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La pédophilie est-elle vraiment si catholique?

France Culture présente ce crime comme un phénomène plus répandu chez les catholiques


La pédophilie est-elle vraiment si catholique?
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Une émission de France Culture a présenté la pédophilie comme un crime particulièrement répandu dans l’Eglise catholique, par rapport à d’autres clochers. Est-il permis d’en douter?


Dans la première partie de l’émission consacrée à la pédophilie dans l’Église catholique, le dimanche 3 mars à 11h sur France Culture, la philosophe Monique Canto-Sperber évoque à deux reprises « l’ampleur » du phénomène. L’essayiste Thierry Pech et l’ancien ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, tiennent des propos mesurés, celle-ci rappelant que la plupart des violences sexuelles à l’égard des enfants ont lieu au sein des familles. Le politologue Bertrand Badie fait pour sa part observer qu’on doit trouver de semblables affaires du côté du protestantisme ou de l’islam. Tout cela ne satisfait manifestement pas le présentateur de l’émission, Gérard Courtois, directeur éditorial du journal Le Monde, qui s’émeut de ce qu’on ne dise pas un mot d’une singularité du catholicisme, le célibat des prêtres, qu’il qualifie successivement de « dogme » et de « tabou », et qui pourrait bien être en cause ici car, poursuit-il, il n’a pas connaissance que de tels scandales aient lieu chez les protestants. Interrogée, Monique Canto-Sperber concède que le « vœu de chasteté » que font les prêtres pourrait les rendre « vulnérables ».

Délivrez nous de la méconnaissance de l’Eglise catholique

Relevons tout d’abord deux erreurs qui, pour être secondaires relativement au débat, n’en sont pas moins surprenantes de la part de personnes qu’on ne peut présumer incultes : le célibat ecclésiastique n’est pas un dogme et les prêtres ne font pas vœu de chasteté. Un dogme est une assertion considérée comme une vérité fondamentale, incontestable et intangible. Dans l’Église catholique, c’est un article de foi solennellement proclamé par le magistère, par exemple la double nature du Christ ou la transsubstantiation. Ce n’est évidemment pas le cas du célibat sacerdotal puisque celui sur lequel le Christ a fondé l’Église, le premier pape, l’apôtre Pierre, était marié et que des hommes mariés ont été ordonnés prêtres jusqu’au XIe siècle : c’est en effet en 1074, au concile de Rome, que Grégoire VII rendit obligatoire de choisir les membres du clergé parmi des célibataires en Occident. En Occident seulement, car aujourd’hui encore il y a des prêtres catholiques mariés dans l’Église catholique de rite oriental. Le décret Presbytorium ordinis signé le 7 décembre 1965 par Paul VI rappelle que si la « continence parfaite » a toujours été tenue « en haute estime » par l’Église, « elle n’est pas exigée par la nature du sacerdoce, comme le montrent la pratique de l’Église primitive et la tradition des Églises orientales ». Du reste, il y a aussi des prêtres mariés dans l’Église catholique romaine : il s’agit généralement d’anciens pasteurs protestants convertis au catholicisme. Le premier d’entre eux fut un pasteur luthérien marié ordonné prêtre en 1951 avec l’autorisation de Pie XII, mais il y en a eu beaucoup d’autres depuis, en particulier au Royaume-Uni et aux États-Unis.

D’autre part, seuls les religieux, c’est-à-dire les membres du clergé régulier – en termes familiers les moines – prononcent un vœu de chasteté (ainsi que de pauvreté et d’obéissance). Les prêtres, c’est-à-dire les membres du clergé séculier, ne prononcent pas de vœux. En revanche, au moment de leur ordination, ils promettent à leur évêque de lui obéir et de demeurer célibataires. Le célibat ecclésiastique ne relève donc ni d’un dogme ni d’un vœu, mais d’une simple règle disciplinaire qui n’est ni nécessaire, ni universelle : elle n’a pas toujours existé et elle n’existe pas partout. Elle est contingente et donc susceptible de changer.

