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Agent Rimbaud, taisez-vous !

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On sait depuis le papier de Gil Mihaely le triste sort de nos deux agents enlevés par les pirates somaliens. On ne peut que s’inquiéter pour leur libération quand on se rend compte de la piètre qualité et de la motivation inexistante de nos honorables correspondants dans la région. Parmi eux, un certain Arthur Rimbaud, plus ou moins marchand d’armes à Aden et dans le Harar, pédéraste notoire et, paraît-il, ayant connu une carrière d’obscur poète dans les milieux anarcho-autonomes durant sa jeunesse, semble motivé uniquement par l’appât du gain et aucune considération patriotique. En effet, dans une des lettres qu il adresse à sa famille, il ose écrire : “J aime mieux ne rien faire que me faire exploiter” (Aden, 22 septembre 1880). Il ne manquerait plus que de tels propos, tombant dans de mauvaises oreilles, deviennent le mot d’ordre des salariés lors de la rentrée sociale.

Non à l’impôt catalytique

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Heureusement que Michel Rocard ne pratique pas le jogging, car son hyperactivité – ambassadeur polaire, commissaire à la taxe carbone et au grand emprunt national, en sus des innombrables colloques, congrès et symposiums auxquels cet octogénaire se fait un devoir de participer – n’a rien à envier à celle du président de la République.

L’ancien Premier ministre s’est remis dans les habits de l’inspecteur des Finances qu’il fut avant d’entrer en politique pour plancher sur l’élaboration de cette fameuse taxe carbone qui fait partie du « paquet » adopté par le Grenelle de l’écologie.

Le principe en est simple et repose sur la fameuse formule du pollueur-payeur.

L’utilisateur de combustibles fossiles – essence, diesel, gaz naturel, charbon – serait taxé en fonction des émissions de CO2 produites au cours de ses déplacements et pour le chauffage de son habitation. Des formules mathématiques complexes (au moins pour l’auteur de ces lignes) ont été mises au point pour évaluer le CO2 rejeté dans l’atmosphère par ces divers combustibles.

Voilà qui est bel et bon, écologiquement vertueux et politiquement correct dans un contexte où le rabâchage apocalyptique environnemental est électoralement payant.

On négligera, bien sûr, de faire valoir que la ponction opérée sur le budget des ménages d’un pays qui représente moins de 1% de la population mondiale et guère plus en pourcentage de C02 émis réduira en proportion les gaz à effet de serre dans l’atmosphère. De faire remarquer que notre cheptel de bovidés roteur et péteur pourra continuer de propulser sans bourse paysanne délier son méthane dans l’éther, dans des quantités qui n’on rien à envier, paraît-il à celles de notre parc automobile…

Cohn-Bendit a tranché : cette taxe est ré-vo-lu-ti-on-aire et c’est un expert qui vous parle. Sarko est, de surcroît, prié par Dany de ne pas reculer sous peine de passer pour une lavette.

Dans l’espace rural que je fréquente assidument, puisque j’y demeure, cette actualité fiscale a provoqué un enthousiasme, disons, modéré. Le climat rude de nos montagnes est facteur d’utilisation intense de combustible pendant l’hiver, et le manque de transport en commun impose l’utilisation de l’automobile en toute circonstances : aller à son boulot, faire ses courses, se cultiver, faire du sport.

Il n’est pas question, pour l’instant, d’une mise en place simultanée de la taxe et de solutions alternatives efficaces pour compenser les effets de la taxe carbone sur les revenus des ménages, comme des transports en commun performants et attractifs.

Dans ces espaces, seuls les inactifs aisés dans mon genre auront les moyens d’échapper à un impôt qui frappera de plein fouet les ménages modestes, astreints à des déplacements parfois longs pour leur travail et logeant dans des immeubles construits à une époque où l’on se fichait des économies d’énergies comme du prix du baril…

On veut me taxer le diesel de ma bagnole ? M’en fous, vais changer pour une hybride japonaise à 25 000 euros. On me pique du blé chaque fois que j’ouvre le gaz pour me chauffer ou faire mijoter des petits plats ? Rien à cirer, je vais installer une chaudière à bois, où brûleront des bûches de mes forêts ou de celle de mon voisin achetées sans factures et ni taxes.

Dans le registre ubuesque qui accompagne cette agitation autour de la taxe carbone, l’idée d’un « chèque vert » remboursable sous conditions de revenus et de conditions de vie est une nouvelle preuve des insanités qui peuvent émerger de cerveaux pourtant réputés bien faits, comme ceux des inspecteurs des Finances. On vous pique du blé, puis on vous le rend, non sans avoir, au passage créé une nouvelle bureaucratie chargée de collecter, et une autre chargée de redistribuer le montant de cette nouvelle taxe. Et si on commençait par ne pas la prélever sur ceux qui en seraient remboursés, ça serait trop simple ?

Il n’est pas besoin d’être un fin stratège politique pour sentir que cette taxe recèle un potentiel politiquement explosif, dont Cohn-Bendit à des raisons de se réjouir, pour autant qu’il ne paiera pas les pots (d’échappement) cassés. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement et du président dont on observera avec une attention gourmande la manière dont ils vont se sortir du piège vert.

Ségolène rassurée

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Ouf ! Le temps passait et rien ne venait. La boite aux lettres de Ségolène restait désespérément vide depuis son accord secret avec Martine Aubry, qu’elle laisse tranquille tant que le PS défraie la Poitevine, devenue représentante du PS à l’Internationale socialiste. Elle en finissait par se perdre de vue, notre Eva Peron, à ne plus se voir dans les miroirs pixelisés des télévisions aux ordres. Elle allait finir par se croire de gauche, si ça continuait. Heureusement, au coeur de l’été, une balle de 9 mm et une lettre de menaces sont arrivées au Conseil régional de Poitou-Charentes. On sait aujourd’hui que le meilleur marqueur politique pour distinguer droite et gauche est ce type d’envoi qui n’avait jusque-là touché que le président de la République et des parlementaires de sa majorité. Rassurée, Ségolène se sait de droite : elle en a la preuve par neuf.

