Yves Ravey, l’air de rien


Yves Ravey, l’air de rien

yves ravey etat ame

Avez-vous lu Yves Ravey ? Si ce n’est pas le cas, il est possible de commencer avec le tout dernier sorti, Sans état d’âme.  Vous aurez une idée assez précise du talent envoûtant, voire franchement addictif de cet écrivain qui écrit toujours le même livre. Oui, aussi bizarre que cela puisse paraître, les grands écrivains écrivent toujours le même livre. Au hasard et dans des genres très différents : Céline, Proust, Gracq, Simenon, Modiano, Echenoz.  Ce n’est pas une question de manque d’imagination, c’est une question d’obsession. L’imagination, c’est bon pour les enfants et dans les contes de fée. On peut avoir envie évidemment, adulte, de lire des contes de fées. C’est même très fréquent. À ce moment-là, allez voir du côté de Musso et de Lévy. C’est bien fait, en plus. Mais ce n’est pas de la littérature, pas plus que Fast and Furious n’est du cinéma.

Cela veut-il pour autant dire que les livres d’Yves Ravey sont dépourvus de ce qui fait aussi le bonheur simple de deux ou trois heures de lecture ? C’est-à-dire la sensation d’être ailleurs même si chez notre auteur, sociologue précis, on reconnaît bien la France d’aujourd’hui. C’est-à-dire, encore, le plaisir d’être la victime consentante d’une narration piégée qui vous emmène là où elle veut, même si vous êtes un lecteur aguerri. C’est-à-dire enfin, même le livre refermé, la persistance d’une saveur, d’une longueur en bouche, d’un trouble. Bien sûr que non. C’est sans doute que Ravey, à l’exception d’un court texte déchirant sur la mort d’un père intitulé Le Drap et que l’on conseillera ici, a beaucoup emprunté, comme Echenoz cité plus haut, à l’univers du roman noir ou du roman d’espionnage, bref au mauvais genre.

Les livres de Ravey sont tous de vrais-faux polars où il est question de captation d’héritage, de vengeance, de meurtre déguisé. Rien que de très classique sauf que le style de Ravey vous transforme tout ça de manière radicale en quelque chose d’inédit. Pour aller vite, l’écriture de Ravey est une écriture blanche, comportementaliste. Elle ne fait jamais de psychologie. Au lecteur de déduire ce que pensent les personnages ou le sens de leurs actions uniquement d’après leur comportement. Cette méthode vient de loin : le premier à l’utiliser est Dashiell Hammett en 1929 dans Moisson Rouge  et en France c’est le grand Jean-Patrick Manchette qui la reprendra dans les années 70-80 pour ses romans en Série Noire qui sont aujourd’hui devenu des classiques, objets d’études universitaires et réédités dans la collection Quarto chez Gallimard, cette antichambre de la Pléiade.

Comme chez Manchette, on peut vous résumer l’intrigue d’un livre de Ravey en quelques lignes. Par exemple, le dernier, Sans état d’âme, se passe quelque part dans une petite ville de l’Est de la France,. Le narrateur Gu, un routier, est amoureux de Stéphanie, serveuse dans un bar de nuit. Stéphanie est la fille de la propriétaire du terrain sur lequel est construit la maison des parents du Gu qui viennent de mourir. Il semblerait que les projets de la mère supposent la destruction de la maison. En plus, un Américain est arrivé en ville. Il a emballé, vite fait bien fait, Stéphanie. Et puis il disparaît. Complètement. Et Stéphanie demande à Gu, resté son ami, d’enquêter. Voilà, c’est tout. Et pourtant vous avez l’impression que Ravey, tellement neutre, sans effet, cultivant la banalité précise, vous emmène à la fois du côté de Chabrol pour le cinéma ou de Simenon et Modiano, eux aussi déjà cités, pour la littérature.

Bref, laissez-vous tenter : un roman de Ravey a la politesse d’être court et il n’a l’air de rien jusqu’au moment ou vous vous apercevez que déjà, vous avez envie d’en lire un autre et que vous n’êtes pas prêt d’oublier cette note-là.

Sans état d’âme d’Yves Ravey (Les Editions de Minuit).

Sans état d'âme

Price: 12,50 €

38 used & new available from 1,99 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Entre moi et moi-même
Article suivant On a volé le bras de Costentenus

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération