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Avignon : je ne suis pas un festival Monsieur !

L'édition 2018 du festival d'Avignon avait pour thème le "genre"


Avignon : je ne suis pas un festival Monsieur !
Photographie de la pièce "L’Invocation à la muse" de Caritia Abell et Vanasay Khamphommala. © Christophe Raynaud de Lage

L’édition 2018 du festival d’Avignon, qui a pris fin hier, avait pour thème principal le « genre ». En la matière, l’évènement n’a pas déçu. 


Rideau. Le festival officiel d’Avignon, événement incontournable de la scène théâtrale française, s’est terminé hier, 24 juillet. Heureusement, l’incontournable Olivier Py, son directeur depuis 2014, nous a une fois de plus offert un mémorable moment. Cette édition 2018 a montré, d’une façon particulièrement virtuose, qu’il était souvent très difficile de distinguer l’art contemporain de sa propre caricature.

D’autant plus qu’il était placé, cette année, sous le signe du « genre ». Sans en être la thématique exclusive, le programme a comporté un nombre important de spectacles liés à ce concept mettant les auteur-rice-s, metteur-se-s en scène, et acteur-rice-s dans un état de questionnement profond, lesquels transcrivent ensuite sur scène leurs émois dans une démarche « libératrice ». Problématique fondamentale pour le monde du spectacle, à commencer par Olivier Py lui-même, qui se produit depuis plus de trente ans sur scène en tant que « Miss Knife », son « double féminin ». Le thème du genre a donc été traité sous différentes facettes : travestissement et transsexualité, troubles de l’identité sexuelle, éloge de la non-binarité, mais aussi contestation de la « domination patriarcale ».

« Je vais te claquer la chatte »

Dans le spectacle Saison sèche, de Phia Ménard, l’intrigue peut se résumer en ces mots : oppression de la femme par le patriarcat, lutte et émancipation. Si on peut d’ailleurs parler d’intrigue, étant donné que l’art postmoderne, que ce soit en littérature, en peinture ou en théâtre, n’a plus besoin de « sens », d’ « histoire » ou d’ « intrigue », mais seulement d’un « narratif » (terminologie derridienne), une quelconque chose qui n’a pas besoin de vouloir dire quoi que ce soit, pour produire une œuvre. La pièce ne comporte donc pas de paroles, ou si peu : au début de la représentation, une actrice crie : « Je vais te claquer la chatte », phrase symbolisant l’objectivation des femmes par le regard des hommes. Ensuite, sept femmes se retrouvent sur la scène au plafond bas (étouffement du patriarcat), puis se déshabillent, se couvrent de peinture, sautent en poussant des cris : c’est la libération vis-à-vis du monde masculino-centré. Les hommes sont mis en scène dans une pseudo-parade militaire (violence ontologique de l’homme). Et pour conclure, les femmes nues et couvertes de peinture se baladent dans le décor qui a été explosé : les carcans ont été renversés, c’est l’avènement d’un monde nouveau.

La norme cisgenrée ne passera plus

Dans un tout autre style, Trans (més enllà) – ce qui veut dire « Trans, au-delà » en catalan -, de Didier Ruiz, est lui au contraire totalement saturé par la parole. Parole qui ne constitue cependant pas non plus une histoire, mais qui n’est que discours, ou « témoignage » (mot des plus à la mode), de sept (encore sept, peut-être que les références bibliques n’ont pas été aussi mises au ban que les artistes le voudraient) transsexuels catalans. Et pendant 1h10, le « spectacle » à la scénographie à peu près inexistante consiste en un récit par ces sept personnes de leur transformation, des relations avec leur famille, de leur perception du regard des autres… Pour finir par un discours moralisateur du metteur en scène sur l’acceptation de la différence. Cela aurait pu faire un mauvais documentaire télé ; Avignon a préféré en faire une pièce de théâtre.

Rien

On retiendra aussi le sophistiqué 4, de Matthieu Delangle, Nathalie Maufroy et Claudio Stellato, classé dans la catégorie « Indiscipline/Sujets à vif ». Sur la scène, un homme en caleçon affublé d’une tête de kangourou tape sur des clous enfoncés dans une planche. Un homme traverse ensuite le mur en carton qui se trouve derrière lui. Tous deux s’asseyent sur la planche et la scient en-dessous d’eux. Alors que pour les deux précédents spectacles, il y avait un semblant de projet (dénonciation de la tyrannie masculine, hétéro et cisnormée), ici, il n’y a rien.

