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Nuisance téléphonée

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Hier, au ministère de la Santé, le gouvernement ouvrait la première table ronde du « Grenelle des ondes », qui doit statuer sur la nocivité des radiofréquences émises par les téléphones portables et les antennes relais. Associations, élus, ministres et opérateurs participeront à des groupes de travail et rendront leur synthèse à la fin du mois. Petit détail sans importance : aucun scientifique n’a été invité. Mais qu’on se rassure : le ministère de la Santé n’exclut pas de convier l’un ou l’autre chercheur à un groupe de travail ultérieur. Pour l’heure, Roselyne Bachelot a livré son avis sur la question : « Le téléphone portable est plus préoccupant que les antennes relais. » Oui, Mme le Ministre, surtout lorsque c’est Nicolas Sarkozy au bout du fil et qu’il vous apprend votre imminent remaniement.

Ahmadinejad joue et gagne

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Il est dangereux de prévoir le prévisible : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad l’a démontré lundi dernier à Genève, lors de la Conférence de l’Onu sur le racisme. Le monde entier s’est ému d’une phrase qui n’avait pas été prononcée. En effet, la version anglaise du discours distribuée par les diplomates iraniens comportait deux mots remettant en cause la réalité de l’Holocauste (« Les Alliés ont créé l’Etat d’Israël après la Seconde Guerre mondiale sous le prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »), mots que le président iranien n’a finalement pas prononcés.

Selon les règles du jeu habituelles de l’Onu, lorsque l’orateur s’exprime à la tribune dans une langue non officielle – comme en l’occurrence le farsi –, c’est le texte distribué par la mission diplomatique qui fait foi. Or, c’est ce texte anglais, diffusé par les Iraniens à l’avance – comme il est d’usage dans ces cas-là – qui est parvenu aux chancelleries occidentales et qui a motivé la décision de quitter la salle pendant le discours d’Ahmadinejad et sa mise en scène spectaculaire. À en juger par les réactions, le piège a été efficace. Ainsi l’ambassadeur britannique Peter Goderham a-t-il déclaré que « de tels propos antisémites ne devraient pas avoir leur place dans une conférence consacrée à la lutte contre le racisme », faisant clairement référence à la version anglaise et non pas au discours effectivement prononcé.

Le président iranien a donc savamment tendu une embuscade aux diplomates européens : alors qu’on attendait d’éventuels propos négationnistes, il s’est « borné », en fin de compte, à qualifier le gouvernement israélien de « régime raciste » – presque un lieu commun dans une enceinte de l’Onu et dans pas mal de médias. Manœuvre habile donc, car si la négation de la Shoah est très largement considérée comme une affirmation délirante, l’équation « sionisme = racisme » bénéficie d’une audience à la fois plus large et plus respectable. Par conséquent, certaines délégations, comme celle du Vatican, ont décidé de rester dans la salle et d’écouter le discours d’Ahmadinejad dans son intégralité. Interrogé par un journaliste, le représentant du Saint-Siège l’a d’ailleurs dit clairement : s’il est resté dans la salle, c’est justement parce que le président iranien n’a finalement pas tenu les propos négationnistes annoncés. Jeremy Paxton, le célèbre grand reporter de la BBC, ne pensait pas autre chose quand il a qualifié le « walkout » orchestré par la France de coup d’épate, arguant que les gens ont le droit de critiquer le sionisme.

Pour expliquer l’écart entre les deux versions, on peut, me semble-t-il, écarter d’emblée un soudain revirement d’opinion du président iranien qui l’aurait enfin convaincu de la réalité de l’Holocauste. Aurait-il cédé aux amicales pressions de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, ou de quelqu’un d’autre, ou bien s’agit-il d’un calcul ? Dans les deux cas, le résultat est le même : face à l’électorat iranien (appelé aux urnes dans quelques semaines) et à l’opinion publique mondiale, Ahmadinejad a poussé les Européens et notamment la France, à manifester leur solidarité avec Israël et non pas avec les victimes de la Shoah. Autrement dit, il a préféré orienter son discours vers l’antisionisme plutôt que risquer de créer l’unanimité contre lui en sombrant dans l’antisémitisme et le négationnisme. L’exploit d’Ahmadinejad est à saluer : au lieu de se laisser coincer, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler, dans la position intenable d’un Faurisson à turban, il aura réussi à faire accroire à des millions de gens sur terre, grâce aux raccourcis inévitables des comptes-rendus médiatiques, que la France soutient publiquement Netanyahou et Lieberman.

C’est à ce coup de théâtre que se résume finalement la conférence de Genève ; Durban II ne laissera pas d’autre souvenir que le discours d’Ahmadinejad et le départ de l’ambassadeur de France – faux-départ d’ailleurs puisque la France ne s’est pas retirée de la Conférence. Ni les textes adoptés dont on salue « la relative modération » ni les rencontres en coulisses ne sont d’aucune importance. De nouveau il a été démontré que l’ONU n’est rien d’autre qu’une scène où chacun récite son couplet. Le président iranien l’a parfaitement intégré et, à l’instar de ceux qui avaient détourné Durban I en 2001, il a su l’utiliser pour faire sa com’. Pour les gouvernements qui pensaient être plus malins que lui, Ahmadinejad a préparé une petite surprise.

Voilà, en tout cas, qui démontre bien la faiblesse de la stratégie française dans ce dossier. La France avait décidé au dernier moment de participer à la conférence pour se démarquer des Etats-Unis, se montrer à l’écoute du tiers-monde et, cerise sur le gâteau, battre Ahmadinejad à son propre jeu. Pour logique qu’il soit, ce raisonnement passait à côté de l’essentiel, l’efficacité médiatique de ces héros du tiers-monde que sont Ahmadinejad et Chavez, dignes successeurs dans ce domaine du colonel Kadhafi.

La France aurait mieux fait de ne pas aller à ce casse-pipe diplomatique annoncé, quitte à laisser Ségolène Royal s’excuser plus tard devant les damnés de la terre.

Carnages à géométrie variable

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Au moins 40 000 personnes ont fui les régions au nord du Sri Lanka où l’armée et le mouvement des Tigres pour la libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) sont engagés dans de violents combats, a indiqué mardi le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Hormis les immigrés tamouls sympathisants des Tigres, durement bastonnés par la police parisienne lundi soir dans le quartier de la Gare du Nord, personne ne semble trop s’émouvoir en France de la catastrophe humanitaire qui frappe le dernier réduit rebelle de Ceylan. Lors des JT, on a même entendu l’expression « bouclier humain », le LTTE étant nommément accusé de s’abriter derrière les civils pour retarder les offensives de l’armée gouvernementale. C’est curieux, cette expression de « bouclier humain », on ne l’a jamais entendue, il y a trois mois, à propos de Gaza et du Hamas. Et je ne vous parle même pas de « massacres » et autres « génocides ».

Si tu vois Morano !

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Ce n’est un secret pour personne : j’adore Nadine Morano. Ne me demandez pas les raisons de cette affection si particulière et si soudaine. Les sentiments que je lui voue sont instinctifs et entiers. Et j’en viens à me demander pourquoi le gouvernement et le Parlement ne comptent pas dans leurs rangs plus de femmes de sa qualité. A elle seule, elle incarne le génie français ou, plutôt, ce qui resterait de lui après un hiver nucléaire.

Nadine – à ce degré d’admiration, je l’appelle par son prénom – a tous les atouts. Elle porte beau, au point d’être considérée par certains comme le sosie le plus vraisemblable de Patricia Kaas, sans qu’elle ne présente toutefois le méchant inconvénient de la star forbachoise : chanter. Elle a l’allure d’une Madame Sans-Gêne. Tout y est : le verbe vivandier, la bise aux soldats, le tutoiement des puissants. Rien ne lui résiste. Elle n’a peur de personne et ne se méfie de rien, même pas d’elle-même. Ajoutez à cela qu’elle n’a pas sa pareille pour manier la mesure et le discernement – vertus cardinales de tout homme d’Etat –, et vous aurez compris où son destin la conduira : loin. Très loin. Bien au-delà encore.

Certes, je ne le nie pas : sa valeur et ses qualités en rendent aujourd’hui plus d’une jalouse. On le serait à moins. Ainsi a-t-on entendu récemment cette mauvaise langue de Fadela Amara persifler : « C’est la Castafiore. Elle est sympa, mais elle énerve tout le monde et tout le monde la fuit. » Fadela Amara reconnaît au moins une chose : Nadine Morano ressemble trait pour trait à Patricia Kaas, la Castafiore de Forbach, celle que la France ne craint pas d’envoyer à l’Eurovision. C’est un bon début.