L’Affaire Copernic

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Que faisiez-vous le 3 octobre 1980 ? Et d’abord, cette date vous dit-elle quelque chose ?

C’est peu probable : dans le présent perpétuel imposé par le temps médiatique, l’amnésie est programmée. Elle ressemblait à quoi, d’ailleurs, la France d’octobre 1980 ? Si proche, si lointaine… Une France avec des cabines téléphoniques à pièce, des R5 orange, trois chaines télé et Véronique Jeannot en assistante sociale qui faisait fantasmer les adolescents en pantalon de velours milleraies. Ah, on allait oublier : Giscard était président et il était certain de remporter une victoire facile au mois de mai de l’année suivante. Pensez-vous, en face, on n’avait à lui opposer qu’un François Mitterrand usé, vieilli, fatigué, à la tête d’une gauche désunie, d’un PS qui ne se remettait pas de l’insurrection ratée de Rocard et d’un PCF qui ne croyait plus trop à l’union de la gauche. L’Etat-UDF était là pour dix ans, au moins.

Il y avait bien cette montée du chômage consécutive au deuxième choc pétrolier, ce Chirac et ses archéo-gaullistes qui criaient à la trahison devant l’intégration européenne, cette inflation à 14% mais enfin on avait pour Premier ministre le meilleur économiste de France, un certain Raymond Barre, qui voyait tous les matins le bout du tunnel. On en avait fini avec les gauchistes de 68. Durant la décennie précédente Marcellin les avait traqués, fichés, embastillés. Les ex-maos commençaient leur reconversion dans la finance, la presse, les instances patronales.

De toute manière, ils n’avaient jamais représenté un vrai danger terroriste, ces couilles molles de la Gauche prolétarienne, en refusant la lutte armée contrairement à leurs camarades italiens ou allemands. Les Années de plomb, c’était bon pour Berlin ou pour Rome. Chez nous, les plus dangereux, ceux d’Action Directe n’étaient qu’une poignée et la plupart étaient en taule. Non, vraiment, on ne risquait rien. Finalement, c’était le rêve, la France de 1980 et, comme dans la chanson de Nino Ferrer, ça aurait pu durer au moins un million d’années.

Seulement voilà, le 3 octobre 1980, à 18 h 48, au 24 de la rue Copernic, dans le XVIe arrondissement, une bombe explose devant une synagogue. C’est soir de shabbat et aussi le lendemain de simhat torah, la fête de la joie. Raison pour laquelle près de trois cent personnes sont venues assister à la cérémonie. La plupart appartiennent à une obédience plutôt modérée, éclairée, celle de l’Union libérale israélite de France. La synagogue, à l’occasion est fréquentée par Simone Veil ou Robert Badinter.

À l’intérieur, c’est la panique. Du verre entaille les chairs, les faux plafonds s’effondrent. Il y a des blessés, beaucoup.

À l’extérieur, comme l’écrivent Jean Chichizole et Hervé Deguine, les auteurs de L’affaire Copernic, « c’est Beyrouth sur Seine , avec une colonne de fumée dépassant les immeubles environnants et des voitures projetées sur la chaussée comme des jouets d’enfants. » On relèvera quatre morts, un étudiant à moto, une journaliste israélienne, le chauffeur d’une famille présente dans la synagogue et le concierge de l’hôtel Victor Hugo. Il faut dire que les terroristes n’ont pas lésiné. 10 kilos de pentrite, un explosif militaire dans une Suzuki bleue. La bombe a évidemment explosé trop tôt : elle était prévue pour faire un véritable carnage au moment de la sortie de la synagogue.

L’affaire Copernic est un livre qui, au-delà de son aspect documentaire qui évoque e un roman d’espionnage, a le mérite de remettre cet événement en perspective et de demander si finalement, il ne s’agirait pas là d’une date tragiquement fondatrice, celle qui fait passer d’un monde à l’autre sans qu’on en prenne forcément conscience sur le coup. Il y a les dates évidentes, choc pétrolier, arrivée de la gauche au pouvoir, chute du Mur et puis il y a aussi ces dates apparemment moins importantes et dont les lignes de forces, pourtant, sont souterraines et se répercutent jusqu’à aujourd’hui.

Pour les deux auteurs, cet attentat marque une rupture. C’est lui qui fait entrer la France dans l’âge du terrorisme international, celui qui va toucher régulièrement le pays que ce soit avec l’attentat de la rue des Rosiers en 1982, ceux de l’automne 86 qui culminent avec l’explosion devant la Fnac de la rue de Rennes, celui de la station RER Saint Michel en août 95 ou de Port Royal en décembre 96.

Presqu’une habitude, en fait, au point que l’on trouve miraculeux de ne pas avoir (encore) été touché par les répliques européennes du 11 Septembre, Madrid 2004, Londres 2005…

Se pencher sur l’attentat de la rue Copernic, c’est donc se pencher sur l’origine du mal.

La première chose qui surprend, dans le récit de Chichizola et Deguine, c’est la maladresse politique du pouvoir de l’époque. Raymond Barre, par exemple, dont le premier commentaire sur l’événement est de l’ordre du monstrueux lapsus : « Je rentre de Lyon plein d’indignation pour cet attentat odieux qui voulait frapper les juifs se trouvant dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. » Des Français innocents… Ou encore le Président de la république qui ne fera part de son émotion que le 8 octobre, soit cinq jours plus tard.

