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Ours dans les Pyrénées: bobos contre bergers, le dialogue de sourds

Deux ourses slovènes ont été lâchées dans les Pyrénées


Ours dans les Pyrénées: bobos contre bergers, le dialogue de sourds
Foire au fromage de Laruns (Pyrénées-Atlantique) dans le contexte de la réintroduction de l'ours, octobre 2017. SIPA. 00878994_000013

Deux ourses slovènes, Claverina et Sorita, ont été lâchées en Béarn les 4 et 5 octobre derniers. La population d’ursidés sur l’ensemble des Pyrénées françaises est désormais estimée à 45 individus, mais le sujet divise toujours autant pro et anti réintroduction.


Le repeuplement timide des Pyrénées depuis 1996 avec des ours slovènes, via le nouveau « Plan d’actions ours brun 2018-2028 », offre un spectacle tendu. D’un côté, nous observons des défenseurs de la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées qui – pour certains d’entre eux – ignorent jusqu’à la biologie de ursus arctos arctos, les légères dissemblances du pyrénéen avec son cousin slovène sur le plan du patrimoine génétique, le biotope protéiforme de la chaîne qui va de l’Atlantique à la Méditerranée (sans même évoquer le versant espagnol, et l’ours se moque des frontières), qui font rarement usage de brodequins et de jumelles, qui préfèrent ne pas savoir que l’ours est à l’occasion carnivore et un prédateur évidemment sans état d’âme, et qui ne savent de sa sauvagerie que ce qu’internet en murmure. Ceux-ci se posent néanmoins en censeurs et en donneurs de leçons depuis leur appartement en ville. Face à eux, nous voyons des éleveurs, des gens du cru, des femmes et des hommes de terrain dont l’élevage des ovins est le gagne-pain, maigre de surcroît. Ceux-là appréhendent l’ours comme un grand prédateur déchiquetant à qui mieux mieux nombre de moutons et agneaux, leur capital, créant des paniques générales suivies de chutes mortelles dans les troupeaux qu’ils attaquent, et où se trouvent parfois des brebis dont la gestation avorte.

D’un monde à l’autre

Deux mondes que tout oppose s’affrontent dans un débat sans issue intelligente. Classique et vain comme une joute entre un aficionado a los toros et un anti-corrida, ou entre un chasseur responsable et un anti-chasse obtus. On appelle cela des dialogues de sourds. Aucune prothèse auditive ne saurait faire entendre raison aux protagonistes.

D’un côté, des citadins ayant accès à des médias en mal d’audience, lesquels ferment par ailleurs les yeux sur les dérives incontestables de certains discours fascisants à l’encontre des bouchers, au nom de leur dictatorial audimat. De l’autre, des acteurs économiques responsables, pragmatiques par la force des choses, vivant au contact de la nature, en connaissant donc le principe de prédation, son inhérente cruauté, et éprouvant la précarité de leur propre quotidien. L’enjeu n’est pas qu’un sujet de « prime time » ou de dîner à la maison.

Cohabitation impossible ?

Qui voyage dans quelques pays de l’Europe de l’Est où l’ours brun prospère, ainsi qu’au Québec où l’ours noir est une plaie tant il cause des dégâts en s’invitant en milieu urbanisé, constate qu’il existe encore des territoires où les ours (au prix de leur pathétique dépendance), parviennent à cohabiter avec l’homme.

