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Les états d’âme du président


Photo : Downing Street

Depuis ce week-end, la guerre de la com fait rage. Le Président de la République, qui comptait très fort sur un gadin de François Hollande au Bourget, a dû déchanter. Une seule solution s’offre donc aujourd’hui à lui : apparaître comme le challenger.

L’exercice n’est pas facile. Rappelons que les seuls présidents sortants qui ont été réélus le furent au terme d’une cohabitation face au Premier Ministre qui exerçait l’essentiel du pouvoir. François Mitterrand s’était refait la cerise en deux ans, avec le talent qu’on lui connaissait, en jouant le rôle de Président-opposant-vieux sage. Jacques Chirac encaissa alors une défaite mémorable, symbolisée par le duel télévisé de l’entre-deux-tours. En 2002, Chirac avait eu cinq ans pour se refaire. Et comme Jospin fit une campagne catastrophique, le Président n’eut pas à forcer son talent pour l’emporter, d’autant que la présence inopinée de Jean-Marie Le Pen au second tour lui apporta derechef le statut de Père de la Nation, celui qui avait fait les beaux jours de son adversaire de 1988.

Le seul président vraiment sortant à avoir sollicité[2. Non, je n’oublie pas le Général de Gaulle en 1965. Car il n’avait pas été élu au suffrage universel direct en 1958. Il s’agissait donc là d’un cas de figure complètement différent.] le suffrage universel une nouvelle fois au terme de son mandat fut donc Valéry Giscard d’Estaing. C’est le scénario que Nicolas Sarkozy veut absolument éviter, d’autant qu’il est tentant de rapprocher les deux hommes : tous les deux ont souhaité commencer leur mandat par une rupture avec leur propre camp. Ils ont également initié, par la décrispation, pour l’un et la désacralisation pour l’autre, une manière de présider qui n’a pas eu l’heur de plaire à l’électorat droitier et conservateur qui les avait portés au pouvoir. Enfin, ils ont tous les deux affronté une crise économique mondiale. Voilà pour les ressemblances. La différence, en revanche, entre VGE et Nicolas Sarkozy, c’est que le premier était encore favori au mois de janvier face à un François Mitterrand dont le Tout-Paris moquait la ringardise et l’archaïsme.

C’est sans doute cette différence là qui rend Nicolas Sarkozy moins pessimiste. Ainsi fait-il marteler par ses chevau-légers l’antienne suivante : le candidat favori en janvier est toujours battu en mai – et parfois même en avril. Le problème, c’est que janvier dure 31 jours. Et que si cette antienne est vérifiée au premier du mois, elle ne l’est plus dans la deuxième quinzaine. La preuve par… Sarkozy qui passa devant Ségolène Royal au lendemain de son grand raout de la Porte de Versailles le 14 janvier 2007. Pour autant, cette volonté d’apparaître comme le challenger demeure sa seule bouée, et il s’y accroche.

La première façon d’apparaître comme tel, ce qui n’est tout de même pas aisé lorsqu’on est sortant, c’est de faire accroire que son adversaire est le candidat du système et que lui, au contraire, est un homme nouveau qui va proposer des solutions nouvelles. D’où la taxe Tobin, d’où l’éventuelle taxe anti-délocalisations et certainement d’autres propositions à venir, d’autant plus décoiffantes que l’électeur moyen pourra s’étonner qu’elles n’aient pas été mises en oeuvre plus tôt.

La seconde manière de faire profil bas est arrivée ce matin. Il s’agit de se faire passer pour quelqu’un de désintéressé, de la jouer méga-modeste en envisageant sa défaite et en laissant donc fuiter dans la presse des informations dans ce sens. Ainsi, Le Monde rapporte cette citation stupéfiante : « En cas d’échec, c’est sûr, j’arrête la politique. Oui, c’est une certitude. » Nous nous en voudrions d’être discourtois avec le titulaire de la magistrature suprême mais ça nous fait quand même bien rigoler. Quand bien même il souhaiterait poursuivre sa carrière politique que les gens de son camp le prieraient immédiatement d’y renoncer. Pas besoin de nous rejouer le Jospin du 21 avril au soir. Fillon, Copé, Juppé et tous les autres auront tôt fait de tourner la page Sarkozy sans lui demander son avis.

Comme souvent, le Président en fait un peu trop dans le style. Et il se laisse aller à des confidences destinées à être répétées. On voit ainsi resurgir cette fameuse idée, notamment mise en scène dans La Conquête, selon laquelle il ne ferait qu’un seul mandat et qu’il irait ensuite gagner de l’argent. A l’époque, on parlait surtout des Etats-Unis, lui qui disait être fier qu’on le surnomme « Sarko l’Américain ». Aujourd’hui, après cinq ans de présidence et avec un carnet d’adresses plus conséquent, il aurait envie de destinations émergentes, citant d’ailleurs Gerhard Schröder qui s’est recyclé chez le gazier russe Gazprom. Et si on le retrouvait chez ses amis qataris ? Juppé avait jadis évoqué la fameuse tentation de Venise. Avouez que la tentation de Doha ne sonne pas plus désintéressée.

Ces dernières cartouches apparaissent désespérées et pas forcément bien ajustées. Mais soyons prudents ! L’histoire de la seconde moitié de la Ve République nous a appris que même une balle perdue pouvait toucher sa cible. Ou que certains candidats pouvaient se tirer une balle dans le pied avec leurs propres armes…



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