Comme quoi on a oublié que la France de ces années-là avait à sa tête une droite, celle des républicains indépendants comme on disait alors, dont l’ADN politique puisait plutôt du côté de Vichy et d’Uriage que de Londres, et qui n’hésita pas de surcroît à recycler en jeunes loups modernistes les anciens d’Occident. L’antisémitisme, à l’époque, n’était donc pas franchement celui des banlieues des années 00 mais faisait partie du charme discret d’une certaine bourgeoisie libérale et technocratique. C’est Alain de Rotschild d’ailleurs, président du Crif à l’époque, qui s’indigne de « la passivité des pouvoirs publics devant le terrorisme international. » Et Simone Veil elle-même, ministre de la Santé, prise à partie par des manifestants, est obligée de reconnaître qu’elle regrette « la relative discrétion du gouvernement. »

Pourtant, à la base, loin des timidités des politiques, un flic va faire son boulot et va bien le faire. Il s’agit de Marcel Leclerc, le patron de la Crim. Il va d’abord explorer la piste la plus évidente, celle d’un attentat néo-nazi. Il y avait alors un grand revival de la croix gammée en Europe. On s’occupait tellement du terrorisme rouge qu’on en avait oublié le noir qui se révélait pourtant beaucoup plus aveugle, beaucoup plus meurtrier et ouvertement antisémite : le 2 août 1980, ce sont 80 morts en gare de Bologne et le 26 septembre de la même année, 13 morts et 200 blessés à la fête de Munich. Pour la presse française dans son ensemble et pour une bonne partie de la classe politique, Copernic s’inscrit dans cette liste. On a même un groupe sous la main, la Fane (fédération d’action nationaliste européenne) dirigé par Marc Fredriksen déjà poursuivi pour délit de presse, Fane devenue FNE (faisceaux nationalistes européens) après sa dissolution.

La piste est d’autant plus délicate que ce groupuscule est composé de pas mal de policiers dont on ne sait plus s’ils sont infiltrés et sympathisants. Et pour arranger le tout, le nouveau chef des FNE croit intelligent de revendiquer l’attentat alors qu’il apparaît assez vite qu’il en est logistiquement incapable. Leclerc, même si ça ne plaît pas montre que tout ça ne tient pas.

Reste donc la piste internationale, c’est-à-dire, parlons clair, arabe, c’est-à-dire palestinienne, via Chypre et le Liban. Problème : la diplomatie française est d’une prudence extrême dans la région et refuse que les enquêteurs français aillent sur le terrain, à Beyrouth. Et puis Ibrahim Souss, représentant de l’OLP à Paris et Arafat lui-même ont condamné sans ambiguïté l’attentat. Seulement voilà, une scission du FPLP de Habache, le FPLP-CS apparaît alors comme la piste la plus sérieuse. L’affaire est confiée à la DST.

On ne retracera pas ici toutes les péripéties d’une enquête de vingt huit ans qui semble s’être provisoirement terminée en octobre 2008 avec l’arrestation d’un très respectable professeur de sociologie d’Ottawa, d’origine libanaise, par la police montée canadienne. Il y aurait de quoi, en effet, dans ce livre, faire le bonheur terrifié d’un John Le Carré.

Il faut le lire, peut-être pour cela, et aussi pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui à savoir notre capacité à vivre, en permanence, avec l’idée du terrorisme de masse comme une éventualité, voire une probabilité. Et que cela, dans l’inconscient français, ne remonte pas au 11 septembre 2001 mais bien à un certain 3 octobre 1980.

Ce soir-là, pourtant, il semblerait, d’après les archives de la météo nationale, que la température ait été exceptionnellement douce.

Variations saisonnières

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Enfin une bonne nouvelle concernant l’un des fléaux de notre temps : la violence en milieu scolaire, qui jusque là n’a cessé de s’accroître – rappelons-nous de l’intrusion au lycée de Gagny le 10 mars dernier. Après cet incident très médiatisé, le gouvernement avait décidé de prendre le problème à bras le corps, avec un plan ad hoc cosigné par les ex-ministres de l’Education nationale et de l’Intérieur, Xavier Darcos et Michèle Alliot-Marie. Eh bien, ça marche ! Des données récemment recueillies montrent clairement une baisse significative, voire une chute, de ce type de délits dans la plupart des établissements, y compris dans des zones réputées « sensibles ». Mais ne crions pas victoire trop tôt : les spécialistes craignent que cette accalmie, constatée depuis le 30 juin ne prenne fin dès le début du mois de septembre.

Debré : « H1N1 : laissez pisser ! »

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Ne le répétez pas à Juliette Gréco : j’adore les dimanches. Se lever à 7 heures, descendre sur le boulevard, commander un café à la terrasse du coin, écouter la blague dominicale du garçon – toujours la même – et ouvrir le Journal du Dimanche, il n’y a pas mieux dans la vie.

Pas mieux, sauf agoniser dans son grabat, expectorer comme pas permis et se lamenter, entre deux souffles rauques, sur son pauvre sort : « Le médecin m’a dit que c’était une angine, mais je le connais bien, il n’a pas voulu m’alarmer, j’ai H1N1, je l’ai vu à la télé, fièvre, céphalée, maux de gorge, grouinements intempestifs, tous les symptômes sont là, je vais crever, pas de doute, j’aurais dû mettre un masque. » Et puis le miracle : on ouvre le Journal du Dimanche et on y lit une interview de Bernard Debré qui déclare, en substance, que la grippe H1N1 n’est pas dangereuse, que les pouvoirs publics en font beaucoup trop et que tout ça ne vaut pas le premier rhume venu. Atchoum ? À vos souhaits !