Tous les commentateurs politiques dignes de ce nom s’accordent aujourd’hui sur une chose : Nadine Morano est sous-employée. Secrétaire d’Etat à la Famille, ce petit portefeuille ne lui permet pas, en effet, de donner sa pleine mesure. Elle en est bien consciente. Et Didine – le respect n’est pas ennemi de la familiarité – a présenté une offre de services pour accéder à de plus importantes responsabilités. Pas par ambition ni carriérisme, mais uniquement pour faire convenablement son job. Aujourd’hui, elle s’occupe de la famille – et son action porte ses fruits : les Français étaient encore nombreux à se retrouver autour de la table familiale le dernier dimanche de Pâques. Seulement, dit-elle, la famille, c’est bien beau, mais ça ne vaut rien sans un minimum d’éducation.

Comment ne pas lui donner raison ? J’en sais personnellement quelque chose : les neveux et nièces de Willy, mon mari, sont si mal élevés que je n’invite plus personne depuis des années à la maison, ni eux ni leurs parents. Je n’ai aucun conseil à donner à Nicolas Sarkozy, mais il va bien falloir que votre président confie, sans plus attendre, l’Education nationale à Nadine Morano s’il veut que les Français aient encore une vie de famille digne de ce nom.

Mais comment voulez-vous avoir une vraie vie de famille et, par conséquent, rendre visite à votre parentèle si vous n’avez ni permis ni voiture. Chaque fois qu’ils venaient passer Noël à la maison, les parents de Willy devaient prendre le train, descendre à la gare centrale de Stuttgart, emprunter le métro, attendre le bus, prendre une correspondance avant de faire le reste du chemin à pied pour arriver chez nous à deux doigts de l’apoplexie. Les années et le gâtisme venant, bien des fois la police nous les a ramenés à la maison, l’œil vide et hagard, à des heures pas possibles. Avant de devenir complètement sénile, mon beau-père aurait eu le permis et une voiture, notre vie familiale en aurait été largement facilitée.

Le ministère de la Famille donc, celui de l’Education nationale, mais également l’Intérieur (pour le permis), l’Industrie (pour la voiture), l’Ecologie (rouler oui, polluer non), la Santé (au cas où quelqu’un se sente mal à l’arrière du véhicule), la Culture (on ne sait jamais quoi offrir pour l’anniversaire du petit dernier, alors un livre ou autre chose) et l’Economie (pour financer le tout) : voilà la configuration minimale du super-ministère auquel Nadine Morano peut légitimement prétendre.

Ce serait, d’ailleurs, un juste retour des choses. Car, vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais la France a une chance rare d’avoir Nadine Morano – c’est un truc qui se produit tous les trois mille ans dans l’histoire d’une nation. Aujourd’hui, c’est votre tour d’en compter une pareille parmi vous : pour la prochaine, il vous faudra attendre les années 6009. C’est que Didinette – on est moranoïste ou on ne l’est pas – ne se contente pas d’être une femme politique d’exception, elle a des idées à n’en plus finir ! Des idées en avance sur son temps. Rien que la semaine dernière, elle s’est prononcée, dans la même phrase, pour l’adoption des homosexuels et l’euthanasie. Je n’ai rien contre l’idée d’adopter deux ou trois gays, mais je n’en vois pas trop l’intérêt si c’est pour les tuer aussitôt. Je dois être un peu attardée : Nadine va trop vite pour moi.

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Le truc turc

C’est une tradition si établie en France qu’on la croirait vieille de mille ans. Sitôt qu’est annoncée une élection européenne se profile la pointe discrète de babouches. Lully frappe les trois coups. Un turban fait son entrée au-dessus d’un grand manteau d’or, le cimeterre dépasse à peine : tiens, v’là le Grand Turc. Et, élection après élection, sans jamais craindre ni de se répéter ni de lasser leur entourage, nos Messieurs Jourdain de la politique française l’embarrassent de questions[1. – Covielle : Le fils du Grand Turc, votre gendre ! Comme je le fus voir, et que j’entends parfaitement sa langue, il s’entretint avec moi ; et, après quelques autres discours, il me dit : Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c’est-à-dire : « N’as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? »
– Monsieur Jourdain : Le fils du Grand Turc dit cela de moi ?
– Covielle : Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j’avais vu votre fille : « Ah ! me dit-il, marababa sahem » ; c’est-à-dire « Ah ! que je suis amoureux d’elle ! »]. Certains lui promettent leur fille comme bru, d’autres réclament que le mamamouchi excipe de son certificat d’européanité. Tous sont là, subjugués. Rome n’est déjà plus dans Rome ; elle se perd au bord de la mer de Marmara en querelles byzantines.

Il y a bien un mérite à se demander si la Turquie est ou n’est pas européenne : divisant et échauffant les esprits, cette question élude toutes les autres et force chacun à prendre position dans des camps si retranchés que même la raison n’y a plus guère de place.

Les uns vous rappellent que cette nation prétendument si arriérée conféra aux femmes le droit de vote dès 1930, que Mustafa Kemal occidentalisa le pays dès 1923 et qu’aujourd’hui même lorsque certains religieux entendent autoriser le port du voile dans les universités, la Cour constitutionnelle d’Ankara oppose un veto sans appel, comme ce fut le cas en juin 2008. Puis, sérieux, ils vous sortent de la poche un livre d’Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature et néanmoins excellent écrivain, pensez donc.

Les autres vous font en boucle le remake de Midnight express. Ou alors, ils vous jurent que, dès que la Turquie aura rejoint l’Union, des hordes sanguinaires fondront des confins anatoliens sur l’ouest radieux pour égorger nos filles et nos compagnes, faire paître leurs troupeaux sur nos vertes prairies et convertir les rescapés à la foi du mahométan.

Malheur à celui qui aurait l’heur de sortir de ces positions-là, pour rappeler que l’affaire turque n’est pas une affaire française, mais avant tout la question de la Mitteleuropa, cet espace construit sur les décombres de l’Empire austro-hongrois, du Reich allemand puis, bien plus tard, de l’Union soviétique et dont la France s’est évertuée, de François Ier jusqu’à François Mitterrand, à contenir l’expansion.

Des innombrables sièges de Vienne par les Ottomans, la France a gagné le croissant, celui que tout bon Français trempe avec délectation dans son café matinal dans le seul but de provoquer le dégoût instantané de tous les autres Européens. Elle en a tiré aussi une relative stabilité géopolitique, lui permettant de conforter des siècles durant ses frontières extérieures et de construire son identité nationale, pendant que le Saint Empire s’inquiétait pour sa part de ses frontières orientales soumises à de multiples assauts et y confinait toutes ses troupes.

A dire vrai, notre pays n’a, dans son histoire, jamais fait la fine bouche ni refusé les loukoums ottomans lorsqu’il s’agissait de pactiser avec Soliman et de prendre en tenaille les Impériaux. Pour conclure une alliance contre le très chrétien Charles Quint, François Ier n’a pas demandé à son homologue de Constantinople s’il faisait bien ses Pâques et regardait dévotement le Jour du Seigneur chaque dimanche sur France 2 : il s’est contenté de signer en 1536 le traité des Capitulations, premier du genre entre une nation chrétienne et une nation musulmane.

Ce n’est pas non plus le fruit du hasard si l’inspiré Colbert fonda en 1669 l’Ecole des Jeunes de langues, que Lakanal transforma après la Révolution en école des Langues orientales. Ce n’est pas non plus sans raison que le général de Gaulle renforça les liens de la France avec le pays d’Atatürk, dont il admirait sincèrement l’œuvre. Dès 1963, c’est bien sous l’impulsion de De Gaulle et d’Adenauer que l’Europe signa des accords d’association, préparatoire puis transitoire, avec la Turquie.

Qu’elle soit une alliée multiséculaire de la France est un fait historique. Certes, cette alliance si fidèle et si longue ne fait pas de la Turquie un département français ni d’Ankara un chef-lieu d’arrondissement.

Ainsi va la marche du monde : on peut s’entendre, se parler et commercer ensemble sans pour autant croire qu’il est indispensable de se mettre à la colle.

Dans l’ordre géopolitique, la Turquie fait office de pont entre le monde occidental et le monde musulman. Pour le meilleur et pour le pire. Le jour, on y voit circuler les personnes, les idées et les biens. La nuit, on s’y livre, tous phares éteints, à des échanges plus douteux. Son appartenance à l’Otan, à l’OSCE et à l’OCDE arrime solidement la Turquie à l’Occident. En rejoignant demain l’Union européenne, il n’est pas dit que la position géostratégique du pays ne serait pas aussitôt affaiblie. Que vaudrait, aux yeux des autres pays de la région et du monde musulman, une Turquie devenue nouvelle province d’un Empire qui ne veut pas dire son nom puisqu’il n’en a pas la puissance ?

Bref, qu’il soit constantinopolitain hier ou bruxellois aujourd’hui, le byzantinisme, forme suprême de l’impuissance et du déni de réalité, menace toujours la stabilité de la région.

