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Timbre jauni

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Sans même attendre d’avoir été privatisée par ukase de Bruxelles, la Poste sait faire preuve d’un réel dynamisme commercial. Voilà ce que nous apprend son dernier communiqué de presse : « La légende vivante du rock repart pour une ultime tournée offerte à son public. A l’occasion de cette tournée événement Tour 66, La Poste édite un timbre collector que Johnny Hallyday a décidé de dédier à ses fans. » N’étant pas, comme certaines zélites, antijohnniste primaire, je ne verserai pas dans le gag du genre : « Chouette, ça va persuader ses fans d’apprendre à écrire. » Mais n’étant pas non plus, comme certain Basile de Koch, d’une indulgence coupable vis-à-vis de l’ex-idole des ex-jeunes, je me contenterai donc, sans plus de commentaire, de vous affranchir…

johnny

Pour une géopolitique de la beurette

Il y a une zone de guerre en France, ce sont les cours de récréation des lycées et des collèges des quartiers sensibles. Pour une fois, l’appellation technocratique « sensible » est juste : ce sont des zones sensibles comme il y a des cœurs sensibles, des âmes sensibles ou des parties du corps sensibles à cause de la douleur ou du plaisir. Écartons tout de suite les habituels fantasmes de ceux qui confondent la vidéo du Noctilien avec L’Invasion des profanateurs de sépulture. Quand je parle de zones de guerre, n’allez pas vous imaginer des affrontements intercommunautaires entre le distributeur de bonbons du foyer et le bureau de la conseillère principale d’éducation. Si ces choses arrivent, elles restent rares, parce que l’école de la République, malgré les gifles qu’elle prend d’une société qui implose, malgré sa mise à nu par ses serviteurs-mêmes, ivres d’inconséquence pédagogiste, a encore de beaux restes. Il ne se trouve que quelques sites « de souche » pour vouloir faire croire que la guerre civile est déjà là. Elle arrivera peut-être, mais pour l’instant ce n’est pas encore le cas, parce qu’une poignée de hussards noirs tiennent encore la boutique contre les pompiers pyromanes de l’extrême droite islamophobe et les imams intrusifs qui se croient tout permis, depuis que Sarkozy leur a donné l’autorisation de ramener l’ordre lors du soulèvement de 2005.

Non, je parle d’une guerre d’une tout autre nature, d’une guerre qui se joue dans les imaginaires, avec des mains qui vont s’effleurer ou pas, des regards et les sourires échangés en cours d’histoire, des rendez-vous chuchotés, des SMS aussi dysorthographiques qu’amoureux.

Dans cette zone de guerre, donc, il y a un territoire occupé. Ce territoire occupé, c’est la représentation que les garçons ont de la femme. Soit la femme est une sainte voilée, désincarnée, une sœur, une mère, soit c’est une pute, une chienne qui aime se faire défoncer par tous les trous. Il a fallu pour en arriver à ce résultat une petite quinzaine d’années et le retour en force de deux pornographies conjuguées et objectivement alliées : celle de l’intégrisme des barbus et celle, sexuelle, de dizaines de chaînes satellite et de sites internet plus abjects les uns que les autres. On s’affole souvent dans les organisations familiales des actes de violences télévisuelles auxquels sont confrontés les enfants. On ferait bien également, et je suis désolé d’avoir à donner raison à Christine Boutin, de se demander ce qu’un gamin de douze ans a pu voir comme pipes, doubles pénétrations, insertions de sex-toys divers et différentes fantaisies sado-masochistes. Parce qu’il faut bien comprendre que la pornographie de notre temps ressemble logiquement à notre temps : ce n’est plus la bonne baise à l’ancienne, avec levrette près du haras et culbutage final d’une servante toute nue sous son tablier des années d’avant la crise. Maintenant, la représentation du sexe vise systématiquement à la violence, à l’humiliation, aux rapports de force, au viol pur et simple. Le corps est réifié, chosifié, marchandisé. On n’est jamais très loin du snuff movie, ces films qui représenteraient des mises à morts non simulées et dont, comme par hasard, les premiers metteurs en scène furent les preneurs d’otage irakiens, connus pour leur goût pour l’égorgement en direct live.

Mais il n’y a pas que les territoires occupés. Il y a aussi la ligne de front. Et la ligne de front, c’est le corps des filles, des beurettes en particulier. Elles ont trois solutions, les filles, coincées par les grands frères intoxiqués par l’imam intégriste, les films pornos crades et l’échec scolaire.

Soit elles se soumettent, et c’est le voile, et l’exclusion sociale qui va avec. Soit c’est le survêtement informe, le jogging qui cache tout, manière de nouvelle burqa siglée, ironie de l’histoire, par le logo d’une marque appartenant au grand Satan américain. Soit, troisième et dernière possibilité, héroïque et sensuelle, c’est : « Je vais vous montrer comme je suis belle et je vous emmerde. » Qui n’a pas vu, un matin lumineux de mai, arriver une théorie de jeunes Kabyles aux cheveux libres et bouclés, aux jambes nues encore allongées par des mini-jupes, des Peulh aux petits hauts dévoilant des ventres plats, le nombril orné d’un brillant, la chevelure tressée et compliquée comme une grammaire ancienne, en vérité, je vous le dis, celui-là ne sait pas ce qu’est la beauté libre, la beauté convulsive aurait dit Breton, au cœur de l’épouvante.

Les voilà, mes petites héroïnes, mes petites résistantes qui récitent la tirade de Chimène en sachant bien de quoi elles parlent en matière de surdéterminisme familial qu’il faudra vaincre pour être libres :
Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !

Sarkozy qui ne croit qu’en l’instinct et la force ne s’y est pas trompé. Il sait qui sont Rachida Dati et Fadela Amara. Que l’une soit en voie de ringardisation et l’autre persiste dans une démagogie du « parler banlieue » n’empêche pas que ces deux femmes viennent de très loin, de beaucoup plus loin même que les clandestins dans les zones de rétention. La famille, la religion, le système scolaire, social et économique ont tout fait pour qu’elles n’en soient pas là. Elles ont réussi, malgré tout.

Ce qu’il faut, maintenant, comme dans toutes les guerres, c’est envoyer des renforts à nos alliées en position de plus en plus intenable. Oh, pas sous forme de discrimination positive, mais en instaurant un climat, des représentations qui valorisent cette féminité assumée, en se comportant en gramscistes et en faisant entrer ces modèles-là dans les fictions télévisées, cinématographiques, dans le rap, la variété, les arts.

Parce que nous n’y trompons pas, la véritable victoire n’aura pas lieu quand une section française du 8e RPIMA, hypothèse de toute manière hautement improbable, aura réduit le dernier village taliban mais quand Fadila El Kandoussi se mariera avec François Dupont, devant le maire d’Ivry et que les deux familles applaudiront, même si les grand-mères regretteront un peu, juste un peu, qu’on fasse seulement un mariage civil.

À mes petites guerrières de la 3e 4 et de l’atelier d’écriture 2006-2007

Grève du sexe au Kenya

Au Kenya, devant l’incapacité des différents partis à mener à bien une politique de réformes sociales, les femmes ont décidé une grève du sexe d’une semaine reconductible si les discussions stériles et creuses des hommes au pouvoir continuaient sans déboucher sur quoi ce se soit de concret. La femme du Premier ministre elle-même a annoncé qu’elle rejoignait le mouvement. Causeur ne peut que soutenir le combat des femmes kenyanes. Cependant, nous tenons à les avertir de ne pas perdre en route leur but de guerre. Ainsi, en France, les féministes sont en grève du sexe depuis au moins trente ans, mais ne savent même plus pourquoi. Elles croient se souvenir qu’il était question de décider qui serait dessous et qui serait dessus. Mais dessous ou dessus qui ou quoi, il leur impossible de s’en souvenir alors qu’elles mangent un yaourt bio en regardant la quatrième saison de Desperate Housewifes…

Les bons coups de Prague

Il est de bon ton à Bruxelles, ces derniers temps, de cogner à bras raccourcis sur cette pauvre République tchèque. Les eurocrates et leurs tâcherons de la presse accréditée auprès de l’Union européenne pratiquent le tchèque bashing avec d’autant plus de vigueur que les moyens de rétorsion de ce petit pays d’Europe centrale sont limités.

Arrivés aux commandes de l’UE par gros temps : crise économique mondiale, transition présidentielle aux Etats-Unis, opération « plomb durci » à Gaza, et autres soucis iraniens, afghans ou sri-lankais, les Tchèques ne se seraient pas montrés à la hauteur, serinent en on et en off les cadors de la Commission et les chancelleries de quelques pays très en colère, dont la France.

Non seulement ils ont un président, Vaclav Klaus, furieusement europhobe, mais ils se sont débrouillés pour ouvrir une crise gouvernementale en plein milieu de leur mandat présidentiel. Et ce n’est pas tout: au lieu de se comporter convenablement, à l’image des Slovènes[1. La Slovénie fut le premier pays de la « nouvelle Europe » à assurer la présidence de l’UE, le semestre précédent la présidence française.] qui ne bougeaient pas une oreille sans demander la permission de Paris, ils ont eu le toupet de profiter de leur présidence pour faire valoir leurs positions sur quelques questions importantes.

De tous les pays européens, par exemple, les Tchèques sont jusque dans les tréfonds de leur peuple, les plus philosémite. À la différence des Baltes qui élèvent aujourd’hui des monuments à leurs anciens dirigeants collaborateurs des massacreurs nazis, les Tchèques n’ont jamais prêté la main à la « solution finale ». Ils se sont même payés Reinhard Heydrich, l’un de ses principaux concepteurs, exécuté à Prague par un commando de résistants en 1941. Aujourd’hui, ils ont vis-à-vis d’Israël une attitude beaucoup moins hostile que la plupart des chancelleries européennes, et osent appeler un chat un chat, et l’opération de Gaza une opération « défensive », ce qu’elle était incontestablement lors de son déclenchement. La question de la « proportionnalité » de la riposte pouvait, certes, faire débat, mais cela ne changeait rien aux faits qu’elle répondait aux bombardements incessants du Hamas sur Sderot et sa région. À Bruxelles, notamment dans les bureaux de la commissaire aux affaires étrangères, l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, c’en était déjà trop, et l’on somma Prague de nuancer son propos. Le prince Schwarzenberg, ministre tchèque des Affaires étrangères, s’exécuta avec une mauvaise grâce et une élégance tout aristocratique, révélant ainsi les partis pris anti-israéliens qui animent quelques pays de l’UE et sont flagrants dans la bureaucratie bruxelloise en charge de l’international.

