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Rock: Peter Doherty dit tout

La classe british


Rock: Peter Doherty dit tout
Le chanteur anglais Peter Doherty, Paris, 16 septembre 2022 © Thierry Le Fouille/Shutterstock/SIPA

Dans son livre de conversations Un garçon charmant (Le Cherche Midi, 2024), qui rappelle presque les Confessions d’un mangeur d’opium anglais, le leader des Libertines et ex de Kate Moss se réconcilie avec lui-même.


Mieux vaut tard que jamais, dit l’adage. En effet, c’est à la faveur de la parution de Peter Doherty, un garçon charmant, ce très long entretien entre l’ex-chanteur des Libertines et des Babyshambles et le journaliste Simon Spence, que j’ai enfin rencontré l’âme de Peter Doherty.

Oui, j’avoue être passée à côté de la « Libernitinemania » du début des années 2000. Telle une Mallarmé du rock’n’roll, j’estimais avoir écouté tous les groupes britanniques, avoir trop aimé les Kinks ou les Undertones pour me laisser impressionner par un énième groupe à guitare inspiré des 60’s, avec un chanteur beau gosse – de ceux que l’on qualifie du terme trop galvaudé de dandy, son cortège de drogues, de groupies et de scandales.

Gracieux

Ô combien ai-je eu tort. Il faut dire que Peter Doherty, par ce livre, cette longue conversation avec lui-même – qui n’est pas sans rappeler un flux de conscience à la Joyce –  semble avoir sauvé sa propre vie : « J’étais clean depuis un an, mais encore un peu fragile, si bien que j’ai accueilli ces rendez-vous avec Simon comme une routine salvatrice. En sa présence je me suis ouvert comme je ne l’avais fait auparavant avec aucun journaliste, peut-être trop d’ailleurs, car à la vérité, je n’ai rien gardé pour moi. Plus d’un an après, miracle inespéré, je suis toujours clean », écrit-il dans la préface. Cependant, le livre ne fait pas seulement figure de thérapie. Par sa construction foutraque et baroque, il s’en dégage beaucoup de grâce, il s’agit même pour moi d’un des plus beaux récits sur la drogue qu’il m’ait été donné de lire. Je ne sais pas s’il convient d’affirmer qu’un récit sur les enfers des paradis artificiels (facile) puisse être drôle et rafraîchissant, mais Doherty y met tant de sincérité et de candeur, que c’est ici le cas. Nous sommes loin de Christiane F et de Burroughs, s’il fallait absolument chercher une filiation, elle serait à l’évidence du côté du très britannique Thomas de Quincey, et de ses Confessions d’un mangeur d’opium anglais.

La drogue fut consubstantielle à tout l’être de Doherty. Il était l’héroïne qui coulait dans son sang et les vapeurs de crack qui obscurcissaient ses poumons. Ces deux substances étant en effet son alpha et son omega. Elles furent son initiation et son désastre.

Doherty n’intellectualise pas son rapport à l’addiction, et c’est bien, c’est cela qui donne cette légèreté et cette distance. Il raconte son premier shoot sans emphase, il n’en parle pas comme d’une rencontre amoureuse, mais comme d’un rite de passage un peu raté, bien que révélateur : « Une putain de première dose bien chargée, j’étais complètement stone dans mon bain, et je me souviens avoir pensé : « J’en ai rien à foutre de cette merde, jamais plus je ne me piquerais. » Le type qui le fit basculer, un dénommé Wolfman, avait « besoin de substances pour créer le calme. » Sûrement que le jeune Peter, qui fut un ado poète et rêveur, à la fois fasciné et terrorisé par un père militaire, et qui n’aimait rien tant que d’écouter The Smiths dans les cimetières, cherchait ce même calme. Mais à la place, il trouva un chaos indescriptible. En effet, le nombre de ses cures de désintoxication donne le vertige, il fume du crack jusque dans les halls d’aéroport, il commet de multiples braquages, il cambriole même la maison de son frère ennemi, Carl Barât, pour se payer ses doses. Un des moments les plus sidérants de classe british du livre, est lorsqu’il affirme qu’il se trouvait élégant dans son costume de taulard. Oscar Wilde n’aurait pas renié cette phrase.

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Cependant, cette rage autodestructrice provoque paradoxalement une espèce de joie, et beaucoup de poésie. Pete vit une vie de bohémien, un jour dans un palace, le lendemain dans un squat. Jusqu’à sa récente installation à Etretat, il n’a jamais possédé de maison à lui. Il ne s’est jamais vraiment vécu comme une star, il compare la célébrité à une opération militaire ; il ne parle pas de la scène comme d’un endroit excitant, et semble préférer se filmer sur YouTube à jouer des reprises à la guitare sèche, sans ses atours de rock star, juste comme un enfant solitaire rêvant de gloire dans sa chambre.

Et là, nous comprenons que cette fuite n’était finalement qu’une quête : celle du paradis perdu de l’enfance,  car c’est évidemment l’enfant en lui que Pete recherchait, comme beaucoup d’entre nous. Son nounours, Pandy, ne le quittait jamais. Lui ne prenait pas d’héroïne ni de crack, Pandy était son double « clean », son ange gardien. Jusqu’au jour où Kate Moss y mettra le feu. Tel un Phoenix, Pete a pu donc renaître des cendres de Pandy,  jusqu’en revêtir l’apparence, puisqu’il ressemble aujourd’hui à un gentleman farmer rondouillard comme un nounours. So what ? Il semble enfin s’être rapproché de lui-même. 

D’ailleurs, le documentaire que sa femme Katia de Vidas a réalisé sur lui s’intitule : Stranger in my own skin. Qu’ajouter de plus ? Rien. Juste laisser la parole à un génie : « Une fois sorti de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on retrouve l’aurore. » Bernanos.

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est enseignante.

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