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Mark Zuckerberg aime la Maison Blanche


Mark Zuckerberg aime la Maison Blanche
Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. SIPA. AP22047226_000001

L’un des chefs d’entreprise les plus riches et les plus puissants de la planète, Mark Zuckerberg, le président-directeur général de Facebook, nourrirait l’ambition de devenir président des Etats-Unis en 2020.

Il n’a rien officialisé, il est encore bien trop tôt, mais plusieurs de ses décisions ont été vues comme des indices trahissant ses velléités de conquête du pouvoir, en particulier sa volonté de visiter l’ensemble des Etats qui composent la première puissance du monde. Autre signe remarqué, le recrutement simultané, pour sa fondation, de plusieurs stratèges politiques chevronnés tels que Joel Benenson, l’ancien conseiller de Barack Obama et d’Hillary Clinton, David Plouffe, le directeur de campagne d’Obama en 2008, et de Ken Mehlman, également ancien directeur de campagne, mais cette fois-ci du côté républicain, aux manettes lors de la réélection de George W. Bush en 2004.

Claquettes, capuche, bière

Si la nouvelle affole l’univers médiatique, c’est que Mark Zuckerberg ferait un candidat très atypique compte tenu de la puissance de feu de Facebook. Son réseau social semble lui donner une longueur d’avance vertigineuse sur ses concurrents et pourrait même en quelque sorte ébranler la démocratie représentative.

Cela paraît pourtant risible si l’on se cantonne aux apparences. Sous ses airs débonnaires, entretenus par le port obstiné du sweat-shirt et de claquettes de piscine, il est vrai que le richissime trentenaire ressemble plus au gars cool avec qui l’on prendrait volontiers une bière qu’à un dictateur en puissance. Mieux, il incarne l’image archétypale du chef d’entreprise, le héros de notre temps, qui sut, dans sa chambre d’étudiant d’Harvard, créer l’un des sites les plus visités de la planète. De quoi alimenter une image romantique et attirer la bienveillance du grand public.

Sa vie de père de famille qu’il mène en compagnie de sa femme Priscilla Chan, ses manières simples et naturelles (soigneusement exposées sur Facebook), et ses actions caritatives abondent dans ce sens. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession.

Le champion du rêve techno-libéral américain

Derrière cette image sympathique, l’homme a une vision du monde : il défend une idéologie que l’on peut qualifier de techno-libérale. Pour Éric Sadin, philosophe de la technique, il s’agit d’un modèle civilisationnel fondé sur la marchandisation intégrale de l’existence et l’organisation automatisée de la société.

Il la qualifie d’industrie de la vie en raison de cette quête constante à tirer profit du moindre de nos gestes. En soumettant l’esprit humain à de continuelles suggestions (issues d’algorithmes), il tente d’opérer des choix à notre place. Ces influences, de plus en plus pressantes, peuvent, à terme, remettre radicalement en cause notre libre arbitre.

Le techno-libéralisme, c’est aussi un type de management spécifique mis en place chez les géants du net, Google, Apple, Amazon… et Facebook, qui composent le quarteron infernal désigné par l’acronyme GAFA.

Dans ces entreprises, la manière de travailler se veut plus ludique et décontractée ; le fonctionnement hiérarchique, les horaires imposés et les codes vestimentaires ont été abandonnés, laissés à l’ancien monde (ringard). Sont privilégiés les organisations horizontales, la pensée positive, « l’open space », la cantine bio et les piscines à balles. Que les salariés fassent finalement bien plus d’heures, ne se déconnectant jamais vraiment, adhérent aux objectifs de leur boîte comme si leur salut en dépendait, s’auto-pressurisant au risque d’y laisser leur santé. C’est un détail.

Si cette apparence de décontraction réussit à faire illusion – nombreux sont les individus talentueux rêvant d’y être embauchés -, l’ambiance est sensiblement différente dans les usines délocalisées en Asie fabriquant smartphones et autres objets numériques où l’on sait bien que les conditions de travail sont déplorables.

Le techno-libéralisme, c’est aussi la suppression progressive du salariat, trop coûteux pour l’entreprise, qui préfère troquer ses employés contre des travailleurs indépendants ne disposant d’aucun droit ou presque (pas de sécurité sociale, pas de droit au chômage, aucun garde-fou pour mettre fin au contrat). On a d’ailleurs vu récemment les livreurs de Deliveroo manifester à Paris contre la nouvelle politique tarifaire de la direction (certains étaient rémunérés à l’heure, dorénavant ils seront tous payés à la course). Il s’agit d’un vaste mouvement de précarisation.

