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Le monokini, c’est fini

Les Françaises ne savent plus à quel sein se vouer


Le monokini, c’est fini
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Un demi-siècle après sa création, le monokini – ou le topless – tend à disparaître des plages françaises. Simple effet de mode ou signe manifeste d’une profonde évolution sociétale ?


Je suis arrivée en France à la fin du dernier millénaire. J’ai eu la chance de  m’installer à Nice, à deux pas de la célèbre Promenade des Anglais et de ses fameuses plages à galets.

Au début, l’Algérienne fraîchement débarquée que j’étais, trouvait la pratique du monokini un peu surprenante et troublante. Moi, qui venais d’une société où la tendance allait plutôt vers davantage de tissu, j’étais mi-embarrassée mi-fascinée de voir ces femmes aux seins nus. Elles se baignaient, bronzaient, lisaient, discutaient sans le haut du maillot, et elles semblaient parfaitement à l’aise, sans que personne n’y trouve rien à en dire.

Et bien que j’eusse fait le choix de garder le mien, j’ai fini par considérer la poitrine comme une quelconque partie de l’anatomie féminine, « décemment montrable à la plage », au même titre que les cuisses ou le ventre.

Sociologie du téton

Il fallait dire que le monokini était à l’époque une pratique socialement bien installée ; une femme sur deux se montrait seins nus à la plage, et toutes les tranches d’âges étaient concernées, y compris les personnes âgées à la peau desséchée par le soleil. Le monokini à Nice, c’était comme la socca ou l’artiste Ben, une carte postale de vacances, kitsch mais sympa !

Ainsi, sur la Côte d’Azur, les débuts houleux de ce « costume de bain » semblaient bien loin de l’an 2000. Pour la petite histoire, introduit en 1964 par le styliste américain Rudi Gernreich, le monokini devient rapidement le symbole de l’émancipation féminine.

Dans la France des années soixante, exposer publiquement sa poitrine pour une femme était passible d’une peine d’emprisonnement, allant de trois mois à deux ans, et jusqu’à 15 000 francs d’amende. Le monokini tombait sous l’article 330 de l’ancien Code pénal, il faudra attendre 1994 pour que ce dernier soit abrogé.

Dans la vidéo de l’Ina ci-dessous, il est clair que l’apparition de cette pratique était plutôt controversée dans la France pré-Mai 68. Ce n’est que plus tard qu’elle sera normalisée.


Cependant, ces dernières années, on observe en France un net recul du monokini. Cela est d’autant plus frappant sur les plages niçoises. D’ailleurs, selon une étude réalisée l’été dernier par l’agence Statista, c’est dans le « Sud est » que les femmes pratiqueraient le plus le topless. Elles seraient 43 % contre 22 % pour la zone « Nord-ouest ».

« Terrorisme esthétique »

J’ai voulu savoir pourquoi les Niçoises avaient remis le haut. J’ai interrogé quelques copines anciennes pratiquantes, les réponses qui revenaient le plus souvent étaient celles-ci :

« C’est passé de mode… Ça ne se fait plus… Ce n’est plus de notre âge… Ce n’est pas bon pour la santé… Je ne veux pas me retrouver sur Internet… »

Les raisons évoquées par mes amies se rejoignaient d’une certaine manière, il est surtout question de représentations et de nouveaux standards sociaux.

D’après une enquête réalisée en août 2017 par l’IFOP, le nombre de Françaises qui pratiquaient le topless a été divisé par deux au cours de ces 30 dernières années. Pour François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités de l’IFOP, cette tendance relève du « terrorisme esthétique », celle-ci est selon lui fortement liée au diktat du corps parfait :

« C’est autant le regard des autres que le regard qu’elles portent sur elles-mêmes qui poussent les Françaises à moins se dévoiler aujourd’hui qu’hier. Dans un contexte plus que jamais marqué par le culte de l’apparence et le déferlement d’images de corps parfaits, la crainte de ne pas répondre aux canons de beauté en vogue constitue sans doute un frein important pour toutes celles qui ont intériorisé l’idée qu’il fallait un corps « irréprochable » pour se permettre de le montrer en public », déclare-t-il sur le site de l’institut.

