychiatrisation comme nouvel outil du déni de réalité c’est se dispenser à peu de frais de mener le combat là où il doit l’être. Et le faire en présentant à tort l’application de l’article 122–1 comme un passeport pour l’impunité n’est pas non plus très reluisant. Comme laisser entendre que ce serait cet objectif qui aurait amené les sept psychiatres à émettre leur avis. Au passage, il n’est pas très heureux de disqualifier un principe fondamental de la responsabilité pénale : ne sont responsables pénalement que les individus conscients de leurs actes. Les Romains l’appliquaient, et le fait qu’au Moyen Âge on jugeait les animaux ne constituait pas un progrès.

C’est aujourd’hui un acquis de civilisation. Et il serait raisonnable en ces temps difficiles d’éviter la désinvolture lorsqu’il s’agit du respect de principes séculaires.

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