« L’ampleur » de la comparaison

Venons-en maintenant au fond du débat : la question de « l’ampleur » du phénomène dans l’Église catholique et celle de l’incidence du célibat sacerdotal sur ce phénomène. À partir de quand un phénomène a-t-il de l’ampleur ? On voit tout de suite que cette notion ne peut avoir qu’un sens relatif. Une quantité de 1 million n’a pas du tout la même « ampleur » s’il s’agit du nombre d’euros sur votre compte en banque ou du nombre de globules rouges dans chaque mm3 de votre sang : c’est beaucoup dans le premier cas, du moins pour un retraité de l’Education nationale, trop peu dans le second. Étant relative, cette notion ne peut donc avoir un sens intelligible que si elle est mise en relation avec autre chose. Avec quoi ? Ici, avec le nombre de cas d’abus sexuels perpétrés dans une société d’une part, avec celui de l’ensemble des prêtres catholiques, d’autre part. L’étude de référence dans ce domaine est celle du John Jay College of criminal justice de la City University de New York réalisée en 2004. Elle indique qu’entre 1950 et 2002, 4392 prêtres (il y en a 109 000 aux États-Unis) ont été accusés de relations sexuelles avec des mineurs. Un groupe de 109 prêtres concentrait le quart des accusations et un grand nombre des prêtres accusés avaient été innocentés. En fin de compte, les cas avérés concernaient, sur une période de 42 ans, 958 prêtres, soit 1% des prêtres américains. Dans une interview donnée au journal Le Monde le 8 avril 2010, Philip Jenkins, professeur à l’Université de Pennsylvanie et auteur d’un ouvrage sur ce sujet déclarait : « Quant à savoir si ce chiffre est bas ou élevé, nous n’en avons aucune idée. Aucune étude portant sur un autre groupe religieux, ou sur d’autres institutions en relation avec des enfants n’ayant été menée avec la même ampleur et le même niveau de détail. Je sais juste que certaines études montrent un taux d’abus supérieur dans les écoles laïques, mais les preuves scientifiques ne sont pas assez consistantes ». En France en 2010, il y avait 9 prêtres emprisonnés pour des faits de pédophilie, 45 qui avaient déjà été condamnés et 51 qui étaient mis en examen. À supposer que tous les mis en examen aient été reconnus coupables, cela représente un total de 105 prêtres sur les quelque 20 000 qui exercent leur ministère dans notre pays, soit 0,5 % d’entre eux. L’ONPE (Organisme national de protection de l’enfance) a recensé 20 200 plaintes pour violences sexuelles sur mineurs en 2015 et 19 700 en 2016. Pour l’ensemble de ces faits, en 2017, 70 prêtres étaient mis en examen ou condamnés. Est-ce un phénomène d’une grande ampleur ? Si 70 personnes issues de l’immigration arabo-musulmane étaient condamnées ou mises en examen pour un total de 20 000 crimes et délits, soit 0,35%, parlerait-on d’un phénomène de grande ampleur ?[tooltips content= »Rappelons que selon Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’intérieur, 50% des infractions constatées sont imputables à des jeunes « dont le patronyme est de consonance africaine ou maghrébine » ; que selon le sociologue Farhad Khosrokhavar, le pourcentage de détenus musulmans s’élève de 50 à 80% dans les établissements pénitentiaires des quartiers sensibles. C’est beaucoup plus de 0,35%, mais je n’ai jamais entendu aucun média présenter cela comme un phénomène « de grande ampleur ». »]1[/tooltips]