On bondit alors du lit, on tousse un grand coup et on répète la leçon du professeur Debré : « H1N1, laissez pisser ! » Le plus grand urologue de Paris a parlé ; personne n’ira le contredire.

Sauf que, dans la vraie vie, quelqu’un qui irait consulter un urologue pour soigner sa grippe aurait vite fait de finir aux urgences psychiatriques. Nous tenons donc à affranchir nos confrères du JDD : le nez, la gorge et les oreilles ne se situent qu’à de très intimes et agréables occasions au niveau des organes dont l’urologie traitent les affections. En permanence, ce serait du vice.

Cependant, Bernard Debré a raison. On nous rebat tellement les oreilles avec la pandémie de grippe porcine que nous serons morts d’une otite médiatique avant d’avoir contracté le virus H1N1. Il n’est pas un jour sans que le sacro-saint principe de précaution n’apporte avec lui son lot de nouvelles ridicules : ces jours-ci, ce sont des adolescents français que l’on a mis en quarantaine dans un collège de la région parisienne et que l’on a exhibés, masqués, au Journal de 20 heures.

Plus édifiant encore : en Grande-Bretagne, l’Eglise anglicane a pris cette semaine des mesures à la hauteur de la pandémie. Elle a fait vider les bénitiers de ses paroisses afin de limiter la contamination des fidèles qui n’auraient pas manqué pour faire leurs dévotions de s’asperger, les cons, de H1N1 béni. Si les curés commencent à douter de Dieu pour placer au-dessus de Lui le principe de précaution, c’est que l’heure du Jugement a sonné.

Cette pandémie a des airs apocalyptiques, mais d’une apocalypse où tout le monde se mettrait à sonner de la trompette tandis que l’Ange exterminateur serait un cul-de-jatte aux petits bras : 800 morts au niveau mondial depuis l’apparition de la grippe A, quand la grippe saisonnière vous produit quelques milliers de macchabées annuels simplement en France ! Le rendement mortuaire de cette pandémie-là n’est pas au rendez-vous.

Pourquoi donc tant de bruit pour, apparemment, si peu de choses ?

Cela tient certainement à l’histoire et à la structure de la veille sanitaire mondiale : la grippe est, pour ainsi dire, la raison d’être de l’OMS. Du moins, c’est à cause de la grippe espagnole de 1918 et de ses dizaines de millions de morts (beaucoup plus que la Première Guerre mondiale elle-même) qu’a été créé le Comité d’Hygiène International, embryon de la future Organisation Mondiale de la Santé. Le système sanitaire international a alors été entièrement conçu pour affronter les pandémies grippales – ce qui explique d’ailleurs parfois ses insuffisances dans d’autres domaines. Autant le dire : si la grippe actuelle était la même que celle de 1918, la réaction de l’OMS aurait été totalement justifiée.

Mais l’hyperactivité de l’OMS sur la grippe A n’aurait produit aucun effet sans le suivisme des Etats. Depuis le début de la « crise », tous les gouvernements se sont pliés aux recommandations de l’Organisation mondiale, sans jamais trop rechigner, parfois en les devançant. Certes, on peut critiquer ce panurgisme, mais il faut savoir ce que l’on veut de nos gouvernants : quand ils ne sont pas assez diligents en matière de santé publique, on les accuse de tous les maux ; quand ils le sont trop, on les accuse aussi.

Le souvenir de la canicule de 2003 est dans tous les esprits de la classe politique : personne n’envie le destin de Jean-François Mattei. Encore qu’on serait bien inspiré de se demander si l’ancien ministre n’a pas joué un peu trop vite le rôle du bouc émissaire dans cette histoire-là. Quand des petits vieux crèvent chez eux, est-ce la faute du ministre de la Santé ou celle d’une société qui appelle « séniors » ses vieillards pour ne plus aller les visiter ? En 2003, nos vieux ne sont pas morts des effets de la canicule, mais de la solitude et de l’abandon.

Bref, c’est le ministre qui a toujours tort. Et l’ancestral adage est avéré : il vaut mieux être malade ou mort que ministre de la Santé et en tailleur rose. Quel que soit le scénario, c’est la faute au ministre.

Ce qui peut, enfin, expliquer, l’hyper-vigilance de l’OMS comme des Etats sur cette affaire-là, c’est la grande inconnue que nous promet la grippe A dans les prochains mois. Selon certains virologues, le virus pourrait encore muter. Dans le meilleur des cas, on s’en sortira avec du paracétamol. Dans le pire, avec les pieds devant.

L’iPhone aphone ?

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SFR, Orange et Bouygues se livrent depuis un mois à une guerre publicitaire géante. L’objet en est la dernière version de l’iPhone d’Apple, le 3GS, chacun nous expliquant que c’est bien sûr chez lui et pas chez le méchant voisin qu’il faut se procurer le petit bijou. Comme d’habitude dans ces cas-là, difficile de comparer les offres absconses des trois opérateurs, même quand on a un mois de congés pour se plonger dans les clauses restrictives et les notes en bas de pages. Mais pour une fois, le choix sera moins complexe qu’à l’accoutumée, il existe un point de comparaison objectif, où les trois grands sont d’ailleurs à égalité : chez SFR, chez Orange et chez Bouygues, le nouvel iPhone est en rupture de stock, et donc totalement indisponible…

Les vrais-semblants de Mehdi Belhaj Kacem

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Qu’est-ce que l’ironie ? C’est la question que pose Mehdi Belhaj Kacem dans Ironie et vérité, le deuxième tome de L’esprit du nihilisme, imposante entreprise philosophique en cinq tomes à laquelle il travaille depuis quelques années.