Tout le monde le sait : il n’y a pas d’unanimité possible en Europe sur le conflit israélo-arabe. Aux pays viscéralement, hostiles à l’Etat juif, comme l’Espagne de Zapatero, la Grèce, Chypre, et les pays nordiques, s’opposent l’Allemagne – pour d’évidentes raisons historiques –, les Pays-Bas, et surtout la République tchèque, dont le philosionisme affirmé et revendiqué fait contrepoids à d’autres nations systématiquement pro-arabes. La France, la Grande-Bretagne et l’Italie ont sur la question une position « centriste » qui varie – faiblement – dans un sens ou dans un autre en fonction des inclinations de leurs dirigeants. La France est ainsi légèrement plus favorable à Israël sous Sarkozy que sous Chirac et l’Italie plus pro-arabe avec la gauche qu’avec la droite berlusconienne. La Grande-Bretagne, dans tous les cas de figure, demeure fourbe et hypocrite. On ne s’étonnera donc pas que les positions élaborées à ce sujet soient le résultat de savants compromis, que chacun peut interpréter à sa guise devant son opinion publique nationale.

Dans ce contexte la personnalité du commissaire en charge de cette politique étrangère qui n’a de commune que le nom, peut jouer un rôle : l’ambiguïté des résolutions adoptées par les 27 l’autorise à les tirer dans un sens ou dans un autre. Mme Ferrero-Waldner, donc, est autrichienne, et pas de l’espèce qui reconnait que ce pays a quelques responsabilités dans les crimes nazis. C’est une « waldheimienne » de choc, dont la carrière diplomatique doit tout à cet ancien nazi devenu secrétaire général de l’ONU en dissimulant son passé. C’est Waldheim, devenu président de la République d’Autriche en 1986 qui recommanda la jeune diplomate Benita Waldner[2. Elle ajouta Ferrero à son nom après son mariage, non pas avec le fournisseur de chocolat de toutes les ambassades, mais avec Francisco Ferrero, un universitaire espagnol.] à son ami et successeur Boutros Boutros-Ghali. Celui-ci en fit sa chef du protocole à l’ONU, où elle se familiarisa et sympathisa avec toutes les délégations arabes, bien plus importantes pour sa carrière que les quelques démocraties occidentales et Israël qui sont en minorité dans la machine onusienne…

Elle avait pour grand ami feu Jörg Haider, dont elle prit ardemment la défense lorsque l’Autriche fut mise à l’écart dans l’UE, à la fin des années 1990 en raison de l’arrivée au pouvoir, à Vienne, d’une coalition incluant les populistes xénophobes de Haider. On ne peut raisonnablement pas dire que Bénita Ferrero-Waldner soit antisémite, mais il est indéniable qu’elle ressent envers Israël une hostilité instinctive qui va bien au-delà de ce qu’il est admissible pour quelqu’un chargé d’incarner l’Union européenne sur la scène internationale.

Là encore, la République tchèque, en la personne de son Premier ministre démissionnaire Mirek Topolanek ne s’est pas laissé impressionner. Interrogé par Haaretz sur les déclarations de Mme Ferrero-Waldner, qui prétendait conditionner le renforcement des liens entre l’UE et Israël à la reconnaissance, par le gouvernement de Netanyahou, de la solution à deux Etats pour résoudre le conflit avec les Palestiniens, Topolanek a répondu que les déclarations de la commissaire étaient « hâtives » et ne valaient « que ce que valent les déclarations d’un commissaire », sous-entendu pas grand chose. Bien envoyé, Topo ! On ne saurait mieux résumer le fonctionnement réel de la machine européenne et l’impudence de ces eurocrates qui veulent jouer aux grands de ce monde !

Dans le style « je vous démontre par l’absurde le ridicule boursouflé d’une situation », cher au brave soldat Chveik, l’immortel héros praguois de Jaroslav Hasek, le comportement de la présidence tchèque lors de la mascarade de Durban II fut également exemplaire. On se souvient de la sortie théâtrale des délégations européennes, ambassadeur de France en tête, au milieu du discours de Mahmoud Ahmadinejad devant les Nations-Unies à Genève. Enfumage ! Quelques heures plus tard, ces mêmes excellences, à l’exception de la délégation tchèque, revenaient dans la conférence pour écouter sans moufter les litanies de potentats orientaux venus donner des leçons de droits de l’homme à la planète entière. En dépit du service après-vente assuré par Kouchner sur toutes les radios et toutes les télés, assurant que Durban 2 avait été une grande victoire des démocraties en faisant adopter un texte de compromis (je sacrifie les homosexuels, tu oublies la diffamation des religions), cette conférence est une reculade en rase campagne devant l’arrogance des « humanistes » islamiques radicaux qui pilotent le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Mais pour Kouchner et ses amis, c’est la présidence tchèque qui a « failli » en se désolidarisant des néo-munichois.

Cette présidence baroque fut donc une bénédiction : jamais on n’avait pu voir cette prétendue Union européenne fonctionner avec autant de transparence. Merci les Tchèques !

Liberté pour les ennemis de la Liberté !

Jean-Marie Le Pen a raison. Vous avez bien lu. Alors que l’Elysée étudierait la possibilité de faire interdire par la justice les « listes antisionistes » concoctées par son ami Dieudonné pour les élections européennes, le patron du Front national a déclaré : « Les inconvénients de la censure sont plus graves que ceux de la liberté. » Au risque de servir sur un plateau à ceux qui aimeraient me faire pendre bien plus que les deux mots de ma main nécessaires à l’opération, je le répète : je suis d’accord avec Le Pen. Sur la conclusion en tout cas. Face à un Dieudonné, interdire ne sert plus à rien. Il faut l’affronter. À mots nus.

Je l’admets, le cas n’est pas simple. Interrogé sur Radio J, Claude Guéant a sobrement résumé le problème : « Peut-on se présenter aux élections avec un programme ouvertement antisémite ? »

La réponse semble s’imposer d’elle-même. Les « inconvénients de la liberté » sont évidents. La perspective d’un Dieudonné crachant librement sa haine d’Israël, sans doute devant quelques salles surchauffées, qui donneront, l’espace de la campagne, l’illusion qu’il dispose de puissantes divisions, est une perspective déplaisante. Il suffit de citer les propos de l’un de ses coéquipiers, le gracieux Yahia Gouasmi, pour se faire une idée de l’épreuve qui nous attend. Lors de la conférence de presse de lancement de la campagne, le 24 avril, M. Gouasmi expliquait : « À chaque divorce, moi je vous le dis, il y a un sioniste derrière. À chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme. C’est ce que nous croyons. Et c’est ce que nous allons démontrer. » Au terme de la campagne, il sera acquis, pour des milliers et, par la magie des médias, pour des millions de personnes, que l’on peut proférer de telles insanités et briguer les suffrages des électeurs. Comment les prohibera-t-on dans les salles de classe ?

Tout cela est vrai, mais Le Pen a raison : l’interdiction serait encore pire. À supposer d’ailleurs qu’elle soit prononcée. On peut imaginer qu’un tribunal juge que le « Parti antisioniste » est en parfaite conformité avec nos lois – lesquelles doivent bien avoir quelque chose à faire avec nos valeurs. L’antisionisme, qui a déjà cours des salles des profs aux cours de récré en passant par pas mal de rédactions, ferait ainsi son entrée en majesté dans le consensus républicain. Et moi, qu’il dissimule ou non de l’antisémitisme, l’antisionisme, ça ne me plaît pas. Parce qu’enfin, comme disait le Général, il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut. Concrètement, être « antisioniste », cela signifie que l’on souhaite soit la disparition d’Israël en tant qu’Etat juif, soit la disparition des Juifs de l’ensemble de la Palestine mandataire. Dans les deux cas, on a le droit de trouver ça moyen. Bref, je n’aimerais pas que la justice de mon pays dise « antisémitisme non, antisionisme oui », ce qui reviendrait à délivrer un permis de haïr Israël.

Il est vrai que le risque paraît faible, nos joyeux lurons ne prenant guère de précautions pour cacher que leur obsession israélienne est une obsession juive. Il est assez clair qu’ils la souhaitent ardemment cette interdiction, et ce seul fait devrait faire réfléchir tous ceux qui sont partis, sabre au clair et « heures les plus sombres de notre histoire » en bandoulière. Invité à commenter l’intervention de Guéant, Alain Soral, le troisième homme de cette aimable troupe, a répondu : « L’Etat se soumet au lobby sioniste. » Les mots sont peut-être pesés au trébuchet, mais on connaît la chanson.

Et pourtant, je n’en démords pas : Le Pen a raison. Supposons que les listes antisionistes soient interdites de scrutin par la justice pour cause d’antisémitisme avéré. Premier résultat, cela renforcera la conviction déjà fort répandue dans certains milieux que les juifs sont puissants, qu’ils tiennent les médias et la politique, jouissent de protections exorbitantes et que ces privilèges sont la première cause des malheurs du monde. Quant à tous ceux, bien plus nombreux, qui suivent ces polémiques de loin avec un agacement croissant, ils penseront paresseusement qu’après tout, « les juifs exagèrent et qu’on ne peut rien dire sur Israël sans être traité d’antisémite ».

J’imagine par avance les commentaires furibonds de ceux qui auront compris ce texte sans l’avoir lu. Que les autres ne se méprennent pas, je ne prône nullement le laissez-faire face à l’antisémitisme/antisionisme. Mais la question n’est pas seulement tactique, elle est existentielle pour nous tous, nous les Français civilisés comme disait l’autre. Déléguer à un tribunal, fût-il habilité à juger en notre nom, le soin de faire mordre la poussière à Dieudonné, c’est déserter le champ de bataille. Ne répliquons pas à la redoutable conjonction du ressentiment et de la sottise par une guérilla judiciaire, battons-nous avec nos armes à nous, l’intelligence et l’humour. Soyons plus drôles et plus malins qu’eux – c’est quand même pas difficile, merde ! Dieudonné et ses amis nous attaquent sur notre terrain, celui de la liberté. En leur interdisant le combat, c’est nous qui le perdrons.

Tamoul, ta gueule !

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Excusez-moi d’insister, mais je n’arrive toujours pas à comprendre l’indifférence quasi-générale, qui entoure les massacres de populations civiles tamoules au Sri Lanka.

Il se trouve que j’ai pas mal de copains tamouls, ils bossent pratiquement tous dans les cuisines de restaurant, petits et grands. Je les vois même plus souvent qu’avant depuis que, moi aussi, je dois fumer, comme le personnel, ma cigarette sur le trottoir. Et depuis deux semaines, nos bavardages en anglais pataud ont cessé d’être badins. « Why, Mister Marc ? Pourquoi est-ce que les Français s’en fichent ? »

En règle générale, je fais l’abruti, je hausse les épaules, je fais le mec qui lui aussi ne comprend pas. Mes amis tamouls, ils aiment bien la France, ils se sentent aimés ici, je ne voudrais pas les décevoir. Pour être hindouistes (des hindouistes assez rigolos, j’en connais un qui va chaque année en pèlerinage à Lourdes), ils n’en sont pas moins cégétistes et, en règle générale, marxistes-léninistes. Là encore, il semble s’agir d’un communisme assez syncrétique, je ne me suis jamais aventuré dans ses méandres théoriques. Une chose est sûre, ils soutiennent tous en bloc les Tigres, et sans barguigner. Et ils ont été assez vexés quand le LTTE a été classé dans la liste des mouvements terroristes par l’Union européenne. Des terroristes, mes cuistots, mes plongeurs, mes éplucheurs de carottes ? Si c’est Bruxelles qui le dit… Mais bon, ça ne les dérangeait pas plus que ça. Du moment qu’on les laissait bosser dur, envoyer des mandats à leurs femmes et boire leur bière ou leur scotch au goulot dans les squares de La Chapelle ou sur les trottoirs du haut du Faubourg Saint-Denis – le Tamoul aime picoler en plein air, j’imagine que les débits de boisson lui rappellent trop le boulot.