L’envie est alors grande de se ranger du côté des bergers et autres acteurs du pastoralisme, tout en restant viscéralement proche de ceux qui, parmi les partisans de la réintroduction des grands prédateurs, rêvent d’un retour à une biodiversité façon XIXe siècle, lorsqu’en France, loups, ours, lynx étaient nombreux, mais vivaient grosso modo en harmonie avec l’homme (qui les chassait), comme autant d’usagers d’une nature en partage : on savait à quoi s’attendre, et on ne dramatisait jamais aucune situation. Nous pourrions même imaginer pour les générations à venir le retour du métier d’orsalhèr, de montreur d’ours (surtout ariégeois) qui allait de village en village avec son animal dressé. En marge de la mythification de l’ours via une abondante littérature, la fantasmagorie qui domine est une image d’Épinal inoffensive : celle du nounours en peluche. Loin des redoutables griffes et mâchoires du plantigrade. Quoique certains autres mythes aient la vie dure, comme celui de l’ours (symbole de fertilité), qui kidnappe la femme « sacrifiée », pour des parties de pattes en l’air ayant engendré le personnage de Jean de l’Ours. La célébration de Carnaval, en Soule et en Bigorre, et les fêtes de l’ours des Pyrénées-Orientales en sont la vivace et païenne illustration. Ce folklore, au sens ethnographique du terme, siège à l’opposé de la mythologie qui s’est emparée du loup croqueur d’enfants, sujet de tant de contes destinés à l’entretien d’une peur ancestrale, ancrée dans l’inconscient collectif européen.

Le culte du sauvage

Si l’on aime démesurément la nature dans ce qu’elle a de plus authentique, nous sommes enclins à plaider en faveur du retour massif des grands prédateurs comme l’ours… En assortissant celui-ci d’un réel non-interventionnisme, condition sine qua non pour préserver le sauvage et ne jamais mettre le doigt dans le processus pervers du « désensauvagement », lequel conduit à la « disneysation » d’une nature dénaturée, car conçue par des protecteurs paradoxaux, comme un immense parc d’attraction au service de l’homme qui en a fait son rassurant joujou.

Les lâchers comme expression d’un interventionnisme devraient pouvoir suffire comme coup de canif dans ce « contrat naturel ». Il conviendrait de se passer d’un excès de suivi technique et scientifique, de nous défaire de notre obsession de vouloir tout contrôler à l’aide d’émetteurs VHF intra-abdominaux, de colliers GPS/GSM, d’appareils photo plantés sur les arbres… Et de ficher une paix royale aux ours lâchés. À l’opposé, figure donc la « disneysation » comme illustration d’un anthropomorphisme bisounours. Cela réduit la condition animale à l’asservissement pour le seul plaisir zoolâtre d’une population coupée de la nature, en mal de frissons de campeur, et aveuglée par une sensiblerie de mamie-à-chien-chien sujette à caution.

Les antispécistes contre l’implantation de l’homme ?

Par ailleurs, les apôtres de l’antispécisme, cette autre forme de fascisme anti-humain au mode opératoire terrorisant, placent sur le même plan la vie d’un rat et celle d’un homme (leur voix s’est violemment élevée lors de la mort par légitime défense d’un ours pyrénéen en 1997), et pourraient infiltrer les rangs des « pro » ours pacifiques, qui sont légion. Il faut par conséquent se méfier de certains partisans de la réintroduction des grands prédateurs, potentiellement capables d’exactions au nom de leur ressentiment. Comme il faut prendre également très au sérieux les menaces d’action armée de certains bergers des vallées béarnaises, telles qu’annoncées lors du passage éclair du nouveau ministre de l’Ecologie François de Rugy à la veille des deux lâchers du début du mois. D’un côté comme de l’autre, un dérapage est toujours à craindre qui aurait l’effet d’une étincelle dans une poudrière.

Plaider pour des Pyrénées à nouveau peuplées d’ours, à la condition non négociable de protéger très efficacement tous ceux qui vivent de cet espace (chiens de montagne « patous » et indemnisations n’ont jamais suffi), en se réservant la possibilité – sur le long terme – de réguler des animaux en surnombre (rêvons un peu) ou dangereux (comme pour le loup), pourrait être une solution équitable qui éviterait aussi le braconnage.

Afin que, s’agissant du seul massif pyrénéen français et des ours slovènes qui s’y acclimatent, nous puissions un jour savourer à nouveau le bonheur d’une biodiversité de toute manière intranquille au sein de laquelle l’homme, super-prédateur numéro un depuis si longtemps, croiserait ses concurrents d’hier sur le terrain des opérations bucoliques.

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est journaliste et écrivain.

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