L’ironie est d’abord, selon lui, « le trait anthropologique et « psychologique » dominant du nihilisme démocratique occidental. » « La jeunesse est rigolarde et dépressive, morne et jouisseuse », écrit-t-il. Très justement, il estime que l’ironie de masse contemporaine est « profondément mélancolique, et même dépressive. » Il rejoint là, ironiquement, des vérités énoncées également par deux infâmes réactionnaires qu’il honnit : Houellebecq et Beigbeder, qui avaient déjà pressenti dans nos overdoses de second degré sans issue la dernière marche précédant le suicide.

Mehdi Belhaj Kacem s’en prend à raison au « type d’énonciation obligatoire qu’est l’autodérision imprescriptiblement préalable à la dérision de tout ce qui existe », à l’ironie transformée en « l’impératif catégorique ». Il écrit encore : « Nous faisons semblant de faire semblant d’être dupes, nous « jouons » les dupes d’un air « dégagé », et c’est ainsi que nous le sommes vraiment. »

Simultanément, Ironie et vérité comporte un éloge de « la grande ironie », celle de Kierkegaard, des romantiques allemands et de la grande veine de l’ironie française, celle de Marivaux et Diderot avant tout. « Esprit français, défendons-nous », écrit-il en une sentence que les « innommables lecteurs réactionnaires de Causeur » apprécieront.

Refusant de s’en tenir à la dénonciation pure et simple de l’ironie contemporaine, il note avec acuité que « tout le monde est spontanément porté à saisir sa vérité propre, hors même de tout regard extérieur, par l’ironie et l’autodérision. » Il soutient, en dernier lieu, que « la vérité, de toujours, est elle-même de structure ironique, […] la structure de l’ironie étant celle qui ne force pas la vérité à s’avouer, mais la laisse à sa caractéristique ontologique majeure, qui est son indécidabilité. »

Cette dernière thèse, probablement la plus importante aux yeux de l’auteur, m’est demeurée hélas, au terme de la lecture de son opuscule, parfaitement incompréhensible. Car s’il est l’héritier de Lacan, Deleuze, Derrida et Badiou pour le meilleur, il l’est aussi pour le pire : par ses difficultés à s’arracher à la jouissance d’être incompréhensible, par laquelle il gâche des talents de pensée et d’écriture exceptionnels.

Presque tous ses textes, dont certains sont splendides (notamment, dans Society, ceux sur le coup de foudre et la pornographie), sont écrits comme au fil de l’inconscient. Il s’engage dans des questionnements passionnants, mais laisse chacun en suspens, l’abandonne presque toujours en cours de route. Il procède en intriquant et en traitant simultanément une telle multiplicité de questions qu’il est naturellement impossible de le suivre. Ces questions, qui comportent déjà leur difficulté intrinsèque, pourraient aisément être abordées de manière successive, pour épargner au lecteur une difficulté, elle, parfaitement artificielle.

En outre, les démonstrations de Mehdi Belhaj Kacem sont trop souvent interrompues par des règlements de compte personnels avec tel ou tel philosophe contemporain, dans lesquels toute rigueur philosophique est abdiquée. Dans Ironie et vérité, c’est le cas notamment avec Baudrillard et Tiqqun, dans des pages très piteuses où la confusion atteint son sommet et où l’auteur prétend réfuter des thèses qu’il n’est pas même capable (ou du moins le feint-il) d’exposer de manière cohérente et fidèle.

Mehdi Belhaj Kacem se refuse par ailleurs presque toujours à définir rigoureusement ses concepts avant d’en user. Il estime peut-être que tout ce qui est, même vaguement, linéaire, est par là même nécessairement réactionnaire et haïssable. Cela me semble faux. Enfin, je trouve dommageable à sa pensée son recours très fréquent à l’argument d’autorité (du genre : Lacan l’a dit, donc c’est vrai), quel que soit le coefficient d’ironie dont cet usage peut être affecté, ainsi que sa tendance à céder plus qu’à son tour au « prestige de la belle formule », incompréhensible de préférence.

En dépit de tout cela, il y a beaucoup de belles pages dans Ironie et vérité, sur Socrate par exemple, ou sur la pièce tardive de Marivaux Les acteurs de bonne foi. Hélas, Mehdi Belhaj Kacem réserve pour finir à l’ironie le même sort qu’à ses autres concepts. Il en propose plusieurs définitions manifestement (ironiquement ?) contradictoires entre elles, en laissant à la perspicacité du lecteur le soin de les articuler elle-même – c’est-à-dire de faire son boulot dialectique à sa place. Son ouvrage ne propose ainsi aucun critère distinctif permettant de discerner pourquoi la « grande ironie » est grande, et vraie, et pourquoi « l’ironie de masse » ne l’est pas. Si ce qu’il nomme « l’indiscernable » ou « l’indécidable » de la vérité, ce sont cette confusion et cette overdose de paradoxes, je ne peux que m’inscrire en faux contre son concept de vérité.

Mehdi Belhaj Kacem est l’un des êtres les plus doués de sa génération. Son talent mérite beaucoup mieux. Puisse-t-il guérir promptement de ses overdoses d’abysses, briller moins afin d’éclairer davantage le vulgaire – ses frères mortels.

L'esprit du nihilisme: Tome 1, Ironie et vérité

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Parle à mon cul, ma tête est malade !