Les raisonnements spécieux sur la culture, la religion ou la géographie ne sont ici, au regard de l’histoire, que des billevesées. Un élève de 6e disposant des rudiments du savoir et d’un peu de catéchisme (je sais bien que ça n’existe plus) pourrait vous retourner en cinq sec tous les arguments culturels : de Paul de Tarse à Nicolas de Myre, en passant par le concile de Nicée, toute l’unité religieuse et culturelle de l’Europe s’est construite paradoxalement en Anatolie.

L’économie même, dont on prétend qu’elle gouverne le monde, n’est rien : le produit intérieur brut par habitant de la Turquie, s’il reste bien en deçà de la moyenne européenne, est supérieur à celui de la Bulgarie et de la Roumanie, pourtant membres à part entière de l’Union depuis 2007.

La seule question qui vaille est politique. Politique, et rien d’autre.

D’ailleurs, ceux qui croient que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est une affaire de civilisation ou de religion devraient tourner leur regard vers Strasbourg : Ankara est, depuis 1949, l’un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe. Oui, bon, mais encore ? Depuis 1954 et la ratification de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Turquie siège à la Cour de Strasbourg. Si un citoyen français pense que ses droits fondamentaux sont bafoués par son Etat et que toutes les voies de recours ont été épuisées dans son pays, il peut demander justice et réparation à la Cour européenne des droits de l’Homme et voir son affaire traitée par l’excellente Işıl Karakaş, ancienne doyenne de la faculté de droit d’Istanbul et actuelle juge turque à la Cour.

Admettons que ce justiciable soit un fan du président Sarkozy et, par-là même, un adversaire farouche de l’adhésion de la Turquie à l’Union. S’il obtient gain de cause contre son Etat, refusera-t-il le jugement de Mme Karakaş, au motif qu’il estime que la Turquie n’a pas sa place dans une organisation continentale, fût-elle paneuropéenne ?

Quel autre brevet d’européanité demander à la Turquie : elle adhère non seulement aux valeurs qui font le ciment de la civilisation européenne, mais les défend et les illustre.

Alors quoi ? Membre fondateur du Conseil de l’Europe depuis soixante ans, la Turquie est candidate depuis cinquante ans à l’entrée dans l’Europe intégrée. La laisserons-nous encore longtemps dans le vestibule strasbourgeois ? Peut-être bien que oui. Car il faudra l’assentiment des peuples, cette drôle de chose dont on ne s’embarrasse plus guère en Europe depuis longtemps. Sauf, précisément, lorsque l’on passe aux choses sérieuses et qu’il s’agit de faire entrer le grand Turc dans son salon.

Sept ans déjà

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Le 21 avril 2002, le coup de tonnerre, le tremblement de terre éclatait dans le ciel de la Ve république. M. Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. Elu de justesse par 50,07 % malgré les manifestations d’une jeunesse manipulée, le président Le Pen mit en route une vigoureuse politique anti-immigrationniste en créant un ministère de l’Identité nationale, confié à Carl Lang. Il pratiqua également une politique d’ouverture assez inédite auprès de la société civile (Alain Soral, Fadela Amara) et de la gauche (Bernard Kouchner, Manuel Valls). C’est sans problème qu’il devait battre au second tour de 2007 le leader du NPA, Olivier Besancenot par 82 % des voix.

Chirac en mauvaise posture dans les sondages

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La rédaction de Causeur n’a pas mis cinq secondes à réfléchir avant de prendre ses responsabilités. L’essentiel est aujourd’hui en jeu : la liberté d’expression, la démocratie, les droits de l’homme, les oiseaux qui gazouillent au printemps, le ciel bleu, le soleil chaud de l’été sur la peau dorée d’une belle femme, une gorgée d’eau fraiche en haut du Ventoux, le sourire des enfants et les souvenirs des vieillards. En ce 21 avril, Causeur appelle solennellement tous ses lecteurs à voter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle. Quelle que soit la mauvaise ou très mauvaise opinion que vous ayez de lui, il reste notre dernier rempart contre les vieux démons qui ne demandent qu’à être réveillés pour peu qu’on les chatouille.

La reine d’Angleterre sur iPod ?

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Lors du G20 à Londres, Barack Obama a offert à la Reine Elisabeth II un iPod dernier cri. Le président américain avait pris soin d’y inclure une vidéo de la Reine visitant les États-Unis en 2007, des extraits du film My Fair Lady et des airs classiques, comme La légende du roi Arthur. En retour, la reine Elisabeth a offert sa photo dédicacée à Barack et à Michelle Obama. Il n’y a pas à dire : elle gagne au change, puisqu’elle va pouvoir télécharger illégalement tous ses tubes préférés sur le Net.

La France pénitente

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Les Français sont vilains. L’opinion internationale s’en était déjà aperçue, en 2007, lorsque, à la surprise générale, ils avaient accordé leurs suffrages à un tyran plutôt qu’à la femme politique la plus exceptionnelle de leur temps.

Dans dix ou vingt siècles, tous les historiens s’accorderont sur une chose : il y eut, dans toute l’histoire française, deux femmes vraiment géniales, Jeanne d’Arc et Ségolène Royal (il y a eu aussi, en vérité, Coco Chanel et Roselyne Bachelot, mais pour d’autres raisons). Les deux étaient lorraines. Les deux ne firent pas une carrière époustouflante. Les deux avaient une conception de leur mission assez incompréhensible aux yeux du vulgum pecus.

Un peu d’histoire de France pour les ignorants. C’est en 1428 que Ségolène Royal quitte la maison familiale, une maison humble de paysans lorrains avec tas de fumier devant la porte, se rend à pied chez le sieur Pierre Bergé et demande à iceluy de lui fournir bravitude, estoc et espèces trébuchantes, afin de bouter l’Anglois hors de France. Elle libère le Poitou et la Charente au cri de « La France présidente », suivie par Pierre Bergé qui, en chemin, se lie d’amitié avec Gilles de Rais – ce dernier passera à la postérité sous le pseudonyme de Dominique Besnehard. Mais la Lorraine est vite trahie par l’évêque Besson qui fout le feu à ses robes d’une façon encore plus expéditive que la justice chinoise.

Libérée de son enveloppe charnelle et accédant aux réalités suprasensibles (comme on dit chez Raël), elle intercède alors pour la France et le salut des Français. En attestent les nombreuses pièces de son procès en canonisation entamé dès 1481.

En 1515, elle demande pardon aux Suisses pour la défaite que leur a infligée François Ier à Marignan. En 1610, elle présente au nom d’Henri IV ses excuses à la famille Ravaillac pour avoir aussi cruellement traité l’un des siens. On la retrouve en 1793 demander pardon aux Bourbon au nom du Comité de Salut public pour avoir coupé la tête de Louis XVI, tandis que 1804 la voit s’excuser au nom de Napoléon de la promulgation du Code civil auprès de populations de serfs jusque-là si heureux du droit coutumier – pour les moches, le cuissage seigneurial n’est pas une broutille. 1885 n’est pas sa plus piètre année : elle bat sa coulpe face au virus de la rage si injustement maltraité par Pasteur, tandis qu’elle présente ses excuses aux descendants de Napoléon III pour les écrits assez mauvais de Victor Hugo à l’endroit de leur impérial aïeul.

On la retrouve en 1922 à Gambais demandant à Landru le pardon pour les innombrables torts que lui causa le sexe faible. En 1941, on la croise du côté de Montoire, en train de réclamer l’indulgence du chancelier Hitler pour les mains moites du maréchal Pétain. Et il faut attendre 1946 pour la voir implorer la mansuétude du docteur Petiot : oui, les valises Delsey brûlent mal.

Quoi d’étrange à cela ? C’est elle qui, chaque Semaine Sainte, parcourt les rues de Séville et se flagelle pour réclamer la rémission des péchés et le pardon des fautes humaines. Comédienne et martyre au long des vastes âges, Ségolène Royal a du métier.

Dans les contrées reculées du 7e arrondissement, emplies de fantômes du temps passé et de superstitions d’un autre âge, il se raconte que la Dame Blanche apparaît les soirs de pleine lune aux désespérés de la rue de Solférino. Son cri est terrible, son linceul immaculé. La semaine dernière, Martine Aubry a convoqué l’abbé de La Morandais afin qu’il accomplisse un exorcisme. Il a refusé : « Moi, je fais dans le people, pas dans les fantômes politiques. »

Il n’y a pas plus de trois semaines, j’avais préparé un coq au riesling à Willy, mon mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ; peut-être avais-je un peu plus arrosé mon gosier que le gallinacée, mais la bête brûla dans le four. On sonna à la porte. C’était Ségolène Royal qui débarquait, les bras pleins de victuailles achetées chez le traiteur italien : elle demanda pardon en mon nom à Willy, mit le couvert et fit la vaisselle. Elle aurait pensé à s’approvisionner suffisamment en Grappa invecchiata, je ne lui en aurais pas tenu grief.

