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Il fut un temps où la France était respectée en Egypte…

Quand l'Egypte parlait français


Il fut un temps où la France était respectée en Egypte…
Emmanuel Macron visite le temple d'Abou Simbel en Egypte, janvier 2019. ©ELIOT BLONDET-POOL/SIPA / 00892681_000002

Hier, la France et l’Egypte entretenaient de puissants liens culturels. Aujourd’hui, la première vend des armes à la seconde.


 Loin des gilets jaunes ou des foulards rouges, le président Macron termine une visite en Egypte. Séjour au calme où, entre deux visites d’antiquités, le marcheur vend des armes et des Rafale au si contesté président Sissi… qui lui oppose sa vision des droits de l’homme.

Longtemps, pourtant, Egypte et France furent d’une rare proximité. « Il y a vingt ans, l’Egypte était une terre française. M. de Lesseps était prophète, et quand on avait dit: ‘Monsieur le Comte’, on avait tout dit. » Ces quelques mots furent écrits le 20 octobre 1894 par l’homme dont le nom évoque toute l’aventure du colonialisme français: Lyautey.

Une conquête humaine

Sans avoir été une colonie ou un protectorat de notre pays, le delta du Nil se laissa pendant plus d’un siècle transporté par les méandres d’une France au rôle important mais souvent méconnu dans la construction de la nation moderne égyptienne.

Il fut un temps où la France y était vue d’un regard plein de chaleur et de respect. Les liens entre les deux pays commencent pourtant mal, lorsqu’un général corse débarque à Alexandrie pour défendre, en 1798, le sultan de Constantinople face aux velléités indépendantistes d’un mamelouk, albanais de sang et débonnaire d’esprit.

La conquête n’est pas que militaire. Elle est « humaine » dans sa globalité. Bonaparte emmène avec lui des savants (dont le mathématicien Monge), des peintres, des lettrés. Comme Alexandre avant lui, Napoléon, fils de la Révolution, voit dans chaque conquête, la découverte de civilisations exceptionnelles. Et la France va rester sur place. Durablement.

Tel un Bernadotte pour le trône de Suède, la France révolutionnaire puis bonapartiste a su faire émerger des tréfonds de son âme des talents venus du peuple que le monde nous envie, nous prend. Mehemet Ali, le père fondateur de l’Egypte moderne, confie la formation de son armée à un officier de renseignement de la Grande Armée, Joseph Sève. Ce Lyonnais aux racines beaujolaises est un vétéran de Trafalgar et des campagnes d’Italie. Resté en Egypte, il se convertit à l’islam et devient célèbre sous le nom de Soliman Pacha. C’est lui qui va moderniser l’armée égyptienne en la dotant d’une artillerie et d’officiers dignes de ce nom. Généralissime des armées d’Egypte, devenu pacha, il est promu grand officier de la Légion d’honneur par Louis-Philippe. Le roi Farouk, dernier roi du pays, n’est autre que son arrière-arrière-petit-fils.

Influences réciproques

Au niveau financier, le pays a besoin de deniers pour aménager le pays jusqu’au Soudan. Devant une Grande-Bretagne désireuse de défendre la route des Indes en accaparant l’Egypte, la France fait figure de modèle. Malgré des réticences au début, le projet de construire un canal pour rejoindre la mer Méditerranée et l’océan Indien du diplomate Ferdinand de Lesseps est adopté. Ce tracé va profondément changer l’histoire de la région. Le chantier dure dix ans de 1859 à 1869, 40 000 actionnaires français donnent 200 millions de francs. Une emprise française que vont bientôt contester les Britanniques, nouveaux maîtres du pays dès 1882, qui rachètent les dettes de l’État égyptien.

Mais les relations d’amitié franco-égyptiennes ne sont pas entachées. Elles s’appuient notamment sur les solides fondations bâties par l’égyptologie qui, en France, a un succès fou. L’obélisque de la place de la Concorde est offert à la France en 1836 et il n’est pas chauvin de prétendre qu’hormis Howard Carter, la France a fourni avec Champollion, Pierre Montet ou Christiane Desroches-Noblecourt le contingent des plus grands égyptologues. Par ailleurs, dans la France de Balzac, Hugo, Flaubert, dans cette France de 1848, la culture est centrale et la IIIème République crée des écoles françaises, laïques comme catholiques sur le territoire égyptien. Le savoir devient une arme diplomatique. Les droits de l’homme par la salle de classe.

Ce n’est pas un hasard si Louis Massignon, l’un des plus éminents islamologues du XXe siècle a longtemps étudié au Caire, tout comme des chercheurs comme Gilles Kepel ou Henri Laurens.

L’école permet aux chrétiens d’Egypte, commerçants des villes pour la plupart, de s’émanciper du pouvoir sunnite et de prendre leur place dans la modernisation de leur pays. Beaucoup aiment à dire que leur présence est antérieure à l’Islam. Qu’ils soient coptes au Caire ou Grecs orthodoxes à Alexandrie, ils suivent des cours dans les missions laïques ou catholiques avant de continuer entre Paris et Le Caire leur formation académique. Comme la poète Andrée Chédid ou la famille Boutros Ghali, qui donnera au pays un Premier ministre dans les années 1910 puis un secrétaire générale des Nations unies.