Mais là, mes copains ne comprennent plus. Et il y a un truc que spécialement ils ne comprennent plus. Eux qui, quand le premier mai n’était pas revenu à la mode, ont constitué, des années durant, avec les Kurdes et les Turcs du Sentier, le gros des manifs parisiennes de la fête du Travail, ils comprennent mal que pas une banderole « de souche » n’ait évoqué leur drame. Les seules pancartes qui réclamaient l’arrêt des massacres à Jaffna, c’étaient celles qu’ils portaient eux-mêmes, dans une indifférence assez générale, d’ailleurs. Why, Mister Marc, why ?

Alors oui, j’aurais pu la jouer faux-cul, accuser l’impérialisme, et les médias aux bottes, la désinformation, et tatati et tatata. Mais je n’avais pas le cœur à ça. J’aurais pu dire que Ceylan, c’est loin. Mais ils savent comme moi que le Tibet, c’est encore plus loin…

Le pire, c’est qu’ils sentent bien que cette indifférence n’est pas liée à un black-out absolu. Le pire, c’est que le Sri Lanka, on en parle, mais si peu, et en des termes si neutres, quasi anglo-saxons. Ma télé du soir et mon Libé du matin ne m’avaient pas habitué à tant de retenue en matière de droits de l’homme.

Certes, on y a envoyé Kouchner faire le clown. Mais après qu’il a été proprement humilié sur place par le chef de l’Etat sri-lankais, qui lui a dit d’aller jouer aux billes ailleurs, rien, pas de réaction indignée de l’Elysée, pas d’édito pincé du Monde, que dalle. Quant aux massacres proprement dits, c’est pire : pas de « une » des journaux nationaux, pas d’appel à manifester des partis de gauche, pas de cris du cœur des grandes consciences de l’humanisme. Pas de pétition contre le « génocide ». Alors, moi aussi, je vais la cracher, ma Valda : le vrai drame de Jaffna, c’est de ne pas être Gaza. Et je n’ai pas le cœur de dire à mes copains, qu’ils sont des victimes, certes, mais pas assez glamour pour Ken Loach et Stéphane Hessel.

Cette semaine, une épidémie de méningite foudroyante a tué deux mille personnes au Nigéria et dans les pays adjacents. Le saviez-vous ? Ben non ! Ces idiots n’ont même pas eu la bonne idée de crever du H1N1…

Quito ou doublé ?

Il semblerait que malgré la force conjuguée et redoutable des éditoriaux d’Alexandre Adler (le seul à en parler en mal et à en parler tout court) et des manœuvres souterraines de l’Agence de l’Intelligence Centrale, rien ne puisse empêcher les révolutions tranquilles d’Amérique latine de triompher alors que le capitalisme s’effondre et laisse du gras de cochon partout sur la planète. En effet, dans le silence douloureux et stupéfait de la presse française, Rafaël Correa, président sortant de l’Equateur depuis 2006, a été réélu dès le premier tour avec plus de 51 % des voix. L’exploit est intéressant à double titre : Rafaël Correa est ouvertement pro-Chavez et l’Equateur, comme le San-Theodoros des généraux Tapioca et Alcazar, s’était fait une spécialité du coup d’Etat militaire, renversant plus de cinquante présidents depuis le début du siècle. Le Chavez tour (Caracas, Quito, Managua, La Paz) peut continuer. Tarifs préférentiels sur Causeur.

Un préfet wallon dans le Gers ou en Corse ?

Paul-Henry Gendebien est, depuis quatre décennies, une figure marquante de la vie politique belge. Né en 1939, issu d’une vieille famille aristocratique de la région de Namur – ses ancêtres Jean-François et Alexandre ont joué un rôle important dans la mise en place de l’État belge en 1830-1831 –, il entre au début des années 1970 au Parti social-chrétien, avant de rejoindre les rangs du Rassemblement wallon. Ce parti de gauche, fondé par le syndicaliste André Renard et le professeur de droit François Perin, a pour objet la défense des intérêts de la Wallonie – dont l’existence institutionnelle est le produit des affrontements communautaires de la fin des années 1960. Député au Parlement belge, puis député européen de 1979 à 1984, il sera de 1988 à 1996 délégué général à Paris de la Communauté française Wallonie-Bruxelles[1. La communauté française Wallonie-Bruxelles est l’institution qui gère les questions « personnalisables » (éducation, santé, culture) des francophones de Wallonie et de Bruxelles.]. En 1999, il fonde le Rassemblement Wallonie-France (RWF) qui prône l’intégration de la Wallonie et de Bruxelles au sein de la République française, dans l’hypothèse, à ses yeux inéluctable, où la Flandre choisirait l’indépendance. Son influence personnelle et celle de son mouvement dépassent très largement les maigres résultats électoraux du RWF (1,5 % lors des élections législatives de juin 2007). Si l’on en juge par les ralliements récents de personnalités du monde politique et intellectuel belge francophone et par les sondages d’opinion, les Wallons sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par les thèses « rattachistes »…

À la tête du Rassemblement Wallonie-France, vous militez, en cas d’éclatement de la Belgique, pour l’annexion de la Wallonie et de Bruxelles par la France. Comment vous, qui êtes issu d’une grande famille fondatrice de l’État Belge, êtes-vous devenu le chef de file des « rattachistes » ?
La querelle belge n’est pas anecdotique. Elle n’est pas le fait du hasard ni d’une crise conjoncturelle. Elle trouve sa source dans une création qui a accouplé des populations dépourvues des affinités et de la cohésion nécessaires pour former un État-nation. Déjà, en 1912, le député socialiste de Charleroi Jules Destrée s’adressait en ces termes au roi Albert 1er, le grand-père de l’actuel souverain Albert II : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire, il n’y a pas de Belges (…). Non, Sire, la fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et la désirerait-on, il faut constater qu’elle n’est pas possible. »
Un siècle plus tard, ce constat est plus que jamais pertinent, et la montée en puissance du nationalisme flamand, la volonté de ce peuple de se constituer en État-nation coûte que coûte, placent les Wallons et les Bruxellois francophones devant un choix crucial pour leur avenir. C’est pourquoi, en 1999, avec quelques amis issus de divers horizons politiques – je viens pour ma part du Rassemblement Wallon d’André Renard et de François Perin – nous avons créé le Rassemblement Wallonie-France, ainsi que son frère jumeau le Rassemblement Bruxelles-France. Seule la réunion à la France de la partie francophone de la Belgique nous permettrait de surmonter les graves problèmes économiques et politiques dont souffrent aujourd’hui la Wallonie et Bruxelles. Il ne s’agirait pas d’une annexion, mais d’une réunion librement consentie de deux peuples appartenant à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes.

Du côté flamand, la rhétorique nationaliste sert-elle avant tout à obtenir des concessions en matière de compétences régionales et sur Bruxelles ?
Nous n’en sommes plus là ! La Flandre de 2009 s’active à dessiner les frontières de son futur État, en cherchant à éviter toute contestation. C’est pourquoi la négociation dans un cadre belge n’a plus de sens sauf, pour les Wallons et les Bruxellois à se coucher encore plus bas que le niveau du sol. À l’instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l’on ne négocie pas avec un faible, mais qu’on lui impose sa volonté. J’appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l’objet même de la négociation, à savoir l’État belge lui-même.
Il vaudrait mieux s’orienter rapidement vers la seule négociation utile et raisonnable : celle qui prendra acte de la fin de l’espace politique et juridique commun ; organisera la succession d’États ; et établira des relations de bon voisinage entre l’État républicain flamand et l’État français élargi à la Wallonie et à Bruxelles.

Certains observateurs considèrent que la crise économique fait aujourd’hui passer au second plan le débat communautaire. Ils souhaitent que les responsables politiques et économiques flamands et francophones trouvent ensemble des réponses à cette crise…
On voit bien que l’État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis[2. Fortis, la plus importante banque de Belgique, a été prise, à la fin de l’année 2008, dans la tourmente de la crise financière mondiale. Les péripéties liées à son sauvetage par l’État belge et sa reprise par la BNP française ont provoqué la démission du premier ministre Yves Leterme (chrétien-social flamand) et son remplacement par Herman Van Rompuy, membre de ce même parti.] a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance – fort légitime – de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu’elles fussent politiques ou bancaires. Dans ce contexte, La Flandre ne s’accommodera pas du statu quo institutionnel. Au contraire : à l’approche du scrutin régional de juin 2009, on observera une montée des eaux nationalistes. La Flandre politique et patronale constatera que les caisses fédérales sont vides, qu’il n’y a pas de plan gouvernemental de relance, et que les changements structurels exigés par le Parlement flamand – baisse de l’impôt sur les sociétés et flexibilité accrue de la politique de l’emploi – sont combattus par les formations francophones. Les partis flamands y verront une entrave orchestrée par l’État belge pour empêcher leur région de lutter, avec ses instruments et ses moyens propres, contre la crise et le désordre international.

La plupart des hommes politiques francophones, lorsqu’on évoque le départ de la Flandre, déclarent qu’ils seraient favorables au maintien d’une « petite Belgique », qui pérenniserait la monarchie et assurerait la continuité du royaume au sein de l’Union européenne…
La classe politique est surtout soucieuse de conserver ses pouvoirs, ses privilèges et les moyens d’entretenir une clientèle – autant d’objectifs qu’elle pourrait, en théorie, atteindre dans le cadre d’une « petite Belgique » réduite à la Wallonie et à Bruxelles. Mais, à mon avis, ce projet n’a aucun fondement politique et culturel. Déjà, dans les années 1920-1930, le grand historien Henri Pirenne[3. Henri Pirenne (1862-1935), historien médiéviste, est l’auteur d’une monumentale Histoire de la Belgique.] pensait que, sans la Flandre, la Belgique n’avait pas d’avenir : ce qu’il en resterait serait trop semblable à la France.
Aujourd’hui, la Wallonie et Bruxelles ne constituent pas une nation. À la différence des nouveaux États qui se sont constitués en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, nous n’avons pas de nation wallonne, bruxelloise ou « petite belge ». Nous sommes un conglomérat d’anciennes principautés ballottées par l’Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon, au même titre qu’un Liégeois ou un Namurois. Il n’existe pas de conscience nationale belge francophone.
Si l’État belge s’évapore, nous ne pouvons être qu’une région d’un autre État-nation : la République française. De Jules Michelet à Charles de Gaulle, on a toujours considéré, en France, les Wallons comme faisant partie de la famille française. Il n’y a pas d’autre capitale commune aux Wallons et aux Bruxellois que Paris, où ils jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans les arts et la littérature…

On peut imaginer deux États différents appartenant à un même ensemble national et culturel, comme l’Autriche et l’Allemagne…
Non, car un autre problème se pose : cette « petite Belgique » ne serait viable ni économiquement ni socialement. Cet État serait en faillite avant même de commencer à fonctionner. Certains économistes ont chiffré à moins 20-25 % la diminution du niveau de protection sociale en cas de disparition de la Belgique et, par conséquent, des transferts du Nord vers le Sud. Enfin, notre classe politique à Bruxelles, et surtout en Wallonie, a montré depuis un quart de siècle une réelle inaptitude à administrer sainement la chose publique. La corruption, le clientélisme, le népotisme sont monnaie courante, et ne laissent guère augurer d’une bonne gestion de cet hypothétique royaume « petit-belge »… Le chaos pourrait s’installer au cœur de l’Union européenne.