Les Français n’ont pas voulu de la France présidente. Maintenant qu’ils l’ont pénitente, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux.

La presse perd ses Facultés

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Il paraît que la presse est libre. Et elle y tient beaucoup, à sa liberté. Elle proteste beaucoup, avec raison, contre toute atteinte à sa liberté. Mais pour le manque de liberté de pensée, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire.

On pouvait croire, au début du mouvement universitaire, que l’information sur la réforme Pécresse et les réactions qu’elle suscite permettrait de sortir des habituels clichés : profs fainéants, mandarins accrochés à leur pouvoir, chercheurs claquemurés dans leurs laboratoires, six mois de vacances, conservatisme et corporatisme, refus de toute évaluation, etc. Il y a eu quelques émissions remarquables sur le service public, un véritable travail de fond de la part des journalistes de Libération. En dehors de cela, dans la majorité des cas, la couverture médiatique du mouvement est accablante. On a le choix : ici, les idées toutes faites ; là, le poujadisme ; presque partout, la plus radicale absence d’informations précises sur le contenu de la réforme et les raisons exactes de son refus par les universitaires. D’où les interpellations incessantes de gens qui ne comprennent pas, demandent qu’on leur explique, récitent une doxa sur l’université. On se demande vraiment à quoi sert la presse. En tous cas, certainement pas, dans ce pays, à donner les éléments essentiels de compréhension. D’où le déluge d’interventions haineuses sur certains sites, notamment celui du Monde.

Il est temps de dresser le florilège des bêtises assénées sur nos radios et dans nos journaux.

Il paraît que, de toutes façons, on ne peut pas réformer l’Université, dès qu’on tente quelque chose, ils sont dans la rue. Cette ritournelle, entendue maintes fois, serait à conserver en bocal, pour l’édification des générations futures, avec l’étiquette : « Monstrueuse contre-vérité, début XXIe siècle ». Depuis plus d’un quart de siècle, l’Université subit des réformes sans discontinuer, et sur tous les plans. A peine l’une est-elle digérée qu’une autre arrive, selon les caprices des ministres ou des directeurs de cabinet. L’universitaire passe son temps dans de la paperasse à réforme et de la réunion à réforme. Depuis plus d’un quart de siècle, il a tout avalé, tout accepté, sans un murmure, sans la moindre petite grève. Il a pris maints coups de pied au cul, et il a dit merci. Son métier s’est complètement dévalorisé, ses charges de travail n’ont cessé d’augmenter, ses conditions et ses lieux de travail sont à sangloter, il a avalé sans sourciller la démocratisation du supérieur, c’est-à-dire le quintuplement des effectifs en quelques lustres, tout cela en multipliant vaille que vaille les publications de haut niveau. Et voilà que pour une fois, pour une seule fois que l’universitaire élève la voix, on lui dit qu’il exagère et qu’on ne peut décidément pas réformer l’Université.

Entendre ça donne envie de distribuer des coups de pelle. Car cette grève, la première qui soit aussi longue et aussi généralisée depuis qu’il y a une université en France, ne vise pas seulement la réforme qui vient de faire déborder le vase d’exaspération. Elle est l’expression d’un écœurement face au mépris et à l’absence de reconnaissance du travail accompli, tels qu’ils s’expriment généreusement dans nos journaux.

Cette grève est d’abord une grève des universitaires, toutes tendances politiques et syndicales confondues, à laquelle se sont ralliés les étudiants et les personnels de l’Université, des parents d’élèves et des enseignants du secondaire. Cette unanimité, la durée inédite du mouvement (trois mois pour l’instant), le fait que s’y soient joints des présidents d’université généralement peu enclins à contester, quarante sociétés savantes, des grandes écoles, dont l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, les formes inédites qu’il adopte, avec les démissions de responsabilités administratives un peu partout, la « ronde des obstinés », tout cela devrait au moins donner à penser que le problème dépasse le supposé « immobilisme » de l’institution universitaire. Eh bien non.

Inversement, on a eu droit à tout. Dans Le Monde, ce fut tout bonnement, de la part des deux journalistes de service, Cédelle et Rollot, à un relais de la communication ministérielle. Le Monde est devenu une sorte d’organe officiel, une Pravda expliquant au bon peuple que les ministres ne cessent de faire des gestes de bonne volonté, que la durée du mouvement s’explique par des « crispations » et des « rumeurs », et que tout cela est très mauvais pour la réputation de nos universités. Dans Le Figaro, pas de surprise : lorsque le respectable organe s’intéresse un peu à ce mouvement, c’est pour titrer en gras sur le fait que les grévistes sont payés. Ailleurs, à la télévision, à la radio, on oscille entre poujadisme classique et énormités burlesques. On peut entendre un journaliste du service public asséner qu’un chercheur devient moins bon après quarante ans, parce que c’est génétique, et qu’il faut donc lui faire enseigner plus à partir de cet âge canonique. On croit à une plaisanterie, ce n’en est pas une.

On peut entendre Franz-Olivier Giesbert, pérorant dans Le Point du haut de ses certitudes : « Consternant mouvement contre le décret de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, changeant le statut des enseignants-chercheurs. Pensez ! Ils risqueraient d’être soumis à une véritable évaluation et, pis encore, à une concurrence entre les universités. D’où l’appel à la grève illimitée d’enseignants ou de chercheurs qui, derrière leur logomachie pseudo-révolutionnaire, ont souvent, chevillée au corps, l’idéologie du père Peinard. La France est l’un des pays d’Europe qui dépense le plus pour son système éducatif, avec les résultats que l’on sait. Il faut que ce fiasco continue, et tant pis pour nos enfants, qui, inconscients des enjeux, se feront de toute façon embringuer par des universitaires, réactionnaires au sens propre du mot. »

Si Giesbert, comme ses confrères, s’était un peu renseigné, il aurait compris que la réforme Darcos des concours d’enseignement consiste, non pas à améliorer la formation des professeurs, comme on l’a malheureusement entendu régulièrement, mais avant tout à supprimer l’année de stage, c’est-à-dire ce qui jusqu’ici permettait réellement au jeune professeur d’apprendre son métier. Pourquoi cette suppression ? Pour faire des économies. Si Giesbert, au lieu de réciter un credo idéologique, s’était penché un peu plus sur la réalité pragmatique, il aurait éventuellement compris ce qu’ont assez vite compris professeurs au collège de France, professeurs des Hautes Etudes, doctorants, étudiants et bien d’autres, tous des révolutionnaires comme on sait, à savoir que la réforme Pécresse consiste pour l’essentiel à donner tous pouvoirs aux présidents, c’est-à-dire à aggraver le localisme qui mine la qualité de l’université française et le niveau de son recrutement. Il aurait compris qu’un universitaire exerce trois métiers, enseignant, chercheur et administrateur, ce qui fait beaucoup de travail pour la plupart d’entre eux et pour un salaire bien inférieur à celui de M. Giesbert.

Il aurait compris que l’évaluation existe déjà, à tous les niveaux de la carrière d’un universitaire. Il aurait compris que ce que le ministère appelle évaluation n’est qu’une usine à gaz totalement irréaliste, destinée à récompenser les plus serviles, qui n’aboutirait, au prix d’une déperdition d’énergie monstrueuse, qu’à susciter une multiplication d’articles creux au lieu de favoriser la recherche fondamentale. Il aurait compris que la modulation des services n’est qu’une grosse astuce pour charger une bourrique universitaire qui croule déjà sous les tâches diverses, et finalement économiser sur les recrutements ou les heures supplémentaires, car tel est le véritable objectif. Il aurait compris qu’il s’agit, par pure idéologie, de transformer les universités en entreprises. Il aurait compris que ce qu’on appelle « réforme » n’est en l’occurrence qu’une régression, une destruction du service public, de la part de politiques qui se moquent bien de l’Université et n’y connaissent rien.

Il aurait compris que la réforme Pécresse est le meilleur moyen de tarir la vie intellectuelle et la recherche en France, que la réforme Darcos est le meilleur moyen de créer des générations de professeurs dépourvus de connaissances ni pédagogie, puisque c’est ce qui est touché en premier lieu, mais parfaitement au fait de la bureaucratie scolaire. Informer de la réalité concrète des choses est sans doute trop demander aux journalistes. On finit par se dire, au vu de ce qu’ils ont fait de ce mouvement, que l’information n’est pas leur préoccupation première. Il s’agit surtout pour eux de publier ce qu’ils pensent devoir servir à leur lectorat, à leurs actionnaires ou les deux, et de reproduire, ce faisant, de vieux stéréotypes. La réalité est ailleurs.

