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Touche pas à mon vote

Le RN arrivé en tête au premier tour, Gabriel Attal redevient en un tournemain un militant socialiste


Touche pas à mon vote
Réactions de Gabriel Attal et Jordan Bardella après l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, Paris, 30 juin 2024 © Gabrielle CEZARD/SIPA – NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Face aux victoires électorales à répétition du RN, les élites parisiennes ont mis en place un « quoi qu’il en coûte » politique doublé d’un confinement des doléances françaises. Tout sauf Bardella ! À coups d’âneries antifascistes et de chantage aux heures les plus sombres, l’alliance improbable du camp du Bien (la gauche) et du Cercle de la raison (la Macronie) a-t-elle réussi ? Jusqu’à la prochaine fois.


Le peuple a parlé, comme le voulait le président. Mais vu qu’il dit des âneries, il est urgent de le faire taire. Les 9 et 30 juin, les Français ont massivement voté pour une politique de droite, c’est-à-dire d’autorité et de retour à l’ordre public. Et ils pourraient se retrouver avec un gouvernement de gauche. Au moment où vous lirez ce journal, on saura si ce prodige démocratique – la transformation du plomb populiste en or macrono-socialiste – s’est réalisé. Ce serait la première fois, sous la Ve République, qu’un parti ayant dépassé (en l’occurrence largement) 30 % à un premier tour des législatives échoue à obtenir la majorité au second. Dans ce scénario, le RN et ses alliés ciottistes seront l’opposition d’une coalition de carpes et de lapins dont le seul point d’accord, après trois semaines à s’invectiver, est de se débarrasser du trublion. Tous contre un ! Dans leur langue étrange, ils appellent ça « faire barrage à l’extrême droite ». En bon français, cela signifie « congédier le réel ».

Réalités parallèles

Quelle que soit son issue, le spectacle joué pendant trois semaines mérite qu’on y revienne. « Une tragédie française », selon Alexis Brezet. Ou une comédie de boulevard. Au premier acte, Ciotti quitte le foyer conjugal avec pertes, fracas et la clef du coffre pour vivre au grand jour son idylle avec Bardella. « Le grand méchant loup arrive pour manger les petits enfants ! » hurle le chœur. Affolés, le cercle de la Raison (la Macronie) et le camp du Bien (la gauche) se précipitent dans les bras l’un de l’autre. Il y a d’abord des baisers furtifs, des œillades appuyées, des étreintes un peu forcées. On essaye de faire taire le grand-père gaffeur, celui qui fait des blagues antisémites. À la fin, tout est pardonné. Contre Hitler, il fallait bien s’allier avec Staline (qui n’était pas franchement innocent en matière d’antisémitisme). On a donc besoin d’un Hitler dans le tableau.

Beaucoup de Français, insensibles à la drôlerie du carnaval antifasciste, ont plutôt eu le sentiment de regarder un film de science-fiction mettant aux prises deux réalités parallèles. Le 30 juin, pendant que Bardella promet d’être le Premier ministre de tous et de respecter les institutions, sur les plateaux de télévision ses adversaires sont en mode « fascisme à nos portes – aux armes citoyens ». « Pas une voix au RN », affirme la voix tremblante un Attal redevenu en un tournemain un militant socialiste. Le déconomètre s’emballe : s’ils prennent le pouvoir, ils ne le rendront pas, assène l’un. C’en sera fini de nos libertés, renchérit l’autre. « La lutte contre l’extrême droite, c’est notre ADN », répètent des gens sincères, reconnaissant implicitement que le nom Le Pen les empêche de penser – puisqu’il s’agit d’hérédité. Ce qu’ils reprochent au RN, c’est son passé, à leurs yeux bien plus encombrant que le présent de leurs amis. Et puis, ils ont l’air respectables, mais en vrai, ils n’ont pas changé. En somme, ce que ne disent pas ces fourbes du RN est beaucoup plus grave que ce que disent ouvertement certains élus de gauche. Perso, je préfère les gens qui cachent leurs mauvais sentiments à ceux qui les clament sur les toits.

