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Les femmes victimes de violences sont aussi des mères

..et leurs enfants sont nos élèves


Les femmes victimes de violences sont aussi des mères
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« Tu sais Maîtresse, hier, j’ai eu peur. Papa a poussé maman sur la table basse et elle s’est cassée. »

Théo a cinq ans, la bouille ronde et les yeux tristes. Il  s’est assis à côté de moi sur le banc de la cour. Ses pieds se balancent dans le vide. Théo, pourtant en grande section,  gribouille rageusement au lieu de dessiner. Il ne compte que jusqu’à 3. Il n’écrit pas son prénom.

« Maman, elle a beaucoup pleuré ».

Théo aime sa maman. Il aime son papa aussi. A l’école, il apprend à régler ses conflits sans taper, mais là, il est très embêté.

Heureusement, Thé  a de la chance, il vit dans une zone où habitent les catégories socioprofessionnelles favorisées. Grâce à l’INSEE, il a été possible de déterminer que les gens qui vivent là sont assez riches pour ne pas avoir de problèmes. Le R.A.S.E.D (Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté), a presque disparu et repose sur les épaules d’une seule psychologue, en arrêt depuis des mois et non remplacée.

Mais rassurons-nous, grâce aux directives en cours, je vais pouvoir « co-éduquer » avec ses parents.

J’appelle préalablement, pour conseil,  le psychologue scolaire d’une zone moins-favorisée-où-tu-as-droit-au-R.A.S.E.D…. « Il faut accueillir la parole de l’enfant. ». Bon, ça, c’est fait. Et ? « Et bien, reçois-les pour parler de l’adaptation  de l’enfant à la classe.» Il ne faut plus utiliser le mot « difficulté », c’est stigmatisant, chaque enfant évolue  à son rythme.

Inutile d’appeler le médecin scolaire, notre secteur le « mutualise » avec une zone  en grande difficulté. Ses bureaux sont là-bas, il  ne peut déjà pas faire face aux besoins des plus défavorisés, alors les riches… D’ailleurs, en vingt ans de carrière, je ne l’ai jamais vu. Seul celui de la Protection Maternelle Infantile, qui est en charge des enfants des deux premières années de maternelle s’active énergiquement sur le secteur. Théo est chez les grands… dommage.

Le rendez-vous avec les parents est pris. Maman laisse passer une petite quinzaine pour que son œil au beurre noir ait disparu. Papa a mis son beau costume de cadre supérieur. Il a la main leste élégante.

Entretien convivial. Discours adapté.  Poney club le mercredi. Musée en famille le week-end. Pas de télé et couché tôt. Inutile de permettre à Théo de rencontrer un psychologue scolaire, on a un ami pédopsychiatre qui vient souvent à la maison. Sans leur autorisation, je ne peux rien faire. Sans violences directes sur l’enfant, je ne peux rien faire. Arrêt des jeux.

Je reparlerai de façon informelle de cet épisode avec un inspecteur de l’Education nationale qui dans un soupir conclura : « Que voulez-vous y faire ? Devenez animiste, adressez-vous aux arbres. »

L’enfant est une personne ? Non. L’enfant n’est personne.

Parce que les femmes battues sont aussi des mères et que les dommages collatéraux touchent des êtres encore plus fragiles qu’elles, l’aide aux victimes, l’accès à des espaces de parole et de soutien psychologique doivent également être repensés au sein de l’école. La prévention à long terme, par un plan de formation pour lutter contre le sexisme est indispensable mais  ne saurait constituer, pour autant,  une mesure suffisante. Les victimes de ces violences sont déjà dans nos murs, aidons-les dès aujourd’hui.



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est enseignante et ex-directrice d'école.

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