Les laïcs sont (beaucoup) plus concernés que les prêtres

Demandons-nous enfin si le célibat sacerdotal peut être mis en rapport avec la pédophilie. Selon l’OMS, en Inde, pays qui compte moins de 2% de catholiques, 40% des enfants sont victimes d’abus sexuels. Aux États-Unis, la plupart des cas recensés chaque année ont lieu au sein des familles. En France, selon le SNATEM (Service national téléphonique d’accueil de l’enfance maltraitée), il s’agit d’inceste dans 75% des cas. Selon le Réseau irlandais de crise sur les viols, dans 50,8% des cas les agresseurs sont des parents et dans 34% des proches, voisins ou amis de la famille. Dans 6,3% des cas seulement les prédateurs sont des figures d’autorité telles que instituteurs, moniteurs de colonie ou prêtres. Cela concorde avec le constat de l’Unicef en 2016 selon lequel 94% des auteurs d’actes pédophiles seraient des proches. Il en résulte donc, pour le dire en termes durkheimiens, que le célibat ecclésiastique constituerait plutôt un « coefficient de préservation » par rapport à la pédophilie. Dans ces conditions, plutôt que de marier les prêtres, ne serait-il pas plus raisonnable d’ordonner les laïcs ?

Les imams, n’en parlons pas

Il serait intéressant de pouvoir comparer le nombre de cas de pédophilie avérés chez les prêtres catholiques et orthodoxes, les pasteurs protestants, les imams et les rabbins, mais aucune étude scientifique n’est disponible à ce sujet. La rumeur, invérifiable, veut qu’ils soient particulièrement nombreux chez les imams. Ce qui est avéré, en revanche, c’est que certains d’entre eux n’hésitent pas à en faire l’apologie. Ainsi Chems Eddine, l’Imam vedette de la chaîne algérienne Ennahar, a justifié dans les termes suivants, sur les ondes de la radio Jil FM, le 8 avril 2013, le viol d’une fillette de 12 ans par un homme de 37 ans : « Lui, il a 37 ans dans le corps, mais dans l’esprit il a le même âge que la fille […] il se peut qu’il soit adulte même dans son esprit et que cette fille de 12 ans soit mûre. 12 ans, mais c’est une femme ! ». En France également, l’Imam Khattabi de la mosquée Aïcha de Montpellier aurait procédé à une semblable apologie, assortie d’une justification coranique, dans un prêche du 31 mai 2013 à la Grande Mosquée de Montpellier : « Aïcha, le prophète l’a demandée en mariage à 7 ans et il a consommé son mariage avec elle à 9 ans ». Et il est vrai que Mahomet est, dans la religion musulmane, le « bel exemple » à suivre. L’Imam Khattabi aurait poursuivi son prêche de la façon suivante : « Dans l’Islam, la question, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question pubère ou non pubère, prêt ou non prêt, prête ou non prête. »

À ma connaissance, aucun curé n’a jamais tenu de propos justifiant la pédophilie dans son sermon dominical, mais si cela avait été le cas, on peut présumer que les médias s’en seraient émus davantage que dans le cas de l’imam Khattabi. Leur discrétion ici tient sans doute à ce que l’islam est seulement la « deuxième religion de France », négligeable à ce titre.

Le Monde proteste

Gérard Courtois nous disait n’avoir pas eu connaissance de scandales pédophiliques « depuis une ou deux décennies » chez les protestants. C’est étonnant. En effet, le 20 juillet 2010, son journal Le Monde publiait un article titré « L’Église protestante allemande décapitée par les scandales » et sous-titré « Les révélations en série de cas d’abus sexuels sur mineurs touchent à présent l’Église protestante ». On y apprenait que ces scandales avaient contraint Maria Jepsen, évêque de Hambourg, à démissionner de son poste pour avoir protégé un pasteur pédophile. Et beaucoup plus récemment, le 13 février dernier, le même journal Le Monde publiait un article titré « Aux États-Unis la principale Église protestante rattrapée par le scandale des abus sexuels ». On y apprenait que 400 pasteurs baptistes de la Southern Baptist Convention (SBC) étaient impliqués dans des abus sexuels concernant plus de 700 victimes, la plupart mineures.

On conseillera donc à M. Courtois de lire les articles publiés par le journal qu’il dirige.



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est agrégé de philosophie, ancien professeur de classes préparatoires et inspecteur d'Académie-Inspecteur pédagogique régional honoraire.

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