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Brexit means Brexit!


Brexit means Brexit!
Manifestation devant le Parlement britannique, Londres, novembre 2016. Numéro de reportage : SIPAUSA31406072_000010.
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Manifestation devant le Parlement britannique, Londres, novembre 2016. Numéro de reportage : SIPAUSA31406072_000010.

La Grande-Bretagne n’est jamais aussi grande que quand elle est matriarcale, dirigée d’une main de fer par une « Warrior Queen » (ndlr: « Reine guerrière ») : de Boadicée, la Vercingétorix anglaise, à Margaret Thatcher, en passant par Elisabeth 1re (« J’ai le corps d’une faible femme, mais j’ai le cœur et l’estomac d’un Roi, et d’un Roi d’Angleterre »). Theresa May, Premier ministre sortie du chapeau (melon) à la suite du Brexit, avait a priori peu d’atouts pour s’inscrire dans ce glorieux lignage. Bosseuse discrète et plutôt terne, elle ne se distinguait guère que par ses modestes extravagances vestimentaires, chaussures léopard et pantalons en cuir. Mais, comme disait Shakespeare, « certains sont nés grands, certains atteignent la grandeur, et certains ont la grandeur qui s’impose à eux ». Theresa May pourrait bien faire partie de cette troisième catégorie.

Quand Theresa Maybe devint Maggie May

Lorsque 52% des Britanniques votèrent pour le Brexit le 23 juin dernier, c’est peu de dire que l’establishment britannique n’y était pas préparé. Tout devait être repensé. La première décision, interne au Parti conservateur, était de choisir un nouveau Premier ministre pour remplacer David Cameron démissionnaire. Les conservateurs sachant faire preuve dans ces circonstances d’un pragmatisme impitoyable, ils choisirent en deux semaines Theresa May, qui avait fait campagne (très tièdement) pour le « Remain ». Et elle prit tout de suite un engagement fondateur : elle ne serait pas le Sarkozy du Traité de Lisbonne, elle ne serait pas Tsipras. Elle ne chercherait pas à trahir la décision référendaire, elle ne sortirait pas de l’Union européenne par la porte pour revenir par la fenêtre : Brexit means Brexit.

Le souverainisme britannique n’est pas le souverainisme français : en Grande-Bretagne, indépendance politique et libre-échangisme se conjuguent, ils ne s’opposent pas. Tous ceux qui, en France, voient dans le Brexit un repli protectionniste, pour s’en désoler ou s’en réjouir, en seront pour leurs frais. Dans son discours en douze points du 17 janvier, Theresa May a été on ne peut plus claire : « Global Britain » sera « le plus grand avocat du monde en faveur du libre-échange ».

Aussi le Brexit ne signe-t-il pas, comme on a pu l’écrire en France, la fin d’une « parenthèse thatchérienne » : il en est au contraire l’approfondissement. Le thatchérisme était traversé par la tension entre libéralisme économique et une pratique autoritaire, quasi-léniniste, du pouvoir (que ce soit par nécessité politique ou par inclination personnelle de la Dame de Fer). La tutelle de l’Etat sur  le consommateur, l’épargnant et le travailleur s’effaçait, mais le citoyen restait plus que jamais un sujet, dont le bulletin de vote tous les quatre ans était le seul moyen d’expression. Depuis, la Grande-Bretagne s’est fédéralisée (Tony Blair), les grandes villes se sont émancipées (Tony Blair et David Cameron), et la pratique du référendum, local ou national, s’est banalisée (David Cameron). Encadrée par une Constitution infiniment flexible, parce que non écrite, la Grande-Bretagne se « suissifie » progressivement : il y a pire modèle. Se soustraire à la tutelle de l’Union européenne est une nouvelle étape, majeure, de ce processus de démocratisation « soft ». Elle entraînera inéluctablement de nouvelles évolutions constitutionnelles.

Cette évolution, Theresa May la chevauche plus qu’elle ne la guide. Margaret Thatcher avait eu des années pour préparer sa « révolution conservatrice » avant d’accéder au pouvoir. Theresa May n’a pas eu ce luxe, et c’est « en temps réel » que la nouvelle Grande-Bretagne se réinvente.

Napoléon exigeait avant tout de ses généraux qu’ils aient de la chance. N’eut-elle été l’héritière de Nelson, Theresa May aurait pu être un général de Napoléon. Les premiers mois post-Brexit ont été rythmés par les menaces des dirigeants européens à l’encontre de la Grande-Bretagne. Ah, ils voulaient sortir de l’Union Européenne ? On le leur ferait regretter. De Donald Tusk à François Hollande, on rivalisait de prédictions apocalyptiques. Les Anglais paieraient cher leur insolence.

Le Sauveur venu d’Outre-Atlantique

La divine surprise vint d’Outre-Atlantique. Que l’élection de Donald Trump soit une bénédiction pour l’Amérique ou pour le monde, il est fortement permis d’en douter. Pour la Grande-Bretagne par contre, elle change la donne. Barack Obama avait promis que la Grande-Bretagne se trouverait « en bout de queue » pour toute négociation commerciale en cas de Brexit. Avec Donald Trump, elle coupe la file d’attente pour se retrouver en toute première place, et c’est l’Union européenne qui est brutalement éjectée de la queue. Par ailleurs, se désintéressant de l’OTAN, Donald Trump laisse les pays d’Europe de l’Est, et notamment les pays baltes, à la merci de l’ours russe : tout d’un coup, ces pays ont pour la Grande-Bretagne, son armée et sa force de frappe nucléaire, les yeux de Chimène. Enfin, alors que Donald Trump exprime son rejet de l’Union européenne et une hostilité à peine masquée vis-à-vis d’Angela Merkel (François Hollande étant consigné à l’inexistence), la Grande-Bretagne devient un lien précieux entre une Amérique mercuriale et une Europe tétanisée.

C’est donc avec une confiance renouvelée que, portée par des sondages stratosphériques, Theresa May propose les termes d’un nouveau contrat avec l’Union européenne. Puisque le marché unique implique l’acceptation des « quatre libertés » (liberté de circulation des produits, des services, des capitaux et des hommes), soit, la Grande-Bretagne quittera le marché unique. Mais, appliquant en cela le principe de subsidiarité inscrit dans le Traite de Maastricht, elle demande : pourquoi appliquer les mêmes règles aux hommes et aux produits ? Importer une voiture et accueillir un immigré, ce n’est pas la même chose. Une voiture n’a ni langage, ni culture, ni famille, ni droit de vote. Les règles d’immigration relèvent de la décision collective, elles sont une composante majeure du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les échanges de biens et de services résultent d’une simple négociation entre acheteurs et vendeurs, dont l’Etat n’est qu’un observateur distant. A refuser de différencier entre libre-échange et immigration libre, les dirigeants européens prennent le risque de sacrifier les deux. Vu de Grande-Bretagne, pays de naissance du libre-échange, c’est inacceptable.

Il appartient désormais aux européens de répondre à la proposition de Theresa May. A Bruxelles et dans les capitales européennes, on a pris acte du nouveau rapport de force, et le ton a changé. Fini les fantasmes punitifs, place au dialogue en vue de parvenir à un traité équilibré et coopératif. L’Histoire s’accélère brusquement, et la Grande-Bretagne, partagée entre anxiété et excitation, se trace une nouvelle voie.

Et nous, en France, qu’est-ce qu’on attend ?



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Consultant informatique. Européen polyglotte (il a travaillé en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Pologne et désormais en Allemagne) et eurocritique, ce féru d'Histoire et d'économie s'efforce de vivre selon la maxime de Charles Péguy : "Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit."

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