Quinzaine anti-Le Pen

Sans surprise pour ceux qui ont connu les précédentes « quinzaines anti-Le Pen » (Muray en 2002), en trois semaines, tous les bataillons de grands esprits et belles âmes ont défilé en rangs serrés : intermittents du spectacle, avocats, juges, rappeurs, médecins, historiens, marchands de pianos et abonnés au gaz, sans oublier, ce qui est scandaleux, des diplomates et des présidents d’université, pas une corporation n’a manqué cette occasion de sermonner le populo. L’électeur RN est au choix un salaud insensible aux joies de la diversité, un idiot manipulé par les Russes ou CNews, ou encore un malade égaré par la souffrance qu’il convient d’isoler derrière un cordon sanitaire pour éviter la contamination. Contre tous les principes du syndicalisme, madame Binet demande aux sympathisants RN de dégager de la CGT. Ils puent – c’est leurs idées nauséabondes. La même, qui n’en est pas à une infamie près, félicite une foule haineuse d’avoir « résisté à une agression fasciste » en tabassant dix jeunes filles munies de pancartes. La lâcheté, c’est le courage – c’est beau comme du Orwell.

Tout ce tintamarre a l’avantage de couvrir le message des urnes. Comme l’observe Fourquet, l’électorat RN, c’est le peuple de la bagnole. Dans la France de Bardella, on se chauffe au fioul, toute hausse du prix de l’essence est synonyme d’un petit plaisir en moins, accoucher est problématique et on fait des kilomètres pour aller chez le dentiste. Sinon, on prend du Doliprane et on serre les dents. Maurras opposait le pays réel au pays légal. Brighelli oppose « Paris, ville irréelle » à la vraie France « qui roule au diésel parce que c’est moins cher et fait des barbecues parce que c’est meilleur[1] ». Ce désarroi de la France oubliée n’explique pas qu’entre deux premiers tours (2022 et 2024), le RN soit passé de 18 à 32 % des suffrages et de 4,2 millions à 11 millions de voix. C’est que l’homme ne se nourrit pas seulementde pain. Les émeutes consécutives à la mort de Nahel et le meurtre de Thomas à Crépol, pour ne citer que deux événements dramatiques, nourrissent le sentiment de dépossession. Les électeurs RN veulent bien accueillir, pas devenir culturellement minoritaires chez eux. Ils ont tort, c’est Mélenchon qui le dit : « Ceux qui s’appellent Français de souche posent un problème sérieux à la cohésion de la société. » Vous êtes tous des immigrés, arrêtez de nous enquiquiner avec votre vieille culture et vos mœurs libérales, si offensantes pour les nouveaux arrivés. Prière de laisser la place à la nouvelle France et de disparaître en silence.

On dira que les électeurs ont pu faire leur choix et que la démocratie a parlé. Sauf que la démocratie suppose un débat loyal et pluraliste. Il est parfaitement légitime de critiquer le RN et ses projets, mais quand toutes les voix autorisées font chorus dans le chantage au nazisme, l’électeur est-il libre de son choix – ne peut-on pas parler d’emprise ? Pendant trois semaines, les vierges effarouchées ont martelé que, même s’il gagnait les élections, le RN serait illégitime pour gouverner. Les Soulèvements de la terre, qu’une partie de la gauche couve d’un œil énamouré, ont annoncé qu’ils s’opposeraient physiquement à son accession au pouvoir. Autant dire que, même si Jordan Bardella est à Matignon demain, il devra affronter moult chausse-trappes et empêchements. Pour sauver la démocratie, il faut savoir la mettre en veilleuse.


[1] Jean-Paul Brighelli, « La revanche de la France périphérique », causeur.fr, 2 juillet 2024.

Été 2024 - Causeur #125

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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