Au XIXe comme début XXe, l’ennemi commun, l’Anglais, favorise ce rapprochement. Le Français n’est pas qu’une langue, c’est une pensée. L’influence de la Révolution française et du Printemps des Peuples de 1848 donne de l’espoir aux nationalistes égyptiens. Déjà au XVIIIe, Rousseau et Montesquieu côtoient des auteurs arabes, comme Boutros Al-Bousthani, Jamal Al-Din ou encore le syrien Al-Kawakibi. La « Nahda » (l’essor, la renaissance) est en marche. Est-ce pour rien que des Arabes venus de Syrie, du Liban ou d’Egypte créent en 1913 un Congrès national arabe ?

Les guerres mondiales ne changent rien. Durant la Seconde, c’est d’Alexandrie que les Barberot, Patou et autres D’Estiennes d’Orves quittent la marine si vichyste pour devenir des héros de la France Libre, grâce à l’appui qu’ils trouvent au départ dans la grosse communauté française des années 40 qui lui permet de se cacher et de rallier De Gaulle.

Barrage contre la Méditerranée

Dans les années 50, on sauve les meubles. La France souhaite conserver sa place en Egypte malgré l’effondrement de 1940 et une décolonisation qui sent la fin d’une histoire. Pour y préserver ses intérêts tant économiques que culturelles, la France y envoie ses diplomates les plus chevronnés : Couve de Murville devient notamment ambassadeur au Caire en 1955. A l’époque, l’Egypte du roi Farouk est toujours aussi francophile. Mais en 1956, la rupture est brutale.

A l’instar, des émirs de la Péninsule arabique, au discours ultra-conservateur à la maison mais consumériste et libertaire à Marbella, le Roi Farouk passe de plus en plus de temps de l’autre côté de la Méditerranée. Pas pour des séminaires au Collège de France, mais pour y prendre du bon temps au volant des plus belles cylindrés et aux côtés des plus belles femmes. Ce faste irrite profondément une population égyptienne essentiellement composée de faméliques fellahs profondément croyants. Dans un espace géographique de plus en plus épris de discours nationalistes, l’attitude jugée trop conciliante du roi envers les Britanniques, encore aux manettes de bon nombre de rouages économiques du pays malgré l’indépendance de 1936, n’arrange pas les choses. En 1954, le mouvement des officiers libres, mené par les militaires Neguib, Nasser et Sadate prend le pouvoir. Deux ans plus tard, nouveau coup d’éclat : Nasser, le plus charismatique de ces révolutionnaires, prend la relève face au vieillissant Neguib. Porte-parole d’un monde non-aligné, chantre du nationalisme arabe anti-impérialisme, le discours du militaire au sourire charmeur et à la carrure sportive va immédiatement effrayer ses adversaires dans la région : Israël, la France et le Royaume-Uni. Le président du Conseil français, Guy Molle, et son ministre Christian Pineau, le suspectent à raison d’armer le FLN.

Devant le refus des Etats-Unis, nouvelle puissance centrale dans la région, de financer un barrage à Assouan, le général Nasser décide, en 1956, de nationaliser le Canal de Suez. Les Français et les Britanniques, à l’aide des Israéliens, répliquent par l’envoi de parachutistes : c’est l’opération Mousquetaire. Les deux nouvelles puissances mondiales, Etats-Unis et URSS, mécontentes d’avoir été écartées du projet, décident de faire payer aux Européens cette attitude arrogante et dépassée. Ils font échouer la coalition. L’Egypte et la Syrie, les deux pays baasistes de la région coupent les liens avec la France. Près de 150 années d’amitiés sont balayées après cette catastrophe diplomatique.

La crise de Suez a un impact important pour les intérêts français. On ferme les deux principaux lycées de la mission catholique française. On ferme également les instituts de droit et d’archéologie. Nasser fait expulser 300 instituteurs. Les avoirs français sont bloqués, on passe de 12,5 à 3 milliards de francs. Les importations de coton- centrales pour notre industrie – passent, elles, de 15 milliards à 2 milliards de francs on ferme le banc.

Les restes de Suez

Les liens du cœur ont beau avoir été affectés, il reste toujours aujourd’hui un certain amour, une certaine nostalgie de ce flirt de jeunesse. Près de 150 000 Egyptiens vivent en France, un chiffre important pour une communauté non-issue de notre empire coloniale. Beaucoup sont des chrétiens fuyant l’islamisme violent et purificateur de la confrérie des Frères musulmans.

La crise de 1956, la fin des colonialismes, l’activité américaine dans la région et une vie intellectuelle française loin de ses grandes heures ont toutefois bien entamé les relations culturelles entre les deux pays. L’économie a nettement dépassé la culture comme base des liens diplomatiques, la vente de quelques armes permettant de remplir les caisses de l’État tout en renforçant l’assurance de nos « coqs » à l’Elysée, depuis Jacques Chirac jusqu’à Emmanuel Macron. Vivement une « Nahda » française !



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