Certains autonomistes flamands, moins radicaux que les séparatistes du Vlaams Belang[4. Le Vlaams Belang (anciennement Vlaams Blok) est un parti séparatiste et xénophobe qui s’est développé en Flandre au début des années 1980. Il représente aujourd’hui environ 20 % de l’électorat flamand.], plaident pour le maintien d’une Belgique dont les autorités fédérales seraient réduites à leur plus simple expression, l’essentiel des pouvoirs ayant été transférés aux régions. Cette « coquille vide » serait-elle viable ?
C’est ce qu’on appelle le confédéralisme – une formule qui sert le plus souvent à masquer un désir d’indépendance. Aujourd’hui, les Flamands se définissent comme « région flamande en Europe ». Lorsque le ministre belge des Affaires étrangères, le flamand Karel De Gucht, parle de « frontière d’État » pour désigner la frontière linguistique intra-belge, il ne s’agit pas d’un simple lapsus. Ces périphrases sont destinées à amortir le choc psychologique de la fin de l’État belge et à faire avaler à l’opinion francophone la pilule de l’indépendance de la Flandre. Je ne suis pas convaincu, d’une manière générale, et particulièrement en période de crise, qu’un État puisse subsister très longtemps dès lors qu’il ne contrôlerait plus des domaines aussi cruciaux que les finances, la justice, l’économie, une partie des relations internationales, la culture ou l’enseignement…
En ces temps difficiles, on ne peut pas se contenter d’un substitut d’État qui, par surcroît, n’aurait pas réglé les contentieux historiques entre les deux parties du pays : la question de l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde[5. L’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde est la seule circonscription de Belgique où les électeurs peuvent choisir de voter soit pour des partis francophones soit pour des partis flamands. Sa scission est une revendication flamande à laquelle les francophones s’opposent, car elle priverait les francophones des communes flamandes situées à la périphérie de Bruxelles – mais sur le territoire de la Flandre – de la possibilité d’élire des représentants appartenant à leur communauté linguistique.] ; celle de la nomination des maires élus dans les communes de la périphérie de Bruxelles ; et surtout le problème fondamental des frontières entre les composantes de cet État confédéral. Ce serait le meilleur moyen de pérenniser la situation actuelle : une glaciation du fonctionnement de l’État où, depuis deux ans, plus aucune initiative n’est prise, dans l’attente d’une éventuelle réforme des institutions, elle aussi bloquée…

Vos détracteurs soutiennent que les Wallons et les Bruxellois, très attachés à leur autonomie locale, ne supporteraient pas le centralisme jacobin des Français. Imagine-t-on, par exemple, un préfet d’origine corse à Liège ?
Personnellement, j’imagine très bien un préfet wallon dans le Gers ou la Corse du Sud ! La réunion avec la France représentera une ouverture vers l’extérieur pour des Wallons un peu trop confinés dans leur province. Et puis, la France d’aujourd’hui n’est plus aussi centralisée qu’elle l’était jadis, avant les lois Defferre, et elle le sera encore moins à l’avenir si l’on se fie aux propositions de la commission Balladur… Une phase de transition, d’adaptation de nos législations et de nos modes de fonctionnement pourrait être instaurée dans le domaine de l’enseignement ou des cultes. Mais, d’une manière générale, la Wallonie et Bruxelles ont tout à gagner d’une moralisation de la gestion politique locale et régionale, marquée jusqu’à présent par l’incompétence quand ce n’est pas par la corruption…

Il semble, à vous entendre, que les Belges se trouvent dans l’incapacité de régler eux-mêmes leurs problèmes. Seriez-vous favorable à une internationalisation de la « question belge » ?
Jamais dans l’Histoire les Belges n’ont réussi à prendre leur destin en main. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : en 1789, la principauté de Liège a proclamé une république indépendante. Que s’est-il passé ? L’anarchie, le désordre, l’absence d’État et, au bout du compte, la reconquête sans coup férir par les Autrichiens. La deuxième tentative – la formation, en 1831, de la Belgique indépendante – a été apparemment plus fructueuse. Mais la bourgeoisie belge qui a fait la « révolution » (un bien grand mot pour des événements mineurs !) en chassant les Hollandais, n’a pas été capable de mettre elle-même sur pied un État belge. C’est par la volonté des puissances européennes, au premier rang desquelles la France et l’Angleterre, que cet État a fini par voir le jour. Les partenaires européens ne peuvent pas se désintéresser du sort de la Belgique.

Aujourd’hui, on serait plutôt dans la situation inverse : ces mêmes puissances et les autorités européennes verraient d’un mauvais œil l’éclatement de la Belgique et pourraient même s’y opposer en vertu du principe d’intangibilité des frontières au sein de l’Union européenne…
Quelles autorités européennes ? Et au nom de quels principes ? Depuis 1989, plus de quinze nouveaux États sont nés sur notre continent tandis que d’autres, comme la RDA, ont disparu. La plupart des capitales, et l’Europe dans son ensemble, sont restées passives, voire complices, devant ces implosions. Elles ont hésité entre deux principes contradictoires : le droit sacré des peuples à l’autodétermination et la stabilité des frontières étatiques. Si le droit des peuples l’a emporté, ce n’est pas parce que l’Europe a imposé la solution la plus vertueuse, mais parce qu’elle n’avait ni la volonté ni la force de dire non. Je suis persuadé que l’Allemagne ne s’opposera pas aux souhaits des Wallons et des Bruxellois. Elle se souviendra de la loyauté de Paris, qui acquiesça sans réserve à la réunification de 1990. Quant à la Grande-Bretagne, elle ne protestera que pour la forme. L’Europe a intérêt à ce que la crise belge trouve une issue pacifique et que tout risque de chaos soit écarté. Le rattachement à la France constituera un facteur de stabilité évident.

À propos de l’Allemagne, que deviendrait la communauté germanophone des cantons de l’Est dans l’hypothèse d’une intégration de la Wallonie à la France ?
Les 70 000 habitants de ces cantons seraient, eux aussi, appelés à se prononcer via un référendum d’autodétermination. Sans préjuger de leur choix, il pourrait leur être proposé trois options : le rattachement à la République fédérale, l’intégration au Luxembourg ; ou bien le maintien au sein d’une région wallonne devenue française, avec des aménagements du type de ceux en vigueur en Alsace-Moselle.

Et la minorité flamande de Bruxelles ?
Son statut devra être négocié dans un cadre général de protection des minorités linguistiques à Bruxelles, mais aussi en Flandre, où résident quelque 90 000 francophones, hors des communes dites à « facilités » de la périphérie bruxelloise. Ces derniers ne bénéficient aujourd’hui d’aucun droit à faire usage de leur langue dans les services publics, contrairement aux Flamands de Bruxelles. Je suis également favorable à la signature d’un grand traité culturel tripartite, par lequel la France, la Flandre et les Pays-Bas s’attacheraient à promouvoir les échanges linguistiques et culturels.

Comment expliquez-vous le hiatus entre l’écho rencontré récemment par vos idées – près de la moitié des Wallons et Bruxellois seraient favorables au rattachement à la France en cas d’éclatement de la Belgique – et la modestie de vos résultats électoraux ?
Il y a d’abord l’ostracisme dont notre mouvement est victime de la part des grands médias belges francophones depuis sa création en 1999. La radio et la télévision publiques sont verrouillées par des directeurs nommés par les partis politiques au pouvoir, notamment le PS, qui est farouchement hostile à nos idées. Entre parenthèses, il me paraît quelque peu indécent de voir le PS belge critiquer la nomination du président de France Télévisions par le Conseil des ministres, quand on sait comment ses dirigeants se comportent en la matière…
Le peuple wallon et bruxellois francophone nous connaît et nous estime, car nous ne sommes ni des extrémistes ni des excités. Il adhère de plus en plus à nos idées mais, pour l’instant, il nous considère un peu comme le médicament qu’on garde en réserve dans l’armoire à pharmacie au cas où les choses tourneraient mal…
Dans les circonstances actuelles, les choses peuvent bouger très vite, y compris sur le plan électoral. Je constate également que l’opinion française est majoritairement disposée à nous accueillir dans la République : les sondages nous sont particulièrement favorables dans les régions frontalières, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Champagne-Ardenne. Les dirigeants français ne peuvent pas ignorer cette évolution des esprits de part et d’autre de la frontière. Il est grand temps qu’ils se mettent à lire la crise belge avec d’autres lunettes que celles que leur tend la classe politique de Wallonie et de Bruxelles !

Paul-Henry Gendebien est l’auteur de Wallons et Bruxellois, ensemble avec la France !, éditions Cortext, 2008. Paraîtra un article de Luc Rosenzweig sur la situation politique en Belgique dans le n°123 de Politique Internationale, disponible en librairie le 11 mai 2009.

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Frappe chirurgicale

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À l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), l’équipe du professeur Lantiéri a greffé une partie du visage et des deux mains sur un homme âgé de 30 ans. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son Carnet : Babouse de là !

Ils étaient où, les patrons ?

Personne n’a remarqué que l’unité syndicale exceptionnelle ayant présidé à l’organisation des défilés de ce 1er mai 2009 n’était pas totale. On avait beau scruter les images des cortèges de nos villes, pas trace de délégation du Medef ou de la CGPME ! Et pourtant les patrons, grands et petits, sont comme tout le monde des victimes de la crise ! Et ils en avaient, des choses à dire, si l’on en croit les récentes prises de position de leurs organisations représentatives. On aurait pu voir, par exemple, une grande banderole : « Le Medef avec les travailleurs contre les patrons voyous ! » Assis dans le coffre ouvert d’une Vel Satis conduite par son chauffeur habituel, Gérard Mestrallet, qui fut de gauche avant de diriger Suez, lance les slogans dans son mégaphone : « Bouton, t’es foutu, le Medef est dans la rue ! », « Stock-options, piège à cons ! », « Pas de bénef, pas de bonus, les patrons sont pas des buses ! », etc. L’état-major de Bouygues serait venu au grand complet avec ses pancartes calligraphiées au minorange : « Des lits avec du ciment ! », faisant écho au « Pas de licenciements ! » de la CGT, « Sarko laisse béton ! » Laurence Parisot a raté une bonne occasion de ne pas se taire !

