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Pour une droite lyrique et une gauche moisie


Pour une droite lyrique et une gauche moisie

Elle résulte d’une certaine torsion de l’oreille, un affût trompeur, qui nous fait entendre partout des symptômes au lieu d’entendre des paroles.
Qui nous confère l’étonnant privilège d’entendre avant que tu aies ouvert la bouche.
Parce que nous savons très bien ce que tu vas dire et qui est symptomatique de.
Je n’entends pas ce que tu dis.
J’entends un homme de gauche
un homme de droite
le discours typique de la gauche
ou de la droite.
Le ronronnement du discours archétypal de la gauche ou de la droite intercepte, recouvre, se glisse à la place de tes paroles.
Le préjugé est un pré-entendre,
il opère à même l’ouïe.
Je ne désire nullement appeler à lutter contre les préjugés.
J’appelle au contraire solennellement à en créer de nouveaux.
Ceci est un vibrant manifeste en faveur d’une droite lyrique
Et d’une gauche moisie.
Mécomprenons-nous autrement, frères humains.
(Même si cela doit faire grincer des dents,
les préjugés racistes aussi devront être révisés.
Désormais, les Arabes seront ridiculement lents.
Les Américains auront un penchant irrépressible à l’autoflagellation.
Les Vénézuéliens seront voleurs.
Les Juifs seront paresseux.
Les Français seront sales.
Les Asiatiques changeront tout le temps d’avis.
Les Noirs auront un humour typiquement noir.
Les Brésiliens seront tous affreusement susceptibles.
Et les Australiens auront un sens inné du paradoxe.)
Il y a, aussi, cette torsion de la langue par laquelle nous demandons sans cesse à l’homme de gauche de rendre compte de son lyrisme ontologique et de son refus congénital du chiffre 2,
à l’homme de droite qu’il apporte enfin les preuves de sa tolérance et de sa bonté de cœur.
Il y a, pour finir, une dernière torsion de la langue, la mauvaise torsion d’un incessant appel à l’évidence morale ou politique, qui répète à l’infini :
il va de soi
il ne fait aucun doute
nul n’ignore que
plus personne ne pense que
chacun sait que depuis plus personne ne peut s’imaginer encore que
depuis le 11 septembre
depuis la Terreur
depuis la chute du communisme
depuis 1917
penser encore que la révolution
penser encore que le capitalisme
penser encore que l’homme peut vivre avec le capitalisme
penser encore que l’homme peut vivre sans le capitalisme.
Une torsion du cœur et de la langue oubliant que la frontière entre le bien et le mal
ne passe pas entre les partis
ni même entre les hommes
mais de manière aiguë et comique
transperce le cœur de chaque homme
traversant ton ventricule droit et ton ventricule gauche
mon ventricule droit et mon ventricule gauche
avec une effarante douleur, parfois un rire, parfois une joie, qui n’auront pas de fin.
Le disque ourcourant peut à présent poursuivre son chant changeant et éternel :
Il va de soi que depuis la fermeture des maisons closes plus personne ne peut s’imaginer encore que la Russie sera un jour une démocratie.
Il va de soi que depuis que je suis sorti fumer une cigarette plus personne ne peut s’imaginer encore affronter seul la Chine et l’Inde.
Il va de soi que depuis la Terreur plus personne ne peut s’imaginer encore que l’Islam et la laïcité seront un jour compatibles.
Il va de soi que depuis le 10 septembre 2001 plus personne ne peut continuer encore à croire en des lendemains qui chantent.



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