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J’ai parmi mes proches beaucoup d’hommes et de femmes qui ont suivi une psychanalyse. Certains en suivent encore. Je n’ai pas remarqué que mes amis à psy étaient plus équilibrés, plus chanceux en amour ou s’entendaient mieux avec leur mère que mes amis sans. Cela doit-il nous amener à remettre en cause la supériorité des thérapeutes occidentaux sur les marabouts africains ? Cela mérite peut-être une étude. Dans l’ensemble, je n’observe pas que les gens quittent le divan en meilleur état mental qu’ils ne l’étaient en entrant, mais on me dit que sans analyse ce serait pire, je veux bien le croire.

Tout ceci reste bien mystérieux pour moi et je ne m’étendrai pas sur une question dont j’ignore presque tout. L’économie que je réalise en me passant de psy doit suffire à mon bonheur et je n’ai pas d’opinion sur cette science, en tout cas quand elle s’exerce entre adultes consentants. Mais il arrive que certains praticiens dépassent les bornes. Le Dr Daniel Cosculluela, psychiatre de 52 ans, dont le procès a fait l’actualité d’un soir le mois dernier a pris 12 ans de réclusion et une interdiction d’exercer définitive pour avoir abusé sexuellement de quatre de ses patientes.

Mettre sous hypnose de pauvres femmes crédules qui se déshabillent avant de s’allonger sur le divan, pour mener une introspection à leur insu, ce n’est pas joli, joli et le docteur aurait pu se contenter de sa Porsche pour les amadouer et arriver à ses fins. Ses pratiques l’ont mené en prison et la justice a été rendue, ne revenons pas sur la condamnation.

Pourtant, l’énoncé des accusations portées contre le satyre m’a laissé un peu perplexe. Le docteur était accusé d’avoir « placé ses patientes par des pratiques inhabituelles dans un état de dépendance susceptible d’altérer leur volonté pour leur imposer des relations sexuelles ».

Jusqu’à présent, personne n’a porté plainte contre moi mais depuis le verdict de ce procès, je suis inquiet. Pourrais-je un jour être trainé en justice par une femme ou pourquoi pas quatre pour les avoir « placées dans un état de dépendance », ou pour avoir « altéré leur volonté afin de leur imposer des relations sexuelles » ? Je croyais qu’il fallait précisément altérer les volontés pour obtenir des relations sexuelles sans avoir à les imposer. Je tenais même cette condition comme une règle de base de la séduction. Comment faire pour mettre une femme dans son lit la première fois sans promesse de lendemain ni de sentiments et sans avoir au préalable altéré un peu sa volonté ? Comment la faire revenir sans la placer par des pratiques inhabituelles pour elle dans un état de dépendance ? Sommes-nous menacés par nos habitudes de séduction ? Devrons-nous adopter de nouvelles pratiques plus conforme à la législation ?

Tous les rites de la relation amoureuse, toutes les preuves de cet amour qu’on nous réclame à cor et à cri, des fleurs de la Saint Valentin au week-end romantique, à quoi servent-ils sinon à altérer la volonté et placer en état de dépendance ? La déclaration d’amour, cette arme fatale pour la volonté du sexe faible et redoutable pour s’assurer sa dépendance devra-elle être placée sous contrôle judiciaire ?

Autre chose, les pratiques inhabituelles ainsi que la mise en état de dépendance dont on accuse le psychiatre dans cette affaire peuvent-elles être entendues au sens sexuel du terme et être retenues à charge dans d’autres contextes que celui d’une thérapie? Serons-nous jugés pour nous être livrés à des pratiques sexuelles inhabituelles plaçant des femmes dans un état de dépendance sexuelle afin de leur imposer des relations sexuelles ?

Là, ça devient très inquiétant. Serons-nous demain montrés du doigt pour les talents qui nous valent d’être convoités aujourd’hui ? L’état de dépendance de nos amoureuses nous sera-t-il un jour reproché ? Devrons- nous modérer nos prouesses pour échapper à des poursuites judiciaires ?

Evidemment, tout est question d’interprétation mais la judiciarisation de la société française et la féminisation de la magistrature ne me rassurent en rien. Je ne me sens pas à l’abri d’une juge d’Outreau. Exposés par la législation à la vengeance de femmes trompées ou désaimées, regretterons-nous un jour l’âge d’or d’avant les procès, celui des cris et des gifles, quand les filles hystériques savaient ne pas se tenir ?

Mais c’est sans doute pour les femmes que le risque est le plus grand. Une justice qui leur interdirait d’altérer les volontés des mâles et de les placer en état de dépendance sonnerait le glas du règne féminin. Et nous, les hommes, qui ne vivons que dans l’espoir de voir nos volontés altérées et dans l’extase de notre dépendance, en serions les premières victimes. En fait le danger de cette jurisprudence nous menace tous. Les uns et les autres, ne poursuivons-nous pas toute notre vie la quête de ce pays merveilleux ou les volontés s’anéantissent et ou la dépendance est totale ? Ne courrons-nous pas tous après ce trouble de l’âme ou la dépendance a remporté sur la volonté une victoire écrasante ? Ne cherchons-nous pas tous l’amour ?

Défendons ensemble, main dans la main, nos droits à vivre en esclaves, à faire le contraire de ce que l’on veut et à ne plus pouvoir nous passer les uns des autres, si nous voulons rester des hommes. Et des femmes.

La luxure, c’est pas du luxe !

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« Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure. » A en croire cette citation du Monde extraite du rapport de l’enquête policière sur les supposées malversations financières de Julien Dray, cette sombre histoire de fric se doublerait d’une croustillante histoire de fesses. En effet, ce que semble nier le député de l’Essonne, c’est de se livrer à des pratiques sexuelles que la morale réprouve, la luxure étant, comme chacun sait, un péché capital ayant trait à la chair. Comme il semble que la libido de Juju soit essentiellement horlogère, on peut faire l’hypothèse que le flic ayant procédé à son interrogatoire ait confondu luxe et luxure. Si cela devait être le cas, ce fonctionnaire devrait arrêter, de son côté, certaines pratiques réputées rendre sourd.