Timbre jauni

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Sans même attendre d’avoir été privatisée par ukase de Bruxelles, la Poste sait faire preuve d’un réel dynamisme commercial. Voilà ce que nous apprend son dernier communiqué de presse : « La légende vivante du rock repart pour une ultime tournée offerte à son public. A l’occasion de cette tournée événement Tour 66, La Poste édite un timbre collector que Johnny Hallyday a décidé de dédier à ses fans. » N’étant pas, comme certaines zélites, antijohnniste primaire, je ne verserai pas dans le gag du genre : « Chouette, ça va persuader ses fans d’apprendre à écrire. » Mais n’étant pas non plus, comme certain Basile de Koch, d’une indulgence coupable vis-à-vis de l’ex-idole des ex-jeunes, je me contenterai donc, sans plus de commentaire, de vous affranchir…

johnny

Pour une géopolitique de la beurette

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Il y a une zone de guerre en France, ce sont les cours de récréation des lycées et des collèges des quartiers sensibles. Pour une fois, l’appellation technocratique « sensible » est juste : ce sont des zones sensibles comme il y a des cœurs sensibles, des âmes sensibles ou des parties du corps sensibles à cause de la douleur ou du plaisir. Écartons tout de suite les habituels fantasmes de ceux qui confondent la vidéo du Noctilien avec L’Invasion des profanateurs de sépulture. Quand je parle de zones de guerre, n’allez pas vous imaginer des affrontements intercommunautaires entre le distributeur de bonbons du foyer et le bureau de la conseillère principale d’éducation. Si ces choses arrivent, elles restent rares, parce que l’école de la République, malgré les gifles qu’elle prend d’une société qui implose, malgré sa mise à nu par ses serviteurs-mêmes, ivres d’inconséquence pédagogiste, a encore de beaux restes. Il ne se trouve que quelques sites « de souche » pour vouloir faire croire que la guerre civile est déjà là. Elle arrivera peut-être, mais pour l’instant ce n’est pas encore le cas, parce qu’une poignée de hussards noirs tiennent encore la boutique contre les pompiers pyromanes de l’extrême droite islamophobe et les imams intrusifs qui se croient tout permis, depuis que Sarkozy leur a donné l’autorisation de ramener l’ordre lors du soulèvement de 2005.

Non, je parle d’une guerre d’une tout autre nature, d’une guerre qui se joue dans les imaginaires, avec des mains qui vont s’effleurer ou pas, des regards et les sourires échangés en cours d’histoire, des rendez-vous chuchotés, des SMS aussi dysorthographiques qu’amoureux.

Dans cette zone de guerre, donc, il y a un territoire occupé. Ce territoire occupé, c’est la représentation que les garçons ont de la femme. Soit la femme est une sainte voilée, désincarnée, une sœur, une mère, soit c’est une pute, une chienne qui aime se faire défoncer par tous les trous. Il a fallu pour en arriver à ce résultat une petite quinzaine d’années et le retour en force de deux pornographies conjuguées et objectivement alliées : celle de l’intégrisme des barbus et celle, sexuelle, de dizaines de chaînes satellite et de sites internet plus abjects les uns que les autres. On s’affole souvent dans les organisations familiales des actes de violences télévisuelles auxquels sont confrontés les enfants. On ferait bien également, et je suis désolé d’avoir à donner raison à Christine Boutin, de se demander ce qu’un gamin de douze ans a pu voir comme pipes, doubles pénétrations, insertions de sex-toys divers et différentes fantaisies sado-masochistes. Parce qu’il faut bien comprendre que la pornographie de notre temps ressemble logiquement à notre temps : ce n’est plus la bonne baise à l’ancienne, avec levrette près du haras et culbutage final d’une servante toute nue sous son tablier des années d’avant la crise. Maintenant, la représentation du sexe vise systématiquement à la violence, à l’humiliation, aux rapports de force, au viol pur et simple. Le corps est réifié, chosifié, marchandisé. On n’est jamais très loin du snuff movie, ces films qui représenteraient des mises à morts non simulées et dont, comme par hasard, les premiers metteurs en scène furent les preneurs d’otage irakiens, connus pour leur goût pour l’égorgement en direct live.

Mais il n’y a pas que les territoires occupés. Il y a aussi la ligne de front. Et la ligne de front, c’est le corps des filles, des beurettes en particulier. Elles ont trois solutions, les filles, coincées par les grands frères intoxiqués par l’imam intégriste, les films pornos crades et l’échec scolaire.

Soit elles se soumettent, et c’est le voile, et l’exclusion sociale qui va avec. Soit c’est le survêtement informe, le jogging qui cache tout, manière de nouvelle burqa siglée, ironie de l’histoire, par le logo d’une marque appartenant au grand Satan américain. Soit, troisième et dernière possibilité, héroïque et sensuelle, c’est : « Je vais vous montrer comme je suis belle et je vous emmerde. » Qui n’a pas vu, un matin lumineux de mai, arriver une théorie de jeunes Kabyles aux cheveux libres et bouclés, aux jambes nues encore allongées par des mini-jupes, des Peulh aux petits hauts dévoilant des ventres plats, le nombril orné d’un brillant, la chevelure tressée et compliquée comme une grammaire ancienne, en vérité, je vous le dis, celui-là ne sait pas ce qu’est la beauté libre, la beauté convulsive aurait dit Breton, au cœur de l’épouvante.

Les voilà, mes petites héroïnes, mes petites résistantes qui récitent la tirade de Chimène en sachant bien de quoi elles parlent en matière de surdéterminisme familial qu’il faudra vaincre pour être libres :
Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !

Sarkozy qui ne croit qu’en l’instinct et la force ne s’y est pas trompé. Il sait qui sont Rachida Dati et Fadela Amara. Que l’une soit en voie de ringardisation et l’autre persiste dans une démagogie du « parler banlieue » n’empêche pas que ces deux femmes viennent de très loin, de beaucoup plus loin même que les clandestins dans les zones de rétention. La famille, la religion, le système scolaire, social et économique ont tout fait pour qu’elles n’en soient pas là. Elles ont réussi, malgré tout.

Ce qu’il faut, maintenant, comme dans toutes les guerres, c’est envoyer des renforts à nos alliées en position de plus en plus intenable. Oh, pas sous forme de discrimination positive, mais en instaurant un climat, des représentations qui valorisent cette féminité assumée, en se comportant en gramscistes et en faisant entrer ces modèles-là dans les fictions télévisées, cinématographiques, dans le rap, la variété, les arts.

Parce que nous n’y trompons pas, la véritable victoire n’aura pas lieu quand une section française du 8e RPIMA, hypothèse de toute manière hautement improbable, aura réduit le dernier village taliban mais quand Fadila El Kandoussi se mariera avec François Dupont, devant le maire d’Ivry et que les deux familles applaudiront, même si les grand-mères regretteront un peu, juste un peu, qu’on fasse seulement un mariage civil.

À mes petites guerrières de la 3e 4 et de l’atelier d’écriture 2006-2007

Grève du sexe au Kenya

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Au Kenya, devant l’incapacité des différents partis à mener à bien une politique de réformes sociales, les femmes ont décidé une grève du sexe d’une semaine reconductible si les discussions stériles et creuses des hommes au pouvoir continuaient sans déboucher sur quoi ce se soit de concret. La femme du Premier ministre elle-même a annoncé qu’elle rejoignait le mouvement. Causeur ne peut que soutenir le combat des femmes kenyanes. Cependant, nous tenons à les avertir de ne pas perdre en route leur but de guerre. Ainsi, en France, les féministes sont en grève du sexe depuis au moins trente ans, mais ne savent même plus pourquoi. Elles croient se souvenir qu’il était question de décider qui serait dessous et qui serait dessus. Mais dessous ou dessus qui ou quoi, il leur impossible de s’en souvenir alors qu’elles mangent un yaourt bio en regardant la quatrième saison de Desperate Housewifes…

Les bons coups de Prague

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Il est de bon ton à Bruxelles, ces derniers temps, de cogner à bras raccourcis sur cette pauvre République tchèque. Les eurocrates et leurs tâcherons de la presse accréditée auprès de l’Union européenne pratiquent le tchèque bashing avec d’autant plus de vigueur que les moyens de rétorsion de ce petit pays d’Europe centrale sont limités.

Arrivés aux commandes de l’UE par gros temps : crise économique mondiale, transition présidentielle aux Etats-Unis, opération « plomb durci » à Gaza, et autres soucis iraniens, afghans ou sri-lankais, les Tchèques ne se seraient pas montrés à la hauteur, serinent en on et en off les cadors de la Commission et les chancelleries de quelques pays très en colère, dont la France.

Non seulement ils ont un président, Vaclav Klaus, furieusement europhobe, mais ils se sont débrouillés pour ouvrir une crise gouvernementale en plein milieu de leur mandat présidentiel. Et ce n’est pas tout: au lieu de se comporter convenablement, à l’image des Slovènes[1. La Slovénie fut le premier pays de la « nouvelle Europe » à assurer la présidence de l’UE, le semestre précédent la présidence française.] qui ne bougeaient pas une oreille sans demander la permission de Paris, ils ont eu le toupet de profiter de leur présidence pour faire valoir leurs positions sur quelques questions importantes.

De tous les pays européens, par exemple, les Tchèques sont jusque dans les tréfonds de leur peuple, les plus philosémite. À la différence des Baltes qui élèvent aujourd’hui des monuments à leurs anciens dirigeants collaborateurs des massacreurs nazis, les Tchèques n’ont jamais prêté la main à la « solution finale ». Ils se sont même payés Reinhard Heydrich, l’un de ses principaux concepteurs, exécuté à Prague par un commando de résistants en 1941. Aujourd’hui, ils ont vis-à-vis d’Israël une attitude beaucoup moins hostile que la plupart des chancelleries européennes, et osent appeler un chat un chat, et l’opération de Gaza une opération « défensive », ce qu’elle était incontestablement lors de son déclenchement. La question de la « proportionnalité » de la riposte pouvait, certes, faire débat, mais cela ne changeait rien aux faits qu’elle répondait aux bombardements incessants du Hamas sur Sderot et sa région. À Bruxelles, notamment dans les bureaux de la commissaire aux affaires étrangères, l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, c’en était déjà trop, et l’on somma Prague de nuancer son propos. Le prince Schwarzenberg, ministre tchèque des Affaires étrangères, s’exécuta avec une mauvaise grâce et une élégance tout aristocratique, révélant ainsi les partis pris anti-israéliens qui animent quelques pays de l’UE et sont flagrants dans la bureaucratie bruxelloise en charge de l’international.