Nuisance téléphonée

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Hier, au ministère de la Santé, le gouvernement ouvrait la première table ronde du « Grenelle des ondes », qui doit statuer sur la nocivité des radiofréquences émises par les téléphones portables et les antennes relais. Associations, élus, ministres et opérateurs participeront à des groupes de travail et rendront leur synthèse à la fin du mois. Petit détail sans importance : aucun scientifique n’a été invité. Mais qu’on se rassure : le ministère de la Santé n’exclut pas de convier l’un ou l’autre chercheur à un groupe de travail ultérieur. Pour l’heure, Roselyne Bachelot a livré son avis sur la question : « Le téléphone portable est plus préoccupant que les antennes relais. » Oui, Mme le Ministre, surtout lorsque c’est Nicolas Sarkozy au bout du fil et qu’il vous apprend votre imminent remaniement.

Ahmadinejad joue et gagne

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Il est dangereux de prévoir le prévisible : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad l’a démontré lundi dernier à Genève, lors de la Conférence de l’Onu sur le racisme. Le monde entier s’est ému d’une phrase qui n’avait pas été prononcée. En effet, la version anglaise du discours distribuée par les diplomates iraniens comportait deux mots remettant en cause la réalité de l’Holocauste (« Les Alliés ont créé l’Etat d’Israël après la Seconde Guerre mondiale sous le prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »), mots que le président iranien n’a finalement pas prononcés.

Selon les règles du jeu habituelles de l’Onu, lorsque l’orateur s’exprime à la tribune dans une langue non officielle – comme en l’occurrence le farsi –, c’est le texte distribué par la mission diplomatique qui fait foi. Or, c’est ce texte anglais, diffusé par les Iraniens à l’avance – comme il est d’usage dans ces cas-là – qui est parvenu aux chancelleries occidentales et qui a motivé la décision de quitter la salle pendant le discours d’Ahmadinejad et sa mise en scène spectaculaire. À en juger par les réactions, le piège a été efficace. Ainsi l’ambassadeur britannique Peter Goderham a-t-il déclaré que « de tels propos antisémites ne devraient pas avoir leur place dans une conférence consacrée à la lutte contre le racisme », faisant clairement référence à la version anglaise et non pas au discours effectivement prononcé.

Le président iranien a donc savamment tendu une embuscade aux diplomates européens : alors qu’on attendait d’éventuels propos négationnistes, il s’est « borné », en fin de compte, à qualifier le gouvernement israélien de « régime raciste » – presque un lieu commun dans une enceinte de l’Onu et dans pas mal de médias. Manœuvre habile donc, car si la négation de la Shoah est très largement considérée comme une affirmation délirante, l’équation « sionisme = racisme » bénéficie d’une audience à la fois plus large et plus respectable. Par conséquent, certaines délégations, comme celle du Vatican, ont décidé de rester dans la salle et d’écouter le discours d’Ahmadinejad dans son intégralité. Interrogé par un journaliste, le représentant du Saint-Siège l’a d’ailleurs dit clairement : s’il est resté dans la salle, c’est justement parce que le président iranien n’a finalement pas tenu les propos négationnistes annoncés. Jeremy Paxton, le célèbre grand reporter de la BBC, ne pensait pas autre chose quand il a qualifié le « walkout » orchestré par la France de coup d’épate, arguant que les gens ont le droit de critiquer le sionisme.

Pour expliquer l’écart entre les deux versions, on peut, me semble-t-il, écarter d’emblée un soudain revirement d’opinion du président iranien qui l’aurait enfin convaincu de la réalité de l’Holocauste. Aurait-il cédé aux amicales pressions de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, ou de quelqu’un d’autre, ou bien s’agit-il d’un calcul ? Dans les deux cas, le résultat est le même : face à l’électorat iranien (appelé aux urnes dans quelques semaines) et à l’opinion publique mondiale, Ahmadinejad a poussé les Européens et notamment la France, à manifester leur solidarité avec Israël et non pas avec les victimes de la Shoah. Autrement dit, il a préféré orienter son discours vers l’antisionisme plutôt que risquer de créer l’unanimité contre lui en sombrant dans l’antisémitisme et le négationnisme. L’exploit d’Ahmadinejad est à saluer : au lieu de se laisser coincer, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler, dans la position intenable d’un Faurisson à turban, il aura réussi à faire accroire à des millions de gens sur terre, grâce aux raccourcis inévitables des comptes-rendus médiatiques, que la France soutient publiquement Netanyahou et Lieberman.

C’est à ce coup de théâtre que se résume finalement la conférence de Genève ; Durban II ne laissera pas d’autre souvenir que le discours d’Ahmadinejad et le départ de l’ambassadeur de France – faux-départ d’ailleurs puisque la France ne s’est pas retirée de la Conférence. Ni les textes adoptés dont on salue « la relative modération » ni les rencontres en coulisses ne sont d’aucune importance. De nouveau il a été démontré que l’ONU n’est rien d’autre qu’une scène où chacun récite son couplet. Le président iranien l’a parfaitement intégré et, à l’instar de ceux qui avaient détourné Durban I en 2001, il a su l’utiliser pour faire sa com’. Pour les gouvernements qui pensaient être plus malins que lui, Ahmadinejad a préparé une petite surprise.

Voilà, en tout cas, qui démontre bien la faiblesse de la stratégie française dans ce dossier. La France avait décidé au dernier moment de participer à la conférence pour se démarquer des Etats-Unis, se montrer à l’écoute du tiers-monde et, cerise sur le gâteau, battre Ahmadinejad à son propre jeu. Pour logique qu’il soit, ce raisonnement passait à côté de l’essentiel, l’efficacité médiatique de ces héros du tiers-monde que sont Ahmadinejad et Chavez, dignes successeurs dans ce domaine du colonel Kadhafi.

La France aurait mieux fait de ne pas aller à ce casse-pipe diplomatique annoncé, quitte à laisser Ségolène Royal s’excuser plus tard devant les damnés de la terre.

Carnages à géométrie variable

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Au moins 40 000 personnes ont fui les régions au nord du Sri Lanka où l’armée et le mouvement des Tigres pour la libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) sont engagés dans de violents combats, a indiqué mardi le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Hormis les immigrés tamouls sympathisants des Tigres, durement bastonnés par la police parisienne lundi soir dans le quartier de la Gare du Nord, personne ne semble trop s’émouvoir en France de la catastrophe humanitaire qui frappe le dernier réduit rebelle de Ceylan. Lors des JT, on a même entendu l’expression « bouclier humain », le LTTE étant nommément accusé de s’abriter derrière les civils pour retarder les offensives de l’armée gouvernementale. C’est curieux, cette expression de « bouclier humain », on ne l’a jamais entendue, il y a trois mois, à propos de Gaza et du Hamas. Et je ne vous parle même pas de « massacres » et autres « génocides ».

Si tu vois Morano !

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Ce n’est un secret pour personne : j’adore Nadine Morano. Ne me demandez pas les raisons de cette affection si particulière et si soudaine. Les sentiments que je lui voue sont instinctifs et entiers. Et j’en viens à me demander pourquoi le gouvernement et le Parlement ne comptent pas dans leurs rangs plus de femmes de sa qualité. A elle seule, elle incarne le génie français ou, plutôt, ce qui resterait de lui après un hiver nucléaire.

Nadine – à ce degré d’admiration, je l’appelle par son prénom – a tous les atouts. Elle porte beau, au point d’être considérée par certains comme le sosie le plus vraisemblable de Patricia Kaas, sans qu’elle ne présente toutefois le méchant inconvénient de la star forbachoise : chanter. Elle a l’allure d’une Madame Sans-Gêne. Tout y est : le verbe vivandier, la bise aux soldats, le tutoiement des puissants. Rien ne lui résiste. Elle n’a peur de personne et ne se méfie de rien, même pas d’elle-même. Ajoutez à cela qu’elle n’a pas sa pareille pour manier la mesure et le discernement – vertus cardinales de tout homme d’Etat –, et vous aurez compris où son destin la conduira : loin. Très loin. Bien au-delà encore.

Certes, je ne le nie pas : sa valeur et ses qualités en rendent aujourd’hui plus d’une jalouse. On le serait à moins. Ainsi a-t-on entendu récemment cette mauvaise langue de Fadela Amara persifler : « C’est la Castafiore. Elle est sympa, mais elle énerve tout le monde et tout le monde la fuit. » Fadela Amara reconnaît au moins une chose : Nadine Morano ressemble trait pour trait à Patricia Kaas, la Castafiore de Forbach, celle que la France ne craint pas d’envoyer à l’Eurovision. C’est un bon début.