En somme, ce modèle de société n’est que l’exportation du mythe du rêve américain. A les entendre, il suffirait de monter sa boîte et de bosser dur pour réussir. Or les statistiques sont formelles, la plupart des start-ups déposent le bilan. Dans la perspective libérale, les épaules de l’individu supportent la totalité du poids de la responsabilité des succès comme des échecs. Reproduction sociale, rapports de domination et effets de réseau sont niés.

Quoi qu’il en dise, et cela malgré ses dénégations récentes, Mark Zuckerberg représente ce camp-là. On ne peut pas se poser comme le défenseur de la justice sociale et de la redistribution tout en trompant systématiquement les administrations fiscales.

Facebook, réseau de conquête du pouvoir

Outre cette nouvelle forme de capitalisme qu’il promeut, irénique et séduisante, la possession d’un outil tel que Facebook confère à Mark Zuckerberg un pouvoir immense et inquiétant qui l’éloigne de l’image du geek inoffensif qu’il s’est construite.

Avec deux milliards d’utilisateurs actifs, Facebook est le leader incontesté sur le marché des réseaux sociaux. Mieux, il est le troisième site le plus consulté au monde, derrière Google et Youtube.

Facebook est entré dans le quotidien de millions d’Américains qui s’en servent pour communiquer avec leurs amis, organiser des soirées, partager coups de cœur et coups de gueule. On s’y livre sans réserve, renseignant opinions politiques, religieuses et orientation(s) sexuelle(s). Addictif, le site crée une forte dépendance. Ces activités frénétiques partagées par des millions de citoyens américains génèrent des milliards de données qui constituent une mine d’or. Une exploitation fine pourra donner des indications précises sur leurs attentes en matière de politique. Il est d’ores et déjà possible de connaitre les mouvements de l’opinion en temps réel, de repérer les signaux faibles (capacité d’anticipation) et au bout du compte de connaitre les mots que les électeurs américains souhaitent entendre.

Pour sa gestion des données, Facebook s’est déjà fait taper sur les doigts dans différents pays. En France, la CNIL a condamné la société américaine à 150 000 euros d’amende à cause « de nombreux manquements à la loi Informatique et libertés ». Il lui a été reproché un ciblage publicitaire trop intrusif et le pistage des internautes sur d’autres sites web via un cookie.

Zuckerberg a le monopole du « like »

Si Mark Zuckerberg incarne les valeurs du libéralisme, avec une méfiance prononcée à l’égard des Etats, contournant sans honte les lois fiscales nationales afin de payer le moins d’impôts possible, il n’en demeure pas moins qu’il a réussi à bâtir avec Facebook un quasi-monopole, loin du dogme apologétique de la concurrence. Et il le restera longtemps. Les barrières d’entrée pour accéder à ce marché sont maintenant quasiment infranchissables.

On ne compte plus les réseaux sociaux morts-nés, et le peu qui survivent sont rachetés par Facebook. Instagram et WhatsApp, jeunes pousses prometteuses, sont déjà tombées dans son escarcelle. Ce fleuron de la Silicon Valley dispose d’un tel trésor de guerre qu’il n’a aucun mal à sortir le chéquier. Si Twitter peut apparaître comme un outsider avec plus de 300 millions d’utilisateurs actifs, il reste néanmoins nettement moins populaire que Facebook. Du reste, son modèle économique est encore incertain et les usages y sont sensiblement différents.

Il est clair que s’il existait une dizaine de Facebook en Occident, la peur qu’inspire la toute-puissance de ce média social s’évanouirait. Mais sa position incontournable sur le net pose un problème démocratique.

Il est aujourd’hui impensable de faire de la politique sans y avoir un compte. La plateforme permet de toucher un maximum de monde, de motiver les troupes, d’organiser des meetings et de diffuser de la publicité ciblée.

Or, en cas de candidature de Mark Zuckerberg, Facebook serait juge et partie. Il n’y aurait pas de séparation des pouvoirs qui tienne entre la firme américaine et son président-directeur général ; ce serait le conflit d’intérêts assuré. On peut alors envisager les dérives auxquelles on assisterait. La confidentialité des échanges entre partisans du camp adverse ne serait plus garantie. Si on n’ose imaginer qu’il suspendrait les comptes de ses adversaires, opération bien trop polémique et assurément contre-productive, il pourrait plus discrètement bloquer des profils soutenant ses rivaux et empêcher la propagation d’informations gênantes.

La chasse à la « fake news » offre aux censeurs d’appréciables marges de manœuvre afin de filtrer l’information. Si l’intention d’empêcher la propagation de fausses nouvelles est louable, elle suscite de nombreuses interrogations. Qui décide de ce qui est vrai ? Sur quels critères ? Juge-t-on les faits ou les opinions ? La démarche fournit en tout cas un parfait alibi pour museler les détracteurs véhéments. Quitte à aller, en période électorale, jusqu’à supprimer les billets trop virulents à l’égard du créateur de Facebook ?

Ligne de fuite

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