Tout le monde le sait : il n’y a pas d’unanimité possible en Europe sur le conflit israélo-arabe. Aux pays viscéralement, hostiles à l’Etat juif, comme l’Espagne de Zapatero, la Grèce, Chypre, et les pays nordiques, s’opposent l’Allemagne – pour d’évidentes raisons historiques –, les Pays-Bas, et surtout la République tchèque, dont le philosionisme affirmé et revendiqué fait contrepoids à d’autres nations systématiquement pro-arabes. La France, la Grande-Bretagne et l’Italie ont sur la question une position « centriste » qui varie – faiblement – dans un sens ou dans un autre en fonction des inclinations de leurs dirigeants. La France est ainsi légèrement plus favorable à Israël sous Sarkozy que sous Chirac et l’Italie plus pro-arabe avec la gauche qu’avec la droite berlusconienne. La Grande-Bretagne, dans tous les cas de figure, demeure fourbe et hypocrite. On ne s’étonnera donc pas que les positions élaborées à ce sujet soient le résultat de savants compromis, que chacun peut interpréter à sa guise devant son opinion publique nationale.

Dans ce contexte la personnalité du commissaire en charge de cette politique étrangère qui n’a de commune que le nom, peut jouer un rôle : l’ambiguïté des résolutions adoptées par les 27 l’autorise à les tirer dans un sens ou dans un autre. Mme Ferrero-Waldner, donc, est autrichienne, et pas de l’espèce qui reconnait que ce pays a quelques responsabilités dans les crimes nazis. C’est une « waldheimienne » de choc, dont la carrière diplomatique doit tout à cet ancien nazi devenu secrétaire général de l’ONU en dissimulant son passé. C’est Waldheim, devenu président de la République d’Autriche en 1986 qui recommanda la jeune diplomate Benita Waldner[2. Elle ajouta Ferrero à son nom après son mariage, non pas avec le fournisseur de chocolat de toutes les ambassades, mais avec Francisco Ferrero, un universitaire espagnol.] à son ami et successeur Boutros Boutros-Ghali. Celui-ci en fit sa chef du protocole à l’ONU, où elle se familiarisa et sympathisa avec toutes les délégations arabes, bien plus importantes pour sa carrière que les quelques démocraties occidentales et Israël qui sont en minorité dans la machine onusienne…

Elle avait pour grand ami feu Jörg Haider, dont elle prit ardemment la défense lorsque l’Autriche fut mise à l’écart dans l’UE, à la fin des années 1990 en raison de l’arrivée au pouvoir, à Vienne, d’une coalition incluant les populistes xénophobes de Haider. On ne peut raisonnablement pas dire que Bénita Ferrero-Waldner soit antisémite, mais il est indéniable qu’elle ressent envers Israël une hostilité instinctive qui va bien au-delà de ce qu’il est admissible pour quelqu’un chargé d’incarner l’Union européenne sur la scène internationale.

Là encore, la République tchèque, en la personne de son Premier ministre démissionnaire Mirek Topolanek ne s’est pas laissé impressionner. Interrogé par Haaretz sur les déclarations de Mme Ferrero-Waldner, qui prétendait conditionner le renforcement des liens entre l’UE et Israël à la reconnaissance, par le gouvernement de Netanyahou, de la solution à deux Etats pour résoudre le conflit avec les Palestiniens, Topolanek a répondu que les déclarations de la commissaire étaient « hâtives » et ne valaient « que ce que valent les déclarations d’un commissaire », sous-entendu pas grand chose. Bien envoyé, Topo ! On ne saurait mieux résumer le fonctionnement réel de la machine européenne et l’impudence de ces eurocrates qui veulent jouer aux grands de ce monde !

Dans le style « je vous démontre par l’absurde le ridicule boursouflé d’une situation », cher au brave soldat Chveik, l’immortel héros praguois de Jaroslav Hasek, le comportement de la présidence tchèque lors de la mascarade de Durban II fut également exemplaire. On se souvient de la sortie théâtrale des délégations européennes, ambassadeur de France en tête, au milieu du discours de Mahmoud Ahmadinejad devant les Nations-Unies à Genève. Enfumage ! Quelques heures plus tard, ces mêmes excellences, à l’exception de la délégation tchèque, revenaient dans la conférence pour écouter sans moufter les litanies de potentats orientaux venus donner des leçons de droits de l’homme à la planète entière. En dépit du service après-vente assuré par Kouchner sur toutes les radios et toutes les télés, assurant que Durban 2 avait été une grande victoire des démocraties en faisant adopter un texte de compromis (je sacrifie les homosexuels, tu oublies la diffamation des religions), cette conférence est une reculade en rase campagne devant l’arrogance des « humanistes » islamiques radicaux qui pilotent le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Mais pour Kouchner et ses amis, c’est la présidence tchèque qui a « failli » en se désolidarisant des néo-munichois.

Cette présidence baroque fut donc une bénédiction : jamais on n’avait pu voir cette prétendue Union européenne fonctionner avec autant de transparence. Merci les Tchèques !

Liberté pour les ennemis de la Liberté !

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Jean-Marie Le Pen a raison. Vous avez bien lu. Alors que l’Elysée étudierait la possibilité de faire interdire par la justice les « listes antisionistes » concoctées par son ami Dieudonné pour les élections européennes, le patron du Front national a déclaré : « Les inconvénients de la censure sont plus graves que ceux de la liberté. » Au risque de servir sur un plateau à ceux qui aimeraient me faire pendre bien plus que les deux mots de ma main nécessaires à l’opération, je le répète : je suis d’accord avec Le Pen. Sur la conclusion en tout cas. Face à un Dieudonné, interdire ne sert plus à rien. Il faut l’affronter. À mots nus.

Je l’admets, le cas n’est pas simple. Interrogé sur Radio J, Claude Guéant a sobrement résumé le problème : « Peut-on se présenter aux élections avec un programme ouvertement antisémite ? »

La réponse semble s’imposer d’elle-même. Les « inconvénients de la liberté » sont évidents. La perspective d’un Dieudonné crachant librement sa haine d’Israël, sans doute devant quelques salles surchauffées, qui donneront, l’espace de la campagne, l’illusion qu’il dispose de puissantes divisions, est une perspective déplaisante. Il suffit de citer les propos de l’un de ses coéquipiers, le gracieux Yahia Gouasmi, pour se faire une idée de l’épreuve qui nous attend. Lors de la conférence de presse de lancement de la campagne, le 24 avril, M. Gouasmi expliquait : « À chaque divorce, moi je vous le dis, il y a un sioniste derrière. À chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme. C’est ce que nous croyons. Et c’est ce que nous allons démontrer. » Au terme de la campagne, il sera acquis, pour des milliers et, par la magie des médias, pour des millions de personnes, que l’on peut proférer de telles insanités et briguer les suffrages des électeurs. Comment les prohibera-t-on dans les salles de classe ?

Tout cela est vrai, mais Le Pen a raison : l’interdiction serait encore pire. À supposer d’ailleurs qu’elle soit prononcée. On peut imaginer qu’un tribunal juge que le « Parti antisioniste » est en parfaite conformité avec nos lois – lesquelles doivent bien avoir quelque chose à faire avec nos valeurs. L’antisionisme, qui a déjà cours des salles des profs aux cours de récré en passant par pas mal de rédactions, ferait ainsi son entrée en majesté dans le consensus républicain. Et moi, qu’il dissimule ou non de l’antisémitisme, l’antisionisme, ça ne me plaît pas. Parce qu’enfin, comme disait le Général, il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut. Concrètement, être « antisioniste », cela signifie que l’on souhaite soit la disparition d’Israël en tant qu’Etat juif, soit la disparition des Juifs de l’ensemble de la Palestine mandataire. Dans les deux cas, on a le droit de trouver ça moyen. Bref, je n’aimerais pas que la justice de mon pays dise « antisémitisme non, antisionisme oui », ce qui reviendrait à délivrer un permis de haïr Israël.

Il est vrai que le risque paraît faible, nos joyeux lurons ne prenant guère de précautions pour cacher que leur obsession israélienne est une obsession juive. Il est assez clair qu’ils la souhaitent ardemment cette interdiction, et ce seul fait devrait faire réfléchir tous ceux qui sont partis, sabre au clair et « heures les plus sombres de notre histoire » en bandoulière. Invité à commenter l’intervention de Guéant, Alain Soral, le troisième homme de cette aimable troupe, a répondu : « L’Etat se soumet au lobby sioniste. » Les mots sont peut-être pesés au trébuchet, mais on connaît la chanson.

Et pourtant, je n’en démords pas : Le Pen a raison. Supposons que les listes antisionistes soient interdites de scrutin par la justice pour cause d’antisémitisme avéré. Premier résultat, cela renforcera la conviction déjà fort répandue dans certains milieux que les juifs sont puissants, qu’ils tiennent les médias et la politique, jouissent de protections exorbitantes et que ces privilèges sont la première cause des malheurs du monde. Quant à tous ceux, bien plus nombreux, qui suivent ces polémiques de loin avec un agacement croissant, ils penseront paresseusement qu’après tout, « les juifs exagèrent et qu’on ne peut rien dire sur Israël sans être traité d’antisémite ».

J’imagine par avance les commentaires furibonds de ceux qui auront compris ce texte sans l’avoir lu. Que les autres ne se méprennent pas, je ne prône nullement le laissez-faire face à l’antisémitisme/antisionisme. Mais la question n’est pas seulement tactique, elle est existentielle pour nous tous, nous les Français civilisés comme disait l’autre. Déléguer à un tribunal, fût-il habilité à juger en notre nom, le soin de faire mordre la poussière à Dieudonné, c’est déserter le champ de bataille. Ne répliquons pas à la redoutable conjonction du ressentiment et de la sottise par une guérilla judiciaire, battons-nous avec nos armes à nous, l’intelligence et l’humour. Soyons plus drôles et plus malins qu’eux – c’est quand même pas difficile, merde ! Dieudonné et ses amis nous attaquent sur notre terrain, celui de la liberté. En leur interdisant le combat, c’est nous qui le perdrons.

Tamoul, ta gueule !

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Excusez-moi d’insister, mais je n’arrive toujours pas à comprendre l’indifférence quasi-générale, qui entoure les massacres de populations civiles tamoules au Sri Lanka.

Il se trouve que j’ai pas mal de copains tamouls, ils bossent pratiquement tous dans les cuisines de restaurant, petits et grands. Je les vois même plus souvent qu’avant depuis que, moi aussi, je dois fumer, comme le personnel, ma cigarette sur le trottoir. Et depuis deux semaines, nos bavardages en anglais pataud ont cessé d’être badins. « Why, Mister Marc ? Pourquoi est-ce que les Français s’en fichent ? »

En règle générale, je fais l’abruti, je hausse les épaules, je fais le mec qui lui aussi ne comprend pas. Mes amis tamouls, ils aiment bien la France, ils se sentent aimés ici, je ne voudrais pas les décevoir. Pour être hindouistes (des hindouistes assez rigolos, j’en connais un qui va chaque année en pèlerinage à Lourdes), ils n’en sont pas moins cégétistes et, en règle générale, marxistes-léninistes. Là encore, il semble s’agir d’un communisme assez syncrétique, je ne me suis jamais aventuré dans ses méandres théoriques. Une chose est sûre, ils soutiennent tous en bloc les Tigres, et sans barguigner. Et ils ont été assez vexés quand le LTTE a été classé dans la liste des mouvements terroristes par l’Union européenne. Des terroristes, mes cuistots, mes plongeurs, mes éplucheurs de carottes ? Si c’est Bruxelles qui le dit… Mais bon, ça ne les dérangeait pas plus que ça. Du moment qu’on les laissait bosser dur, envoyer des mandats à leurs femmes et boire leur bière ou leur scotch au goulot dans les squares de La Chapelle ou sur les trottoirs du haut du Faubourg Saint-Denis – le Tamoul aime picoler en plein air, j’imagine que les débits de boisson lui rappellent trop le boulot.

