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Rendez nous Siné


Rendez nous Siné

Le grand Siné s’est éteint. Son patron vient de souffler sur la bougie. Adieu camarade. Il respire encore, mais il ne pompera plus l’air de ses contemporains. Il est vrai qu’il en pompait tant que son boss en a chopé une crise de rage.

Affubler ce charlot du signe de la grandeur, même si vous lui vouez une admiration méritée, c’est pousser le bouchon. Siné dans le même sac qu’Einstein, faut pas hyperboler ! On sait, mais on veut dire que ceux qui pieusement ont offert leur interminable existence (il doit bien être bicentenaire le bonhomme) à scandaliser leurs contemporains ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.

On impute au zigoto d’avoir écrit quelque chose comme ça. Le Prince héritier de la dynastie régnante, Jean Sarkozy, brûle des feux de l’amour pour un magasin Darty en jupon, Darty ou Tati je ne sais plus. Pour conquérir le cœur de sa belle, le soupirant est prêt à mettre sa main au feu, sa tête à couper et son zizi sur le billot dans l’intention louable d’embrasser une religion monothéiste que je ne nommerai pas. Pour tout vous dire, la dame de ses pensées appartient à cette confession que Siné a osé appeler par son nom ou il a procédé par insinuation, crime non moins pendable. Comme je ne tiens pas à rejoindre Siné au cimetière des journalistes vivants, je m’abstiendrai de proférer le mot en J. On dira trucmuche, si vous le voulez bien. Quand j’écrirai un quartier trucmuche, la névrose trucmuche, on en fait trop avec les trucmuches, je suis trucmuche mais je me soigne : vous comprendrez. Vous voyez, c’est simple, pépère, on parle à sa guise, on passe entre les gouttes et on esquive le couperet. Parce que quand même, faut bien vivre.

Voilà comment ça s’est passé. Lorsque, avec un chouïa de retard à l’allumage, Philippe Val, c’est le nom du taulier, a réalisé qu’il vivait en intelligence avec un kapo ou à tout le moins, un nazi de grands chemins, pourpre il a viré. Pas moi, pas toi, pas ça ! Dans le for de son intérieur, Val constitue un tribunal de Nuremberg. Délibérations mentales. Verdict. Siné condamné pour antisémitisme. La porte, sans appel. Tout le problème gît sous ces deux mots fatidiques : sans appel. D’où le présent appel à une révision du procès et c’est pourquoi, moi, Sitbon Guy, actuellement à Paris, trucmuche de père et de mère, j’invite les journalistes et les lecteurs qui se trouvent en territoires français ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, je les invite à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la flamme Siné ne doit pas s’éteindre, elle ne s’éteindra pas.

Sur l’incontestable terrain du Code de procédure pénale, notre position est inattaquable car, je vous le demande, messieurs les Jurés, pourquoi les avocats de la défense n’ont-ils pas été entendus ? C’est ça la démocratie ? Même sous le regretté Saddam, sous l’Occupation, les avocats faisaient figuration. Ils sont des mille et des cents, un peuple entier de barjots, de fêlés, de fondus, à se nommer d’office pour plaider la cause de leur roi.

Voilà un demi-siècle que Siné gagne sa vie de son talent provocateur. Charlie est le seul repaire de provocateurs de toute la République, le Prophète en sait quelque chose. Reprocher au doyen des provocateurs de faire de la provocation dans un journal de provocateurs, c’est en vérité un comble, Votre Honneur. J’entends bien les marmonnements de l’accusation : provocation d’accord, pas n’importe laquelle, on ne rigole pas avec les trucmuches. Tous ok, eux pas touche. Alors là, je vais vous dire, j’ai comme l’impression qui en a qui en ont marre de se marrer et déjà qu’on se marre pas beaucoup… Si on n’a plus le droit de se marrer des gens les plus marrants on va se retrouver bien marris. Un Trucmuche, vous savez Val, c’est un homme comme un autre, ça a été, après bon nombre de controverses, biologiquement démontré. A élever la trucmuchité au rang de Vache Sacrée du discours et de la pensée on s’expose à mettre en caste une catégorie d’Intouchables et comme j’aime bien qu’on me touche et qu’on me retouche, franchement, ça m’ennuierait. Je vois bien que vous ressentez pour moi et pour mes pareils une sympathie qui me va droit au cœur, et je vous le dis sans badinages.

Lorsqu’à des millénaires de haine succède un esprit comme le vôtre, lorsque les miens, au-delà des mers, encore cernés par les innombrables égorgeurs, rencontrent un Val qui fait l’effort pas facile de les comprendre, j’embrasse et je dis merci. De là à me priver de Siné, non, non et non. Nous nous liguerons, nous nous armerons de fleurs et d’amitié, nous viendrons sous vos fenêtres vous chanter la sérénade, vous vous réveillerez au son de nos aubades, nous vous offrirons nos femmes, si vous préférez les garçons j’en connais de gironds, nous invoquerons les Dieux de la libre pensée et au besoin nous brandirons le seul droit de l’homme sans lequel les autres ne sont rien : le droit à l’humour. Hâtez-vous, si vous tardez à nous rendre Siné, il ne sera plus là pour recevoir son droit au retour ni moi pour le voir.

Août 2008 · N°2

Article extrait du Magazine Causeur



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Guy Sitbon, ex-journaliste au Nouvel Obs, est chroniqueur à Marianne.

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