Tous les commentateurs politiques dignes de ce nom s’accordent aujourd’hui sur une chose : Nadine Morano est sous-employée. Secrétaire d’Etat à la Famille, ce petit portefeuille ne lui permet pas, en effet, de donner sa pleine mesure. Elle en est bien consciente. Et Didine – le respect n’est pas ennemi de la familiarité – a présenté une offre de services pour accéder à de plus importantes responsabilités. Pas par ambition ni carriérisme, mais uniquement pour faire convenablement son job. Aujourd’hui, elle s’occupe de la famille – et son action porte ses fruits : les Français étaient encore nombreux à se retrouver autour de la table familiale le dernier dimanche de Pâques. Seulement, dit-elle, la famille, c’est bien beau, mais ça ne vaut rien sans un minimum d’éducation.

Comment ne pas lui donner raison ? J’en sais personnellement quelque chose : les neveux et nièces de Willy, mon mari, sont si mal élevés que je n’invite plus personne depuis des années à la maison, ni eux ni leurs parents. Je n’ai aucun conseil à donner à Nicolas Sarkozy, mais il va bien falloir que votre président confie, sans plus attendre, l’Education nationale à Nadine Morano s’il veut que les Français aient encore une vie de famille digne de ce nom.

Mais comment voulez-vous avoir une vraie vie de famille et, par conséquent, rendre visite à votre parentèle si vous n’avez ni permis ni voiture. Chaque fois qu’ils venaient passer Noël à la maison, les parents de Willy devaient prendre le train, descendre à la gare centrale de Stuttgart, emprunter le métro, attendre le bus, prendre une correspondance avant de faire le reste du chemin à pied pour arriver chez nous à deux doigts de l’apoplexie. Les années et le gâtisme venant, bien des fois la police nous les a ramenés à la maison, l’œil vide et hagard, à des heures pas possibles. Avant de devenir complètement sénile, mon beau-père aurait eu le permis et une voiture, notre vie familiale en aurait été largement facilitée.

Le ministère de la Famille donc, celui de l’Education nationale, mais également l’Intérieur (pour le permis), l’Industrie (pour la voiture), l’Ecologie (rouler oui, polluer non), la Santé (au cas où quelqu’un se sente mal à l’arrière du véhicule), la Culture (on ne sait jamais quoi offrir pour l’anniversaire du petit dernier, alors un livre ou autre chose) et l’Economie (pour financer le tout) : voilà la configuration minimale du super-ministère auquel Nadine Morano peut légitimement prétendre.

Ce serait, d’ailleurs, un juste retour des choses. Car, vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais la France a une chance rare d’avoir Nadine Morano – c’est un truc qui se produit tous les trois mille ans dans l’histoire d’une nation. Aujourd’hui, c’est votre tour d’en compter une pareille parmi vous : pour la prochaine, il vous faudra attendre les années 6009. C’est que Didinette – on est moranoïste ou on ne l’est pas – ne se contente pas d’être une femme politique d’exception, elle a des idées à n’en plus finir ! Des idées en avance sur son temps. Rien que la semaine dernière, elle s’est prononcée, dans la même phrase, pour l’adoption des homosexuels et l’euthanasie. Je n’ai rien contre l’idée d’adopter deux ou trois gays, mais je n’en vois pas trop l’intérêt si c’est pour les tuer aussitôt. Je dois être un peu attardée : Nadine va trop vite pour moi.

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Le truc turc

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C’est une tradition si établie en France qu’on la croirait vieille de mille ans. Sitôt qu’est annoncée une élection européenne se profile la pointe discrète de babouches. Lully frappe les trois coups. Un turban fait son entrée au-dessus d’un grand manteau d’or, le cimeterre dépasse à peine : tiens, v’là le Grand Turc. Et, élection après élection, sans jamais craindre ni de se répéter ni de lasser leur entourage, nos Messieurs Jourdain de la politique française l’embarrassent de questions[1. – Covielle : Le fils du Grand Turc, votre gendre ! Comme je le fus voir, et que j’entends parfaitement sa langue, il s’entretint avec moi ; et, après quelques autres discours, il me dit : Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c’est-à-dire : « N’as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? »
– Monsieur Jourdain : Le fils du Grand Turc dit cela de moi ?
– Covielle : Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j’avais vu votre fille : « Ah ! me dit-il, marababa sahem » ; c’est-à-dire « Ah ! que je suis amoureux d’elle ! »]. Certains lui promettent leur fille comme bru, d’autres réclament que le mamamouchi excipe de son certificat d’européanité. Tous sont là, subjugués. Rome n’est déjà plus dans Rome ; elle se perd au bord de la mer de Marmara en querelles byzantines.

Il y a bien un mérite à se demander si la Turquie est ou n’est pas européenne : divisant et échauffant les esprits, cette question élude toutes les autres et force chacun à prendre position dans des camps si retranchés que même la raison n’y a plus guère de place.

Les uns vous rappellent que cette nation prétendument si arriérée conféra aux femmes le droit de vote dès 1930, que Mustafa Kemal occidentalisa le pays dès 1923 et qu’aujourd’hui même lorsque certains religieux entendent autoriser le port du voile dans les universités, la Cour constitutionnelle d’Ankara oppose un veto sans appel, comme ce fut le cas en juin 2008. Puis, sérieux, ils vous sortent de la poche un livre d’Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature et néanmoins excellent écrivain, pensez donc.

Les autres vous font en boucle le remake de Midnight express. Ou alors, ils vous jurent que, dès que la Turquie aura rejoint l’Union, des hordes sanguinaires fondront des confins anatoliens sur l’ouest radieux pour égorger nos filles et nos compagnes, faire paître leurs troupeaux sur nos vertes prairies et convertir les rescapés à la foi du mahométan.

Malheur à celui qui aurait l’heur de sortir de ces positions-là, pour rappeler que l’affaire turque n’est pas une affaire française, mais avant tout la question de la Mitteleuropa, cet espace construit sur les décombres de l’Empire austro-hongrois, du Reich allemand puis, bien plus tard, de l’Union soviétique et dont la France s’est évertuée, de François Ier jusqu’à François Mitterrand, à contenir l’expansion.

Des innombrables sièges de Vienne par les Ottomans, la France a gagné le croissant, celui que tout bon Français trempe avec délectation dans son café matinal dans le seul but de provoquer le dégoût instantané de tous les autres Européens. Elle en a tiré aussi une relative stabilité géopolitique, lui permettant de conforter des siècles durant ses frontières extérieures et de construire son identité nationale, pendant que le Saint Empire s’inquiétait pour sa part de ses frontières orientales soumises à de multiples assauts et y confinait toutes ses troupes.

A dire vrai, notre pays n’a, dans son histoire, jamais fait la fine bouche ni refusé les loukoums ottomans lorsqu’il s’agissait de pactiser avec Soliman et de prendre en tenaille les Impériaux. Pour conclure une alliance contre le très chrétien Charles Quint, François Ier n’a pas demandé à son homologue de Constantinople s’il faisait bien ses Pâques et regardait dévotement le Jour du Seigneur chaque dimanche sur France 2 : il s’est contenté de signer en 1536 le traité des Capitulations, premier du genre entre une nation chrétienne et une nation musulmane.

Ce n’est pas non plus le fruit du hasard si l’inspiré Colbert fonda en 1669 l’Ecole des Jeunes de langues, que Lakanal transforma après la Révolution en école des Langues orientales. Ce n’est pas non plus sans raison que le général de Gaulle renforça les liens de la France avec le pays d’Atatürk, dont il admirait sincèrement l’œuvre. Dès 1963, c’est bien sous l’impulsion de De Gaulle et d’Adenauer que l’Europe signa des accords d’association, préparatoire puis transitoire, avec la Turquie.

Qu’elle soit une alliée multiséculaire de la France est un fait historique. Certes, cette alliance si fidèle et si longue ne fait pas de la Turquie un département français ni d’Ankara un chef-lieu d’arrondissement.

Ainsi va la marche du monde : on peut s’entendre, se parler et commercer ensemble sans pour autant croire qu’il est indispensable de se mettre à la colle.

Dans l’ordre géopolitique, la Turquie fait office de pont entre le monde occidental et le monde musulman. Pour le meilleur et pour le pire. Le jour, on y voit circuler les personnes, les idées et les biens. La nuit, on s’y livre, tous phares éteints, à des échanges plus douteux. Son appartenance à l’Otan, à l’OSCE et à l’OCDE arrime solidement la Turquie à l’Occident. En rejoignant demain l’Union européenne, il n’est pas dit que la position géostratégique du pays ne serait pas aussitôt affaiblie. Que vaudrait, aux yeux des autres pays de la région et du monde musulman, une Turquie devenue nouvelle province d’un Empire qui ne veut pas dire son nom puisqu’il n’en a pas la puissance ?

Bref, qu’il soit constantinopolitain hier ou bruxellois aujourd’hui, le byzantinisme, forme suprême de l’impuissance et du déni de réalité, menace toujours la stabilité de la région.