Mais là, mes copains ne comprennent plus. Et il y a un truc que spécialement ils ne comprennent plus. Eux qui, quand le premier mai n’était pas revenu à la mode, ont constitué, des années durant, avec les Kurdes et les Turcs du Sentier, le gros des manifs parisiennes de la fête du Travail, ils comprennent mal que pas une banderole « de souche » n’ait évoqué leur drame. Les seules pancartes qui réclamaient l’arrêt des massacres à Jaffna, c’étaient celles qu’ils portaient eux-mêmes, dans une indifférence assez générale, d’ailleurs. Why, Mister Marc, why ?

Alors oui, j’aurais pu la jouer faux-cul, accuser l’impérialisme, et les médias aux bottes, la désinformation, et tatati et tatata. Mais je n’avais pas le cœur à ça. J’aurais pu dire que Ceylan, c’est loin. Mais ils savent comme moi que le Tibet, c’est encore plus loin…

Le pire, c’est qu’ils sentent bien que cette indifférence n’est pas liée à un black-out absolu. Le pire, c’est que le Sri Lanka, on en parle, mais si peu, et en des termes si neutres, quasi anglo-saxons. Ma télé du soir et mon Libé du matin ne m’avaient pas habitué à tant de retenue en matière de droits de l’homme.

Certes, on y a envoyé Kouchner faire le clown. Mais après qu’il a été proprement humilié sur place par le chef de l’Etat sri-lankais, qui lui a dit d’aller jouer aux billes ailleurs, rien, pas de réaction indignée de l’Elysée, pas d’édito pincé du Monde, que dalle. Quant aux massacres proprement dits, c’est pire : pas de « une » des journaux nationaux, pas d’appel à manifester des partis de gauche, pas de cris du cœur des grandes consciences de l’humanisme. Pas de pétition contre le « génocide ». Alors, moi aussi, je vais la cracher, ma Valda : le vrai drame de Jaffna, c’est de ne pas être Gaza. Et je n’ai pas le cœur de dire à mes copains, qu’ils sont des victimes, certes, mais pas assez glamour pour Ken Loach et Stéphane Hessel.

Cette semaine, une épidémie de méningite foudroyante a tué deux mille personnes au Nigéria et dans les pays adjacents. Le saviez-vous ? Ben non ! Ces idiots n’ont même pas eu la bonne idée de crever du H1N1…

Quito ou doublé ?

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Il semblerait que malgré la force conjuguée et redoutable des éditoriaux d’Alexandre Adler (le seul à en parler en mal et à en parler tout court) et des manœuvres souterraines de l’Agence de l’Intelligence Centrale, rien ne puisse empêcher les révolutions tranquilles d’Amérique latine de triompher alors que le capitalisme s’effondre et laisse du gras de cochon partout sur la planète. En effet, dans le silence douloureux et stupéfait de la presse française, Rafaël Correa, président sortant de l’Equateur depuis 2006, a été réélu dès le premier tour avec plus de 51 % des voix. L’exploit est intéressant à double titre : Rafaël Correa est ouvertement pro-Chavez et l’Equateur, comme le San-Theodoros des généraux Tapioca et Alcazar, s’était fait une spécialité du coup d’Etat militaire, renversant plus de cinquante présidents depuis le début du siècle. Le Chavez tour (Caracas, Quito, Managua, La Paz) peut continuer. Tarifs préférentiels sur Causeur.

Un préfet wallon dans le Gers ou en Corse ?

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Paul-Henry Gendebien est, depuis quatre décennies, une figure marquante de la vie politique belge. Né en 1939, issu d’une vieille famille aristocratique de la région de Namur – ses ancêtres Jean-François et Alexandre ont joué un rôle important dans la mise en place de l’État belge en 1830-1831 –, il entre au début des années 1970 au Parti social-chrétien, avant de rejoindre les rangs du Rassemblement wallon. Ce parti de gauche, fondé par le syndicaliste André Renard et le professeur de droit François Perin, a pour objet la défense des intérêts de la Wallonie – dont l’existence institutionnelle est le produit des affrontements communautaires de la fin des années 1960. Député au Parlement belge, puis député européen de 1979 à 1984, il sera de 1988 à 1996 délégué général à Paris de la Communauté française Wallonie-Bruxelles[1. La communauté française Wallonie-Bruxelles est l’institution qui gère les questions « personnalisables » (éducation, santé, culture) des francophones de Wallonie et de Bruxelles.]. En 1999, il fonde le Rassemblement Wallonie-France (RWF) qui prône l’intégration de la Wallonie et de Bruxelles au sein de la République française, dans l’hypothèse, à ses yeux inéluctable, où la Flandre choisirait l’indépendance. Son influence personnelle et celle de son mouvement dépassent très largement les maigres résultats électoraux du RWF (1,5 % lors des élections législatives de juin 2007). Si l’on en juge par les ralliements récents de personnalités du monde politique et intellectuel belge francophone et par les sondages d’opinion, les Wallons sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par les thèses « rattachistes »…

À la tête du Rassemblement Wallonie-France, vous militez, en cas d’éclatement de la Belgique, pour l’annexion de la Wallonie et de Bruxelles par la France. Comment vous, qui êtes issu d’une grande famille fondatrice de l’État Belge, êtes-vous devenu le chef de file des « rattachistes » ?
La querelle belge n’est pas anecdotique. Elle n’est pas le fait du hasard ni d’une crise conjoncturelle. Elle trouve sa source dans une création qui a accouplé des populations dépourvues des affinités et de la cohésion nécessaires pour former un État-nation. Déjà, en 1912, le député socialiste de Charleroi Jules Destrée s’adressait en ces termes au roi Albert 1er, le grand-père de l’actuel souverain Albert II : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire, il n’y a pas de Belges (…). Non, Sire, la fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et la désirerait-on, il faut constater qu’elle n’est pas possible. »
Un siècle plus tard, ce constat est plus que jamais pertinent, et la montée en puissance du nationalisme flamand, la volonté de ce peuple de se constituer en État-nation coûte que coûte, placent les Wallons et les Bruxellois francophones devant un choix crucial pour leur avenir. C’est pourquoi, en 1999, avec quelques amis issus de divers horizons politiques – je viens pour ma part du Rassemblement Wallon d’André Renard et de François Perin – nous avons créé le Rassemblement Wallonie-France, ainsi que son frère jumeau le Rassemblement Bruxelles-France. Seule la réunion à la France de la partie francophone de la Belgique nous permettrait de surmonter les graves problèmes économiques et politiques dont souffrent aujourd’hui la Wallonie et Bruxelles. Il ne s’agirait pas d’une annexion, mais d’une réunion librement consentie de deux peuples appartenant à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes.

Du côté flamand, la rhétorique nationaliste sert-elle avant tout à obtenir des concessions en matière de compétences régionales et sur Bruxelles ?
Nous n’en sommes plus là ! La Flandre de 2009 s’active à dessiner les frontières de son futur État, en cherchant à éviter toute contestation. C’est pourquoi la négociation dans un cadre belge n’a plus de sens sauf, pour les Wallons et les Bruxellois à se coucher encore plus bas que le niveau du sol. À l’instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l’on ne négocie pas avec un faible, mais qu’on lui impose sa volonté. J’appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l’objet même de la négociation, à savoir l’État belge lui-même.
Il vaudrait mieux s’orienter rapidement vers la seule négociation utile et raisonnable : celle qui prendra acte de la fin de l’espace politique et juridique commun ; organisera la succession d’États ; et établira des relations de bon voisinage entre l’État républicain flamand et l’État français élargi à la Wallonie et à Bruxelles.

Certains observateurs considèrent que la crise économique fait aujourd’hui passer au second plan le débat communautaire. Ils souhaitent que les responsables politiques et économiques flamands et francophones trouvent ensemble des réponses à cette crise…
On voit bien que l’État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis[2. Fortis, la plus importante banque de Belgique, a été prise, à la fin de l’année 2008, dans la tourmente de la crise financière mondiale. Les péripéties liées à son sauvetage par l’État belge et sa reprise par la BNP française ont provoqué la démission du premier ministre Yves Leterme (chrétien-social flamand) et son remplacement par Herman Van Rompuy, membre de ce même parti.] a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance – fort légitime – de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu’elles fussent politiques ou bancaires. Dans ce contexte, La Flandre ne s’accommodera pas du statu quo institutionnel. Au contraire : à l’approche du scrutin régional de juin 2009, on observera une montée des eaux nationalistes. La Flandre politique et patronale constatera que les caisses fédérales sont vides, qu’il n’y a pas de plan gouvernemental de relance, et que les changements structurels exigés par le Parlement flamand – baisse de l’impôt sur les sociétés et flexibilité accrue de la politique de l’emploi – sont combattus par les formations francophones. Les partis flamands y verront une entrave orchestrée par l’État belge pour empêcher leur région de lutter, avec ses instruments et ses moyens propres, contre la crise et le désordre international.

La plupart des hommes politiques francophones, lorsqu’on évoque le départ de la Flandre, déclarent qu’ils seraient favorables au maintien d’une « petite Belgique », qui pérenniserait la monarchie et assurerait la continuité du royaume au sein de l’Union européenne…
La classe politique est surtout soucieuse de conserver ses pouvoirs, ses privilèges et les moyens d’entretenir une clientèle – autant d’objectifs qu’elle pourrait, en théorie, atteindre dans le cadre d’une « petite Belgique » réduite à la Wallonie et à Bruxelles. Mais, à mon avis, ce projet n’a aucun fondement politique et culturel. Déjà, dans les années 1920-1930, le grand historien Henri Pirenne[3. Henri Pirenne (1862-1935), historien médiéviste, est l’auteur d’une monumentale Histoire de la Belgique.] pensait que, sans la Flandre, la Belgique n’avait pas d’avenir : ce qu’il en resterait serait trop semblable à la France.
Aujourd’hui, la Wallonie et Bruxelles ne constituent pas une nation. À la différence des nouveaux États qui se sont constitués en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, nous n’avons pas de nation wallonne, bruxelloise ou « petite belge ». Nous sommes un conglomérat d’anciennes principautés ballottées par l’Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon, au même titre qu’un Liégeois ou un Namurois. Il n’existe pas de conscience nationale belge francophone.
Si l’État belge s’évapore, nous ne pouvons être qu’une région d’un autre État-nation : la République française. De Jules Michelet à Charles de Gaulle, on a toujours considéré, en France, les Wallons comme faisant partie de la famille française. Il n’y a pas d’autre capitale commune aux Wallons et aux Bruxellois que Paris, où ils jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans les arts et la littérature…

On peut imaginer deux États différents appartenant à un même ensemble national et culturel, comme l’Autriche et l’Allemagne…
Non, car un autre problème se pose : cette « petite Belgique » ne serait viable ni économiquement ni socialement. Cet État serait en faillite avant même de commencer à fonctionner. Certains économistes ont chiffré à moins 20-25 % la diminution du niveau de protection sociale en cas de disparition de la Belgique et, par conséquent, des transferts du Nord vers le Sud. Enfin, notre classe politique à Bruxelles, et surtout en Wallonie, a montré depuis un quart de siècle une réelle inaptitude à administrer sainement la chose publique. La corruption, le clientélisme, le népotisme sont monnaie courante, et ne laissent guère augurer d’une bonne gestion de cet hypothétique royaume « petit-belge »… Le chaos pourrait s’installer au cœur de l’Union européenne.