Baignade interdite à Toulouse

C’est probablement le cas, mais je trouve que cela fait plutôt partie d’un tout, d’une tendance générale : la pudeur est dans l’air, dans les mentalités, dans l’inconscient.

Pas plus tard que le mois dernier, La Depêche rapportait que la plus grande piscine extérieure toulousaine interdisait désormais les poitrines qui oseraient prendre un bain de soleil. Si dans les années 1980 et 1990 le corps était dévoilé à outrance, y compris pour vendre du coton-tige, force est de constater que le phénomène s’est aujourd’hui bien inversé ; les seins se font plutôt rares à l’écran. En outre, la censure fait rage sur les réseaux sociaux, certaines restrictions, portant sur des œuvres d’art connues, ou encore sur des images de femmes allaitantes, frôlent souvent l’absurde.

« Le fond de l’air est puritain », écrivait Sophie Bachat dans un article paru ici-même. Elle y évoquait la célébration de la Fête de la Vertu à Salancy, pointant du doigt le retour du concept de virginité.

La jeune fille aux deux perles

Cette tendance vers plus de pudeur n’épargne pas les plages niçoises. J’ai passé une bonne partie de l’été à guetter l’apparition d’une baigneuse sans le haut. J’étais sur le point de désespérer, et lorsque je m’y attendais le moins, par une fin d’après-midi caniculaire, je les avais enfin vus ; de petits seins fermes en forme de pomme, se dressant fièrement face à la mer. Leur propriétaire, la trentaine bien sonnée, se tenait debout, les mains sur les hanches, comme dans un geste de défi.

Je n’étais pas la seule à l’avoir remarquée, j’avais l’impression que la plage s’était figée, il y avait comme de l’électricité dans l’air, la tension était très palpable, les regards était tous dirigés vers la jeune femme aux seins nus.

J’observais les réactions, certains affichaient leur désaccord par des grimaces et des mouvements de tête désapprobateurs, d’autres avaient détourné leurs yeux outrés, j’ai même vu un homme adulte enfouir son visage dans ses bras, comme le ferait un enfant, pour ne plus la voir. À côté de cela, certains avaient dégainé leurs téléphones pour immortaliser ce moment.

La scène n’avait duré que 3 minutes, mais j’avais l’impression qu’une éternité s’était écoulée, la jeune fille avait fini par remettre son haut, et les estivants spectateurs semblaient soulagés.

Hier encore, il y a 20 ans…

Je me suis demandé comment se faisait-il que la même posture, au même endroit, soit perçue si différemment en moins de 20 ans ? Comment un acte aussi banal et anodin en l’an 2000, pouvait-il devenir si négatif et transgressif en 2018 ?

À cet instant, j’ai eu une révélation : la disparition du monokini en France est principalement due à une sorte de pression sociale, tacite, mais bien tangible. C’est une boucle qui s’auto-alimente : on ne tolère plus le topless parce qu’on n’a plus l’habitude de le voir, et on ne le voit plus, parce qu’il n’est plus toléré.

Quoi qu’il en soit, je déplore la disparition du monokini, j’y vois la perte d’un droit acquis par nos ainées. Ma mère et moi avions le choix de nous trouver sur une plage seins nus, ma fille ne l’aura probablement pas.

J’entends déjà certains d’entre vous objecter que la liberté des femmes ne se résume pas à la nudité corporelle, que le topless est aussi interdit chez les Américaines et les Canadiennes, dont la condition compte parmi les meilleures au monde.

Je vous répondrai que, certes, si vous pensez que la question se résume au fait de montrer ses seins ou non, c’est que vous n’avez rien compris ! Mais réfléchissez un peu… Si 20 ans auparavant les femmes étaient libres ou non de se baigner seins nus, qui nous garantit que ce qui est la norme aujourd’hui, à savoir le bikini, le reste les vingt prochaines années ?

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Prof contractuelle. Installée en France depuis l'an 2000, j'ai effectué un troisième cycle d'études littéraires à l'Université de Nice, je suis aussi auteur, traductrice littéraire et journaliste.

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