Agent Rimbaud, taisez-vous !

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On sait depuis le papier de Gil Mihaely le triste sort de nos deux agents enlevés par les pirates somaliens. On ne peut que s’inquiéter pour leur libération quand on se rend compte de la piètre qualité et de la motivation inexistante de nos honorables correspondants dans la région. Parmi eux, un certain Arthur Rimbaud, plus ou moins marchand d’armes à Aden et dans le Harar, pédéraste notoire et, paraît-il, ayant connu une carrière d’obscur poète dans les milieux anarcho-autonomes durant sa jeunesse, semble motivé uniquement par l’appât du gain et aucune considération patriotique. En effet, dans une des lettres qu il adresse à sa famille, il ose écrire : “J aime mieux ne rien faire que me faire exploiter” (Aden, 22 septembre 1880). Il ne manquerait plus que de tels propos, tombant dans de mauvaises oreilles, deviennent le mot d’ordre des salariés lors de la rentrée sociale.

Non à l’impôt catalytique

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Heureusement que Michel Rocard ne pratique pas le jogging, car son hyperactivité – ambassadeur polaire, commissaire à la taxe carbone et au grand emprunt national, en sus des innombrables colloques, congrès et symposiums auxquels cet octogénaire se fait un devoir de participer – n’a rien à envier à celle du président de la République.

L’ancien Premier ministre s’est remis dans les habits de l’inspecteur des Finances qu’il fut avant d’entrer en politique pour plancher sur l’élaboration de cette fameuse taxe carbone qui fait partie du « paquet » adopté par le Grenelle de l’écologie.

Le principe en est simple et repose sur la fameuse formule du pollueur-payeur.

L’utilisateur de combustibles fossiles – essence, diesel, gaz naturel, charbon – serait taxé en fonction des émissions de CO2 produites au cours de ses déplacements et pour le chauffage de son habitation. Des formules mathématiques complexes (au moins pour l’auteur de ces lignes) ont été mises au point pour évaluer le CO2 rejeté dans l’atmosphère par ces divers combustibles.

Voilà qui est bel et bon, écologiquement vertueux et politiquement correct dans un contexte où le rabâchage apocalyptique environnemental est électoralement payant.

On négligera, bien sûr, de faire valoir que la ponction opérée sur le budget des ménages d’un pays qui représente moins de 1% de la population mondiale et guère plus en pourcentage de C02 émis réduira en proportion les gaz à effet de serre dans l’atmosphère. De faire remarquer que notre cheptel de bovidés roteur et péteur pourra continuer de propulser sans bourse paysanne délier son méthane dans l’éther, dans des quantités qui n’on rien à envier, paraît-il à celles de notre parc automobile…

Cohn-Bendit a tranché : cette taxe est ré-vo-lu-ti-on-aire et c’est un expert qui vous parle. Sarko est, de surcroît, prié par Dany de ne pas reculer sous peine de passer pour une lavette.

Dans l’espace rural que je fréquente assidument, puisque j’y demeure, cette actualité fiscale a provoqué un enthousiasme, disons, modéré. Le climat rude de nos montagnes est facteur d’utilisation intense de combustible pendant l’hiver, et le manque de transport en commun impose l’utilisation de l’automobile en toute circonstances : aller à son boulot, faire ses courses, se cultiver, faire du sport.

Il n’est pas question, pour l’instant, d’une mise en place simultanée de la taxe et de solutions alternatives efficaces pour compenser les effets de la taxe carbone sur les revenus des ménages, comme des transports en commun performants et attractifs.

Dans ces espaces, seuls les inactifs aisés dans mon genre auront les moyens d’échapper à un impôt qui frappera de plein fouet les ménages modestes, astreints à des déplacements parfois longs pour leur travail et logeant dans des immeubles construits à une époque où l’on se fichait des économies d’énergies comme du prix du baril…

On veut me taxer le diesel de ma bagnole ? M’en fous, vais changer pour une hybride japonaise à 25 000 euros. On me pique du blé chaque fois que j’ouvre le gaz pour me chauffer ou faire mijoter des petits plats ? Rien à cirer, je vais installer une chaudière à bois, où brûleront des bûches de mes forêts ou de celle de mon voisin achetées sans factures et ni taxes.

Dans le registre ubuesque qui accompagne cette agitation autour de la taxe carbone, l’idée d’un « chèque vert » remboursable sous conditions de revenus et de conditions de vie est une nouvelle preuve des insanités qui peuvent émerger de cerveaux pourtant réputés bien faits, comme ceux des inspecteurs des Finances. On vous pique du blé, puis on vous le rend, non sans avoir, au passage créé une nouvelle bureaucratie chargée de collecter, et une autre chargée de redistribuer le montant de cette nouvelle taxe. Et si on commençait par ne pas la prélever sur ceux qui en seraient remboursés, ça serait trop simple ?

Il n’est pas besoin d’être un fin stratège politique pour sentir que cette taxe recèle un potentiel politiquement explosif, dont Cohn-Bendit à des raisons de se réjouir, pour autant qu’il ne paiera pas les pots (d’échappement) cassés. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement et du président dont on observera avec une attention gourmande la manière dont ils vont se sortir du piège vert.