Certains autonomistes flamands, moins radicaux que les séparatistes du Vlaams Belang[4. Le Vlaams Belang (anciennement Vlaams Blok) est un parti séparatiste et xénophobe qui s’est développé en Flandre au début des années 1980. Il représente aujourd’hui environ 20 % de l’électorat flamand.], plaident pour le maintien d’une Belgique dont les autorités fédérales seraient réduites à leur plus simple expression, l’essentiel des pouvoirs ayant été transférés aux régions. Cette « coquille vide » serait-elle viable ?
C’est ce qu’on appelle le confédéralisme – une formule qui sert le plus souvent à masquer un désir d’indépendance. Aujourd’hui, les Flamands se définissent comme « région flamande en Europe ». Lorsque le ministre belge des Affaires étrangères, le flamand Karel De Gucht, parle de « frontière d’État » pour désigner la frontière linguistique intra-belge, il ne s’agit pas d’un simple lapsus. Ces périphrases sont destinées à amortir le choc psychologique de la fin de l’État belge et à faire avaler à l’opinion francophone la pilule de l’indépendance de la Flandre. Je ne suis pas convaincu, d’une manière générale, et particulièrement en période de crise, qu’un État puisse subsister très longtemps dès lors qu’il ne contrôlerait plus des domaines aussi cruciaux que les finances, la justice, l’économie, une partie des relations internationales, la culture ou l’enseignement…
En ces temps difficiles, on ne peut pas se contenter d’un substitut d’État qui, par surcroît, n’aurait pas réglé les contentieux historiques entre les deux parties du pays : la question de l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde[5. L’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde est la seule circonscription de Belgique où les électeurs peuvent choisir de voter soit pour des partis francophones soit pour des partis flamands. Sa scission est une revendication flamande à laquelle les francophones s’opposent, car elle priverait les francophones des communes flamandes situées à la périphérie de Bruxelles – mais sur le territoire de la Flandre – de la possibilité d’élire des représentants appartenant à leur communauté linguistique.] ; celle de la nomination des maires élus dans les communes de la périphérie de Bruxelles ; et surtout le problème fondamental des frontières entre les composantes de cet État confédéral. Ce serait le meilleur moyen de pérenniser la situation actuelle : une glaciation du fonctionnement de l’État où, depuis deux ans, plus aucune initiative n’est prise, dans l’attente d’une éventuelle réforme des institutions, elle aussi bloquée…

Vos détracteurs soutiennent que les Wallons et les Bruxellois, très attachés à leur autonomie locale, ne supporteraient pas le centralisme jacobin des Français. Imagine-t-on, par exemple, un préfet d’origine corse à Liège ?
Personnellement, j’imagine très bien un préfet wallon dans le Gers ou la Corse du Sud ! La réunion avec la France représentera une ouverture vers l’extérieur pour des Wallons un peu trop confinés dans leur province. Et puis, la France d’aujourd’hui n’est plus aussi centralisée qu’elle l’était jadis, avant les lois Defferre, et elle le sera encore moins à l’avenir si l’on se fie aux propositions de la commission Balladur… Une phase de transition, d’adaptation de nos législations et de nos modes de fonctionnement pourrait être instaurée dans le domaine de l’enseignement ou des cultes. Mais, d’une manière générale, la Wallonie et Bruxelles ont tout à gagner d’une moralisation de la gestion politique locale et régionale, marquée jusqu’à présent par l’incompétence quand ce n’est pas par la corruption…

Il semble, à vous entendre, que les Belges se trouvent dans l’incapacité de régler eux-mêmes leurs problèmes. Seriez-vous favorable à une internationalisation de la « question belge » ?
Jamais dans l’Histoire les Belges n’ont réussi à prendre leur destin en main. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : en 1789, la principauté de Liège a proclamé une république indépendante. Que s’est-il passé ? L’anarchie, le désordre, l’absence d’État et, au bout du compte, la reconquête sans coup férir par les Autrichiens. La deuxième tentative – la formation, en 1831, de la Belgique indépendante – a été apparemment plus fructueuse. Mais la bourgeoisie belge qui a fait la « révolution » (un bien grand mot pour des événements mineurs !) en chassant les Hollandais, n’a pas été capable de mettre elle-même sur pied un État belge. C’est par la volonté des puissances européennes, au premier rang desquelles la France et l’Angleterre, que cet État a fini par voir le jour. Les partenaires européens ne peuvent pas se désintéresser du sort de la Belgique.

Aujourd’hui, on serait plutôt dans la situation inverse : ces mêmes puissances et les autorités européennes verraient d’un mauvais œil l’éclatement de la Belgique et pourraient même s’y opposer en vertu du principe d’intangibilité des frontières au sein de l’Union européenne…
Quelles autorités européennes ? Et au nom de quels principes ? Depuis 1989, plus de quinze nouveaux États sont nés sur notre continent tandis que d’autres, comme la RDA, ont disparu. La plupart des capitales, et l’Europe dans son ensemble, sont restées passives, voire complices, devant ces implosions. Elles ont hésité entre deux principes contradictoires : le droit sacré des peuples à l’autodétermination et la stabilité des frontières étatiques. Si le droit des peuples l’a emporté, ce n’est pas parce que l’Europe a imposé la solution la plus vertueuse, mais parce qu’elle n’avait ni la volonté ni la force de dire non. Je suis persuadé que l’Allemagne ne s’opposera pas aux souhaits des Wallons et des Bruxellois. Elle se souviendra de la loyauté de Paris, qui acquiesça sans réserve à la réunification de 1990. Quant à la Grande-Bretagne, elle ne protestera que pour la forme. L’Europe a intérêt à ce que la crise belge trouve une issue pacifique et que tout risque de chaos soit écarté. Le rattachement à la France constituera un facteur de stabilité évident.

À propos de l’Allemagne, que deviendrait la communauté germanophone des cantons de l’Est dans l’hypothèse d’une intégration de la Wallonie à la France ?
Les 70 000 habitants de ces cantons seraient, eux aussi, appelés à se prononcer via un référendum d’autodétermination. Sans préjuger de leur choix, il pourrait leur être proposé trois options : le rattachement à la République fédérale, l’intégration au Luxembourg ; ou bien le maintien au sein d’une région wallonne devenue française, avec des aménagements du type de ceux en vigueur en Alsace-Moselle.

Et la minorité flamande de Bruxelles ?
Son statut devra être négocié dans un cadre général de protection des minorités linguistiques à Bruxelles, mais aussi en Flandre, où résident quelque 90 000 francophones, hors des communes dites à « facilités » de la périphérie bruxelloise. Ces derniers ne bénéficient aujourd’hui d’aucun droit à faire usage de leur langue dans les services publics, contrairement aux Flamands de Bruxelles. Je suis également favorable à la signature d’un grand traité culturel tripartite, par lequel la France, la Flandre et les Pays-Bas s’attacheraient à promouvoir les échanges linguistiques et culturels.

Comment expliquez-vous le hiatus entre l’écho rencontré récemment par vos idées – près de la moitié des Wallons et Bruxellois seraient favorables au rattachement à la France en cas d’éclatement de la Belgique – et la modestie de vos résultats électoraux ?
Il y a d’abord l’ostracisme dont notre mouvement est victime de la part des grands médias belges francophones depuis sa création en 1999. La radio et la télévision publiques sont verrouillées par des directeurs nommés par les partis politiques au pouvoir, notamment le PS, qui est farouchement hostile à nos idées. Entre parenthèses, il me paraît quelque peu indécent de voir le PS belge critiquer la nomination du président de France Télévisions par le Conseil des ministres, quand on sait comment ses dirigeants se comportent en la matière…
Le peuple wallon et bruxellois francophone nous connaît et nous estime, car nous ne sommes ni des extrémistes ni des excités. Il adhère de plus en plus à nos idées mais, pour l’instant, il nous considère un peu comme le médicament qu’on garde en réserve dans l’armoire à pharmacie au cas où les choses tourneraient mal…
Dans les circonstances actuelles, les choses peuvent bouger très vite, y compris sur le plan électoral. Je constate également que l’opinion française est majoritairement disposée à nous accueillir dans la République : les sondages nous sont particulièrement favorables dans les régions frontalières, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Champagne-Ardenne. Les dirigeants français ne peuvent pas ignorer cette évolution des esprits de part et d’autre de la frontière. Il est grand temps qu’ils se mettent à lire la crise belge avec d’autres lunettes que celles que leur tend la classe politique de Wallonie et de Bruxelles !

Paul-Henry Gendebien est l’auteur de Wallons et Bruxellois, ensemble avec la France !, éditions Cortext, 2008. Paraîtra un article de Luc Rosenzweig sur la situation politique en Belgique dans le n°123 de Politique Internationale, disponible en librairie le 11 mai 2009.

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Frappe chirurgicale

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babouse

À l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), l’équipe du professeur Lantiéri a greffé une partie du visage et des deux mains sur un homme âgé de 30 ans. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son Carnet : Babouse de là !

Ils étaient où, les patrons ?

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Personne n’a remarqué que l’unité syndicale exceptionnelle ayant présidé à l’organisation des défilés de ce 1er mai 2009 n’était pas totale. On avait beau scruter les images des cortèges de nos villes, pas trace de délégation du Medef ou de la CGPME ! Et pourtant les patrons, grands et petits, sont comme tout le monde des victimes de la crise ! Et ils en avaient, des choses à dire, si l’on en croit les récentes prises de position de leurs organisations représentatives. On aurait pu voir, par exemple, une grande banderole : « Le Medef avec les travailleurs contre les patrons voyous ! » Assis dans le coffre ouvert d’une Vel Satis conduite par son chauffeur habituel, Gérard Mestrallet, qui fut de gauche avant de diriger Suez, lance les slogans dans son mégaphone : « Bouton, t’es foutu, le Medef est dans la rue ! », « Stock-options, piège à cons ! », « Pas de bénef, pas de bonus, les patrons sont pas des buses ! », etc. L’état-major de Bouygues serait venu au grand complet avec ses pancartes calligraphiées au minorange : « Des lits avec du ciment ! », faisant écho au « Pas de licenciements ! » de la CGT, « Sarko laisse béton ! » Laurence Parisot a raté une bonne occasion de ne pas se taire !