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Olga Zinnenfals était la honte de sa famille. C’était une fille sans intelligence ni charme. Ses cheveux clairs, ses taches de rousseur et son teint rougeaud semblaient l’éloigner à jamais des affres de la chair. Ses dix-neuf printemps et ses hanches déjà larges ne laissaient présager rien d’autre qu’un avenir écrit d’avance, celui d’une Emma Bovary qui ne trouverait jamais son Flaubert.

On ne sait si c’est sa jeunesse, sa naïveté ou l’abus de mauvais vin – peut-être les trois – qui finirent de convaincre Herr Brommer, directeur de la Bausparkasse de Zorndorf, de jouer avec elle à la chevauchée fantastique lors de la kermesse annuelle du village. C’était un soir de l’été 1953. La nuit tombait à peine et l’on entendait au loin un orchestre de cuivres massacrer Rosamunde sur la grand’ place.

Rosamunde schenk mir dein Herz und sag ja
Rosamunde frag erst doch nicht die Mama
Rosamunde glaub mir auch ich bin dir treu
denn zur Stunde Rosamunde ist mein Herz grade noch frei

Neuf mois plus tard, Olga Zinnenfals devenait guichetière à la Bausparkasse de Zorndorf. Dix-neuf ans plus tard, son fils Bernd y était employé comme simple commis, avant de gravir un à un les échelons pour devenir au bout de trente ans guichetier principal – le malheur voulut qu’au moment où il accédait à ce grade la direction diminua les effectifs et Bernd se retrouva ainsi seul guichetier à Zorndorf, n’ayant plus d’autre choix que d’exercer ses qualités de manager-né sur lui-même.

Aujourd’hui c’est Joachim Zinnenfals, le petit-fils d’Olga, qui dirige, dans son petit costume trois-pièces, la Bausparkasse de Zorndorf.

De ces histoires si importantes pour l’humanité puisque elles sont humaines, aucun journal ne parle jamais. Hommes de goût et d’esprit, les échotiers ne se rabaissent jamais au raz de caniveau. Quant aux grands-mères de Zorndorf, elles n’ont pas attendu d’avoir Alzheimer pour ne pas se répandre en commérages sur cette ténébreuse affaire.

C’est que, directeur de la Bausparkasse de Zorndorf, Herr Brommer n’était pas le patron de je-ne-sais-quel fond monétaire international ni même un satire qui aime trousser la fille rougeaude le soir au fond des bois. C’était juste, à Zorndorf, un homme tout-puissant.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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