Les raisonnements spécieux sur la culture, la religion ou la géographie ne sont ici, au regard de l’histoire, que des billevesées. Un élève de 6e disposant des rudiments du savoir et d’un peu de catéchisme (je sais bien que ça n’existe plus) pourrait vous retourner en cinq sec tous les arguments culturels : de Paul de Tarse à Nicolas de Myre, en passant par le concile de Nicée, toute l’unité religieuse et culturelle de l’Europe s’est construite paradoxalement en Anatolie.

L’économie même, dont on prétend qu’elle gouverne le monde, n’est rien : le produit intérieur brut par habitant de la Turquie, s’il reste bien en deçà de la moyenne européenne, est supérieur à celui de la Bulgarie et de la Roumanie, pourtant membres à part entière de l’Union depuis 2007.

La seule question qui vaille est politique. Politique, et rien d’autre.

D’ailleurs, ceux qui croient que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est une affaire de civilisation ou de religion devraient tourner leur regard vers Strasbourg : Ankara est, depuis 1949, l’un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe. Oui, bon, mais encore ? Depuis 1954 et la ratification de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Turquie siège à la Cour de Strasbourg. Si un citoyen français pense que ses droits fondamentaux sont bafoués par son Etat et que toutes les voies de recours ont été épuisées dans son pays, il peut demander justice et réparation à la Cour européenne des droits de l’Homme et voir son affaire traitée par l’excellente Işıl Karakaş, ancienne doyenne de la faculté de droit d’Istanbul et actuelle juge turque à la Cour.

Admettons que ce justiciable soit un fan du président Sarkozy et, par-là même, un adversaire farouche de l’adhésion de la Turquie à l’Union. S’il obtient gain de cause contre son Etat, refusera-t-il le jugement de Mme Karakaş, au motif qu’il estime que la Turquie n’a pas sa place dans une organisation continentale, fût-elle paneuropéenne ?

Quel autre brevet d’européanité demander à la Turquie : elle adhère non seulement aux valeurs qui font le ciment de la civilisation européenne, mais les défend et les illustre.

Alors quoi ? Membre fondateur du Conseil de l’Europe depuis soixante ans, la Turquie est candidate depuis cinquante ans à l’entrée dans l’Europe intégrée. La laisserons-nous encore longtemps dans le vestibule strasbourgeois ? Peut-être bien que oui. Car il faudra l’assentiment des peuples, cette drôle de chose dont on ne s’embarrasse plus guère en Europe depuis longtemps. Sauf, précisément, lorsque l’on passe aux choses sérieuses et qu’il s’agit de faire entrer le grand Turc dans son salon.

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Sept ans déjà

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Le 21 avril 2002, le coup de tonnerre, le tremblement de terre éclatait dans le ciel de la Ve république. M. Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. Elu de justesse par 50,07 % malgré les manifestations d’une jeunesse manipulée, le président Le Pen mit en route une vigoureuse politique anti-immigrationniste en créant un ministère de l’Identité nationale, confié à Carl Lang. Il pratiqua également une politique d’ouverture assez inédite auprès de la société civile (Alain Soral, Fadela Amara) et de la gauche (Bernard Kouchner, Manuel Valls). C’est sans problème qu’il devait battre au second tour de 2007 le leader du NPA, Olivier Besancenot par 82 % des voix.

Chirac en mauvaise posture dans les sondages

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La rédaction de Causeur n’a pas mis cinq secondes à réfléchir avant de prendre ses responsabilités. L’essentiel est aujourd’hui en jeu : la liberté d’expression, la démocratie, les droits de l’homme, les oiseaux qui gazouillent au printemps, le ciel bleu, le soleil chaud de l’été sur la peau dorée d’une belle femme, une gorgée d’eau fraiche en haut du Ventoux, le sourire des enfants et les souvenirs des vieillards. En ce 21 avril, Causeur appelle solennellement tous ses lecteurs à voter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle. Quelle que soit la mauvaise ou très mauvaise opinion que vous ayez de lui, il reste notre dernier rempart contre les vieux démons qui ne demandent qu’à être réveillés pour peu qu’on les chatouille.

La reine d’Angleterre sur iPod ?

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Lors du G20 à Londres, Barack Obama a offert à la Reine Elisabeth II un iPod dernier cri. Le président américain avait pris soin d’y inclure une vidéo de la Reine visitant les États-Unis en 2007, des extraits du film My Fair Lady et des airs classiques, comme La légende du roi Arthur. En retour, la reine Elisabeth a offert sa photo dédicacée à Barack et à Michelle Obama. Il n’y a pas à dire : elle gagne au change, puisqu’elle va pouvoir télécharger illégalement tous ses tubes préférés sur le Net.

La France pénitente

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Les Français sont vilains. L’opinion internationale s’en était déjà aperçue, en 2007, lorsque, à la surprise générale, ils avaient accordé leurs suffrages à un tyran plutôt qu’à la femme politique la plus exceptionnelle de leur temps.

Dans dix ou vingt siècles, tous les historiens s’accorderont sur une chose : il y eut, dans toute l’histoire française, deux femmes vraiment géniales, Jeanne d’Arc et Ségolène Royal (il y a eu aussi, en vérité, Coco Chanel et Roselyne Bachelot, mais pour d’autres raisons). Les deux étaient lorraines. Les deux ne firent pas une carrière époustouflante. Les deux avaient une conception de leur mission assez incompréhensible aux yeux du vulgum pecus.

Un peu d’histoire de France pour les ignorants. C’est en 1428 que Ségolène Royal quitte la maison familiale, une maison humble de paysans lorrains avec tas de fumier devant la porte, se rend à pied chez le sieur Pierre Bergé et demande à iceluy de lui fournir bravitude, estoc et espèces trébuchantes, afin de bouter l’Anglois hors de France. Elle libère le Poitou et la Charente au cri de « La France présidente », suivie par Pierre Bergé qui, en chemin, se lie d’amitié avec Gilles de Rais – ce dernier passera à la postérité sous le pseudonyme de Dominique Besnehard. Mais la Lorraine est vite trahie par l’évêque Besson qui fout le feu à ses robes d’une façon encore plus expéditive que la justice chinoise.

Libérée de son enveloppe charnelle et accédant aux réalités suprasensibles (comme on dit chez Raël), elle intercède alors pour la France et le salut des Français. En attestent les nombreuses pièces de son procès en canonisation entamé dès 1481.

En 1515, elle demande pardon aux Suisses pour la défaite que leur a infligée François Ier à Marignan. En 1610, elle présente au nom d’Henri IV ses excuses à la famille Ravaillac pour avoir aussi cruellement traité l’un des siens. On la retrouve en 1793 demander pardon aux Bourbon au nom du Comité de Salut public pour avoir coupé la tête de Louis XVI, tandis que 1804 la voit s’excuser au nom de Napoléon de la promulgation du Code civil auprès de populations de serfs jusque-là si heureux du droit coutumier – pour les moches, le cuissage seigneurial n’est pas une broutille. 1885 n’est pas sa plus piètre année : elle bat sa coulpe face au virus de la rage si injustement maltraité par Pasteur, tandis qu’elle présente ses excuses aux descendants de Napoléon III pour les écrits assez mauvais de Victor Hugo à l’endroit de leur impérial aïeul.

On la retrouve en 1922 à Gambais demandant à Landru le pardon pour les innombrables torts que lui causa le sexe faible. En 1941, on la croise du côté de Montoire, en train de réclamer l’indulgence du chancelier Hitler pour les mains moites du maréchal Pétain. Et il faut attendre 1946 pour la voir implorer la mansuétude du docteur Petiot : oui, les valises Delsey brûlent mal.

Quoi d’étrange à cela ? C’est elle qui, chaque Semaine Sainte, parcourt les rues de Séville et se flagelle pour réclamer la rémission des péchés et le pardon des fautes humaines. Comédienne et martyre au long des vastes âges, Ségolène Royal a du métier.

Dans les contrées reculées du 7e arrondissement, emplies de fantômes du temps passé et de superstitions d’un autre âge, il se raconte que la Dame Blanche apparaît les soirs de pleine lune aux désespérés de la rue de Solférino. Son cri est terrible, son linceul immaculé. La semaine dernière, Martine Aubry a convoqué l’abbé de La Morandais afin qu’il accomplisse un exorcisme. Il a refusé : « Moi, je fais dans le people, pas dans les fantômes politiques. »

Il n’y a pas plus de trois semaines, j’avais préparé un coq au riesling à Willy, mon mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ; peut-être avais-je un peu plus arrosé mon gosier que le gallinacée, mais la bête brûla dans le four. On sonna à la porte. C’était Ségolène Royal qui débarquait, les bras pleins de victuailles achetées chez le traiteur italien : elle demanda pardon en mon nom à Willy, mit le couvert et fit la vaisselle. Elle aurait pensé à s’approvisionner suffisamment en Grappa invecchiata, je ne lui en aurais pas tenu grief.

