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Mourir en bonne santé


Mourir en bonne santé
Image extraite du film "La grande bouffe" de Marco Ferreri.
Image extraite du film "La grande bouffe" de Marco Ferreri.

Le sens de la révolte n’attend point le nombre des années mais il ne se laisse pas non plus oublier par le grand âge. On apprend ainsi par mLyon.fr que la révolte gronde dans une maison de retraite de la Croix-Rousse. On sait, depuis les révoltes des canuts et autres Voraces, que le quartier est réputé pour sa mauvaise tête et sa capacité à s’insurger quand on vient d’un peu trop près lui expliquer comment il faut vivre et comment il faut se taire.

S’inscrivant dans cette aimable tradition historique, les vieux de cet établissement (oui, nous disons les vieux car l’euphémisation « personnes âgées » ou pire, « troisième âge », a quelque chose de glaçant), ont écrit une pétition qu’ils ont envoyé à l’adjointe au maire chargé des vieux, justement, ce qui prouve qu’ils ont toute leur tête. La raison de leur colère : depuis le 1er avril, leurs menus ont changé. On savait les socialistes capables de tout, même le très macronien rose délavé Gérard Collomb, mais tout de même pas d’affamer nos anciens.

Auparavant, le restaurant Hénon, un établissement associatif pour vieux du quartier fournissait des repas merveilleusement caloriques, de vrais et délicieux attentats diététiques dans la plus pure des traditions lyonnaises. Après tout, ce n’est déjà pas drôle d’être vieux, encore moins vieux dans une maison de retraite, alors autant profiter jusqu’au bout des plaisirs de l’existence. On partage pleinement la colère unanime des pétitionnaires dont une dizaine boycottent la nouvelle dictature alimentaire de la maison de retraite : les cochonnailles, les tabliers de sapeur, les gras-doubles sont autant de moyens de tutoyer la Camarde et de la narguer. Elle vient assez souvent avec sa faux dans ce genre d’endroit pour ne pas l’accueillir en rigolant en lui demandant cinq minutes pour terminer son verre de Côtes-du-Rhône et sa cervelle de canut.

Mais voilà, ça ne pouvait pas durer. Il a été décidé que ce n’était pas sain, de manger comme ça. Qui sait ce qui peut arriver à 95 ans si on abuse de la bonne chère : une hypercholestérolémie, un infarctus, de l’hypertension voire un AVC prématuré ? Un pays moderne et civilisé, avec un système de santé encore (un peu) performant, se doit de travailler dans la prévention. Du coup, on leur a servi, depuis avril,  des menus équilibrés,  c’est-à-dire ennuyeux comme la pluie.

Imaginons donc, un instant, la détresse du vieux qui voit le quinoa se substituer à la rosette,  le blanc de poulet en papillote au saucisson chaud et la compote à l’île flottante. On peut aussi se demander quel démon hygiéniste pousse ainsi notre société à traquer le moindre des plaisirs sous le prétexte d’un axiome paradoxal : ce qui est bon serait mauvais. Néopuritanisme mal refoulé, tyrannie de la santé ou tout simplement désir des autorités, quelles qu’elles soient, d’intervenir dans le moindre des détails de notre vie quotidienne pour montrer qu’elles ont encore du pouvoir alors qu’il est de plus en plus manifeste qu’elles n’en ont aucun pour changer l’essentiel ?

On décide qu’il est interdit de fumer dans les bars le jour où l’on s’aperçoit qu’on ne peut rien contre le chômage, on interdit aux vieilles voitures de rouler dans les centres-villes sans trop se demander pourquoi des gens n’ont pas les moyens de s’en acheter une neuve moins polluante ou de vivre près de leur travail, on décrète des couvre-feux pour les mineurs dans certains quartiers parce que c’est plus commode et moins cher de surveiller un ghetto que de favoriser la mixité sociale.

Et pour finir, on explique aux vieux qu’il faut mourir, mais qu’il en va, pour leur bien, qu’ils meurent en bonne santé, le nez dans un yaourt 0 %.



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