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343 salauds : Les puritains sont à la rue


343 salauds : Les puritains sont à la rue

343 salauds prostitution

J’habite dans un quartier à putes. Elles sont juste en bas de chez moi. Les rues tranquilles des alentours mènent aux coins discrets. Je ne vais pas dire que je connais la prostitution, mais depuis ma fenêtre je constate clairement et simplement que « la prostitution » recouvre des milliers de réalités très différentes, des deux côtés du service rendu.

Pour ce qui est de la prostitution « visible », deux grandes tendances semblent se dégager. Les unes sont clairement des filles d’importation illégale, de l’Est ou d’Afrique subsaharienne, se gelant les miches sur un pauvre trottoir du Nord Pas-de-Calais, et laissant facilement deviner par leur exposition publique qu’elles subissent une vie de grande maltraitance dès que le boulot est fini, voire au boulot-même. Les autres sont plus discrètes, « à l’ancienne », habillées en civil dans la rue ou planquées derrière les volets d’une maison d’habitués, et ont une activité qui s’apparente beaucoup plus à ce qu’on appelle « un travail ». Oui madame.

Eh bien figurez-vous que pour les clients, c’est la même chose. Si vous avez les vicelards cradingues en BMW chelou qui profitent de la situation et traitent les filles comme des chiens parce qu’ils « payent pour ça », vous avez aussi la clique misérable des petits mecs au chômedu de longue date qui, sans autre vie sociale que les camarades du PMU et les fonctionnaires de l’office HLM, trouvent là un peu de tendresse que personne ne leur a jamais donné dans toute leur vie et que je serai bien méprisable de condamner.

Je caricature un peu, mais c’est pour saisir les grands traits les plus visibles de la question.

La prostitution n’a pas de solution, parce qu’aucune interdiction ne saura empêcher son existence factuelle. On ne changera pas les gens. Alors je me dis parfois comme Jean Yanne que rouvrir les maisons serait peut-être un moindre mal. Je ne sais pas.

En attendant, sans nouvelle d’un libérateur divin qui aurait la solution-miracle à ce vieux problème, les partisans du progressisme pudibond, de droite comme de gauche, se sont emparés du dossier. Et ils ont tranché : la prostitution est un péché, le péché est un crime, le crime est interdit, il faut punir le crime, et nous revoilà partis pour une bonne Prohibition à l’ancienne.

Devant ce délire moralisateur, totalitaire et prométhéen, 343 salauds ont signé le manifeste de Causeur. Non pas parce que la prostitution serait une chose fondamentalement bonne, non pas parce que le manifeste cautionnerait le proxénétisme, mais tout simplement parce que comme la vitesse, la junk food, une bonne cuite ou la pornographie, la prostitution aide parfois à se sentir un peu moins mort dans cette vallée de larmes, et que son interdiction relève quand même beaucoup plus de la Police de la Vertu que de la santé publique urgente. Il y a l’éther des utopies, il y a aussi notre condition de chair.

Évidemment, ce « Touche pas à ma pute » a suscité un déluge de bêtise conditionnée. Indignez-vous, qu’il disait, indignez-vous. Alors les indignés se sont indignés là on leur a dit de s’indigner.

Je passe brièvement sur le cas Najat Vallaud-Belkacem, scandalisée qu’on puisse réclamer de disposer du corps d’autrui, quand elle-même promeut la GPA. Même combat pour Anne-Cécile Mailfert d’Osez le Féminisme, pour qui le désir doit échapper à la tarification. Le désir d’enfant concrétisé par les usines à bébés en Inde, manifestement, ne retient pas son attention. Bref.

Le progressisme puritain a un gros problème avec le sexe. Il doit être complètement libre, mais hors du marché. Il doit être pratiqué sans aucune limite, mais sans aucun danger. Il doit valoriser la jouissance, mais sans vulgarité. Il doit être désir, mais sans polarités différentielles. Une pareille équation ne se résout que dans l’onirisme d’un monde sans chair et sans Mal.

Pendant ce temps, on peut remplir son caddie d’hommes sur Adopte Un Mec ; on peut promouvoir le cocufiage de son mari grâce à Gleeden, le site de rencontres extraconjugales « pensé par des femmes ». Mais que se passerait-il si on pouvait remplir son caddie de femmes sur Adopte Une Meuf, et si Gleeden affichait un programme destiné à tromper les épouses « pensé par des hommes » ? Est-ce justice faite à l’égalité des sexes ? Faut-il laisser au business la tolérance des choses que l’idéologie réprouve ?

La vérité, c’est que le désir mâle dérange. Une sourde envie de castration habite la postmodernité. Osez le clito, oui. Osez le gland, non. Jadis on craignait la puissance maléfique du sexe féminin, aujourd’hui c’est l’homme qui est diagnostiqué hystérique, et il est coupable de crime par bandaison.

Les fondamentalistes religieux et les tyrans athées ont de grandes convergences théologiques : le péché doit absolument être étranger à notre nature, et plutôt que de trouver les meilleurs termes possibles de sa coexistence avec notre envie d’être vraiment bons, il faut tout simplement le traquer et l’exterminer, comme on traque un virus. Quitte à exterminer le contaminé, pour être bien sûr que le monde sera désormais un peu plus pur.

Mais le monde n’est pas pur. Notre existence est un conflit continu. Nos pulsions sont paradoxales. Personne ne peut réellement trouver le principe de la prostitution formidable, mais on n’a pas le droit de déconsidérer ni la grande misère des perdants de l’Extension du Domaine de la Lutte, ni la quête légitime d’un peu de vrai plaisir dans un monde désenchanté.

Le numéro de novembre de Causeur incluant le Manifeste des 343 salauds sera disponible en kiosque le jeudi 7 novembre. Vous pouvez d’ores et déjà l’acheter en ligne ici.

 

*Photo : GELEBART/20 MINUTES/SIPA.00646670_000002.



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est architecte.

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