Les Français n’ont pas voulu de la France présidente. Maintenant qu’ils l’ont pénitente, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux.

La presse perd ses Facultés

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Il paraît que la presse est libre. Et elle y tient beaucoup, à sa liberté. Elle proteste beaucoup, avec raison, contre toute atteinte à sa liberté. Mais pour le manque de liberté de pensée, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire.

On pouvait croire, au début du mouvement universitaire, que l’information sur la réforme Pécresse et les réactions qu’elle suscite permettrait de sortir des habituels clichés : profs fainéants, mandarins accrochés à leur pouvoir, chercheurs claquemurés dans leurs laboratoires, six mois de vacances, conservatisme et corporatisme, refus de toute évaluation, etc. Il y a eu quelques émissions remarquables sur le service public, un véritable travail de fond de la part des journalistes de Libération. En dehors de cela, dans la majorité des cas, la couverture médiatique du mouvement est accablante. On a le choix : ici, les idées toutes faites ; là, le poujadisme ; presque partout, la plus radicale absence d’informations précises sur le contenu de la réforme et les raisons exactes de son refus par les universitaires. D’où les interpellations incessantes de gens qui ne comprennent pas, demandent qu’on leur explique, récitent une doxa sur l’université. On se demande vraiment à quoi sert la presse. En tous cas, certainement pas, dans ce pays, à donner les éléments essentiels de compréhension. D’où le déluge d’interventions haineuses sur certains sites, notamment celui du Monde.

Il est temps de dresser le florilège des bêtises assénées sur nos radios et dans nos journaux.

Il paraît que, de toutes façons, on ne peut pas réformer l’Université, dès qu’on tente quelque chose, ils sont dans la rue. Cette ritournelle, entendue maintes fois, serait à conserver en bocal, pour l’édification des générations futures, avec l’étiquette : « Monstrueuse contre-vérité, début XXIe siècle ». Depuis plus d’un quart de siècle, l’Université subit des réformes sans discontinuer, et sur tous les plans. A peine l’une est-elle digérée qu’une autre arrive, selon les caprices des ministres ou des directeurs de cabinet. L’universitaire passe son temps dans de la paperasse à réforme et de la réunion à réforme. Depuis plus d’un quart de siècle, il a tout avalé, tout accepté, sans un murmure, sans la moindre petite grève. Il a pris maints coups de pied au cul, et il a dit merci. Son métier s’est complètement dévalorisé, ses charges de travail n’ont cessé d’augmenter, ses conditions et ses lieux de travail sont à sangloter, il a avalé sans sourciller la démocratisation du supérieur, c’est-à-dire le quintuplement des effectifs en quelques lustres, tout cela en multipliant vaille que vaille les publications de haut niveau. Et voilà que pour une fois, pour une seule fois que l’universitaire élève la voix, on lui dit qu’il exagère et qu’on ne peut décidément pas réformer l’Université.

Entendre ça donne envie de distribuer des coups de pelle. Car cette grève, la première qui soit aussi longue et aussi généralisée depuis qu’il y a une université en France, ne vise pas seulement la réforme qui vient de faire déborder le vase d’exaspération. Elle est l’expression d’un écœurement face au mépris et à l’absence de reconnaissance du travail accompli, tels qu’ils s’expriment généreusement dans nos journaux.

Cette grève est d’abord une grève des universitaires, toutes tendances politiques et syndicales confondues, à laquelle se sont ralliés les étudiants et les personnels de l’Université, des parents d’élèves et des enseignants du secondaire. Cette unanimité, la durée inédite du mouvement (trois mois pour l’instant), le fait que s’y soient joints des présidents d’université généralement peu enclins à contester, quarante sociétés savantes, des grandes écoles, dont l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, les formes inédites qu’il adopte, avec les démissions de responsabilités administratives un peu partout, la « ronde des obstinés », tout cela devrait au moins donner à penser que le problème dépasse le supposé « immobilisme » de l’institution universitaire. Eh bien non.

Inversement, on a eu droit à tout. Dans Le Monde, ce fut tout bonnement, de la part des deux journalistes de service, Cédelle et Rollot, à un relais de la communication ministérielle. Le Monde est devenu une sorte d’organe officiel, une Pravda expliquant au bon peuple que les ministres ne cessent de faire des gestes de bonne volonté, que la durée du mouvement s’explique par des « crispations » et des « rumeurs », et que tout cela est très mauvais pour la réputation de nos universités. Dans Le Figaro, pas de surprise : lorsque le respectable organe s’intéresse un peu à ce mouvement, c’est pour titrer en gras sur le fait que les grévistes sont payés. Ailleurs, à la télévision, à la radio, on oscille entre poujadisme classique et énormités burlesques. On peut entendre un journaliste du service public asséner qu’un chercheur devient moins bon après quarante ans, parce que c’est génétique, et qu’il faut donc lui faire enseigner plus à partir de cet âge canonique. On croit à une plaisanterie, ce n’en est pas une.

On peut entendre Franz-Olivier Giesbert, pérorant dans Le Point du haut de ses certitudes : « Consternant mouvement contre le décret de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, changeant le statut des enseignants-chercheurs. Pensez ! Ils risqueraient d’être soumis à une véritable évaluation et, pis encore, à une concurrence entre les universités. D’où l’appel à la grève illimitée d’enseignants ou de chercheurs qui, derrière leur logomachie pseudo-révolutionnaire, ont souvent, chevillée au corps, l’idéologie du père Peinard. La France est l’un des pays d’Europe qui dépense le plus pour son système éducatif, avec les résultats que l’on sait. Il faut que ce fiasco continue, et tant pis pour nos enfants, qui, inconscients des enjeux, se feront de toute façon embringuer par des universitaires, réactionnaires au sens propre du mot. »

Si Giesbert, comme ses confrères, s’était un peu renseigné, il aurait compris que la réforme Darcos des concours d’enseignement consiste, non pas à améliorer la formation des professeurs, comme on l’a malheureusement entendu régulièrement, mais avant tout à supprimer l’année de stage, c’est-à-dire ce qui jusqu’ici permettait réellement au jeune professeur d’apprendre son métier. Pourquoi cette suppression ? Pour faire des économies. Si Giesbert, au lieu de réciter un credo idéologique, s’était penché un peu plus sur la réalité pragmatique, il aurait éventuellement compris ce qu’ont assez vite compris professeurs au collège de France, professeurs des Hautes Etudes, doctorants, étudiants et bien d’autres, tous des révolutionnaires comme on sait, à savoir que la réforme Pécresse consiste pour l’essentiel à donner tous pouvoirs aux présidents, c’est-à-dire à aggraver le localisme qui mine la qualité de l’université française et le niveau de son recrutement. Il aurait compris qu’un universitaire exerce trois métiers, enseignant, chercheur et administrateur, ce qui fait beaucoup de travail pour la plupart d’entre eux et pour un salaire bien inférieur à celui de M. Giesbert.

Il aurait compris que l’évaluation existe déjà, à tous les niveaux de la carrière d’un universitaire. Il aurait compris que ce que le ministère appelle évaluation n’est qu’une usine à gaz totalement irréaliste, destinée à récompenser les plus serviles, qui n’aboutirait, au prix d’une déperdition d’énergie monstrueuse, qu’à susciter une multiplication d’articles creux au lieu de favoriser la recherche fondamentale. Il aurait compris que la modulation des services n’est qu’une grosse astuce pour charger une bourrique universitaire qui croule déjà sous les tâches diverses, et finalement économiser sur les recrutements ou les heures supplémentaires, car tel est le véritable objectif. Il aurait compris qu’il s’agit, par pure idéologie, de transformer les universités en entreprises. Il aurait compris que ce qu’on appelle « réforme » n’est en l’occurrence qu’une régression, une destruction du service public, de la part de politiques qui se moquent bien de l’Université et n’y connaissent rien.

Il aurait compris que la réforme Pécresse est le meilleur moyen de tarir la vie intellectuelle et la recherche en France, que la réforme Darcos est le meilleur moyen de créer des générations de professeurs dépourvus de connaissances ni pédagogie, puisque c’est ce qui est touché en premier lieu, mais parfaitement au fait de la bureaucratie scolaire. Informer de la réalité concrète des choses est sans doute trop demander aux journalistes. On finit par se dire, au vu de ce qu’ils ont fait de ce mouvement, que l’information n’est pas leur préoccupation première. Il s’agit surtout pour eux de publier ce qu’ils pensent devoir servir à leur lectorat, à leurs actionnaires ou les deux, et de reproduire, ce faisant, de vieux stéréotypes. La réalité est ailleurs.