« Il est également chanteuse »

Ce petit florilège se termine par l’évocation du spectacle L’Invocation à la muse, de Caritia Abell et Vanasay Khamphommala, qui nous laisse au summum de l’effarement. Il faut déjà lire la description donnée des deux « artistes » :

« Caritia Abell est une artiste queer d’origine afro-caribéenne. Guerrière intrépide, elle crée des rituels mêlant érotisme et chamanisme, où le corps devient espace de renversement et de transformation ». Son compère, lui, est « d’abord musicien », puis « se forme comme acteur et travaille comme dramaturge, interprète et performeur, en parallèle d’un parcours universitaire. Il est également chanteuse ».

Dans le spectacle conçu par ces deux extravagants, un homme arrive sur le plateau avec un sac rouge sur la tête. Puis une femme, habillée d’une robe verte flottante, (la muse) s’avance lentement vers lui. Elle le déshabille (il porte une culotte en dentelle rouge en-dessous), puis s’amuse à manier son corps de diverses façons : elle lui verse de la cire brûlante dessus, le fouette, tape ses fesses avec des livres, et enfin lui enfonce des plumes prolongées d’aiguilles dans la peau. Tout cela alors qu’il pousse des râles quelque peu équivoques, fait tinter une clochette qu’il a au bout du bras et profère des paroles qui se veulent mystiques (par exemple : « So many things distracting us from the wind…», c’est-à-dire « tellement de choses nous distraient du vent »). Finalement, la muse enlève le sac qu’il a sur la tête : il voit enfin, dénoue ses longs cheveux bruns et enfile les escarpins argentés à paillettes qu’elle lui a donnés. Puis il se met à chanter, d’une voix aiguë de contre-ténor, avec sa culotte rouge et sa clochette.

Ne soyons cependant pas injustes : des pièces d’une grande qualité, m’a rapporté un ami théâtreux, ont aussi pu être vues au festival, comme l’adaptation du Thyeste de Sophocle ou encore Mama de Ahmed El Attar. Qualité encore rehaussée par le contraste avec les étonnants spectacles qui ont peuplé le festival. Car on aurait pu en évoquer d’autres : l’Antigone d’Olivier Py avec des détenus de la prison d’Avignon, l’ahurissante La Nuit sans retour, ou encore les innombrables films sur les « troubles dans le genre ».

« L’écrasement des femmes par les hommes est le premier crime contre la pensée humaine »

Enfin, le festival d’Avignon n’aurait pas été le festival d’Avignon si la politique n’avait pas été (encore) plus présente. L’artiste, lumière morale de l’humanité, a en effet conscience de sa mission d’éducation et de critique de la société contemporaine. C’est ainsi qu’une dénommée Carole Thibault, directrice du Centre dramatique national de Montluçon, a fait un geste fort pour faire progresser la condition des femmes, la cause qui lui tient à cœur. S’inscrivant dans la glorieuse lignée des artistes refusant le carcan de la reconnaissance officielle, tel Sartre dédaignant le prix Nobel de littérature en 1964, elle a choisi de refuser un prix qui lui était attribué : un Molière (en fait un faux Molière, dans le cadre d’une mise en scène orchestrée par l’équipe du festival). Ce refus a pris la forme d’un discours enflammé, plein de trémolos dans la voix, commençant par égrener des chiffres (entre autres, « la programmation du festival IN [ndlr : le festival officiel], hors jeune public, présente 9% d’autrices femmes pour 91% d’auteurs hommes ») et continuant par des paroles fortes : « La sexuation est un déterminisme physiologique totalement arbitraire, qui selon que tu reçois un vagin ou une bite à la naissance, te prédétermine comme sujet dominant ou dominé » ! Et après cette puissante dénonciation de la sexuation, on a aussi appris que « l’écrasement des femmes par les hommes est le premier crime contre la pensée humaine. Il produit des millions de meurtres chaque année ».

Si théâtre et politique ont toujours entretenu des liens ambigus, ici, toute nuance a disparu dans le grand marasme des fétiches idéologiques des milieux « culturels ».

Dans un reportage sur Olivier Py, paru le 6 juillet dernier, M le Magazine du Monde le décrit en ces termes : « Le rebelle institutionnel », « transgressif et officiel ». Voilà qui définit tout aussi bien le festival d’Avignon, emprisonné dans les errements de l’art contemporain : la subversion pour toute norme, la déconstruction pour tout projet.

PS : Si vous voulez savoir combien a coûté ce moment de transfiguration artistique, Olivier Py l’a annoncé lui-même en toute transparence: 13 millions d’euros, dont 7,2 millions sortis de la poche du contribuable.



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