Ségolène rassurée

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Ouf ! Le temps passait et rien ne venait. La boite aux lettres de Ségolène restait désespérément vide depuis son accord secret avec Martine Aubry, qu’elle laisse tranquille tant que le PS défraie la Poitevine, devenue représentante du PS à l’Internationale socialiste. Elle en finissait par se perdre de vue, notre Eva Peron, à ne plus se voir dans les miroirs pixelisés des télévisions aux ordres. Elle allait finir par se croire de gauche, si ça continuait. Heureusement, au coeur de l’été, une balle de 9 mm et une lettre de menaces sont arrivées au Conseil régional de Poitou-Charentes. On sait aujourd’hui que le meilleur marqueur politique pour distinguer droite et gauche est ce type d’envoi qui n’avait jusque-là touché que le président de la République et des parlementaires de sa majorité. Rassurée, Ségolène se sait de droite : elle en a la preuve par neuf.

L’Affaire Copernic

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Que faisiez-vous le 3 octobre 1980 ? Et d’abord, cette date vous dit-elle quelque chose ?

C’est peu probable : dans le présent perpétuel imposé par le temps médiatique, l’amnésie est programmée. Elle ressemblait à quoi, d’ailleurs, la France d’octobre 1980 ? Si proche, si lointaine… Une France avec des cabines téléphoniques à pièce, des R5 orange, trois chaines télé et Véronique Jeannot en assistante sociale qui faisait fantasmer les adolescents en pantalon de velours milleraies. Ah, on allait oublier : Giscard était président et il était certain de remporter une victoire facile au mois de mai de l’année suivante. Pensez-vous, en face, on n’avait à lui opposer qu’un François Mitterrand usé, vieilli, fatigué, à la tête d’une gauche désunie, d’un PS qui ne se remettait pas de l’insurrection ratée de Rocard et d’un PCF qui ne croyait plus trop à l’union de la gauche. L’Etat-UDF était là pour dix ans, au moins.

Il y avait bien cette montée du chômage consécutive au deuxième choc pétrolier, ce Chirac et ses archéo-gaullistes qui criaient à la trahison devant l’intégration européenne, cette inflation à 14% mais enfin on avait pour Premier ministre le meilleur économiste de France, un certain Raymond Barre, qui voyait tous les matins le bout du tunnel. On en avait fini avec les gauchistes de 68. Durant la décennie précédente Marcellin les avait traqués, fichés, embastillés. Les ex-maos commençaient leur reconversion dans la finance, la presse, les instances patronales.

De toute manière, ils n’avaient jamais représenté un vrai danger terroriste, ces couilles molles de la Gauche prolétarienne, en refusant la lutte armée contrairement à leurs camarades italiens ou allemands. Les Années de plomb, c’était bon pour Berlin ou pour Rome. Chez nous, les plus dangereux, ceux d’Action Directe n’étaient qu’une poignée et la plupart étaient en taule. Non, vraiment, on ne risquait rien. Finalement, c’était le rêve, la France de 1980 et, comme dans la chanson de Nino Ferrer, ça aurait pu durer au moins un million d’années.

Seulement voilà, le 3 octobre 1980, à 18 h 48, au 24 de la rue Copernic, dans le XVIe arrondissement, une bombe explose devant une synagogue. C’est soir de shabbat et aussi le lendemain de simhat torah, la fête de la joie. Raison pour laquelle près de trois cent personnes sont venues assister à la cérémonie. La plupart appartiennent à une obédience plutôt modérée, éclairée, celle de l’Union libérale israélite de France. La synagogue, à l’occasion est fréquentée par Simone Veil ou Robert Badinter.

À l’intérieur, c’est la panique. Du verre entaille les chairs, les faux plafonds s’effondrent. Il y a des blessés, beaucoup.

À l’extérieur, comme l’écrivent Jean Chichizole et Hervé Deguine, les auteurs de L’affaire Copernic, « c’est Beyrouth sur Seine , avec une colonne de fumée dépassant les immeubles environnants et des voitures projetées sur la chaussée comme des jouets d’enfants. » On relèvera quatre morts, un étudiant à moto, une journaliste israélienne, le chauffeur d’une famille présente dans la synagogue et le concierge de l’hôtel Victor Hugo. Il faut dire que les terroristes n’ont pas lésiné. 10 kilos de pentrite, un explosif militaire dans une Suzuki bleue. La bombe a évidemment explosé trop tôt : elle était prévue pour faire un véritable carnage au moment de la sortie de la synagogue.

L’affaire Copernic est un livre qui, au-delà de son aspect documentaire qui évoque e un roman d’espionnage, a le mérite de remettre cet événement en perspective et de demander si finalement, il ne s’agirait pas là d’une date tragiquement fondatrice, celle qui fait passer d’un monde à l’autre sans qu’on en prenne forcément conscience sur le coup. Il y a les dates évidentes, choc pétrolier, arrivée de la gauche au pouvoir, chute du Mur et puis il y a aussi ces dates apparemment moins importantes et dont les lignes de forces, pourtant, sont souterraines et se répercutent jusqu’à aujourd’hui.

Pour les deux auteurs, cet attentat marque une rupture. C’est lui qui fait entrer la France dans l’âge du terrorisme international, celui qui va toucher régulièrement le pays que ce soit avec l’attentat de la rue des Rosiers en 1982, ceux de l’automne 86 qui culminent avec l’explosion devant la Fnac de la rue de Rennes, celui de la station RER Saint Michel en août 95 ou de Port Royal en décembre 96.

Presqu’une habitude, en fait, au point que l’on trouve miraculeux de ne pas avoir (encore) été touché par les répliques européennes du 11 Septembre, Madrid 2004, Londres 2005…

Se pencher sur l’attentat de la rue Copernic, c’est donc se pencher sur l’origine du mal.

La première chose qui surprend, dans le récit de Chichizola et Deguine, c’est la maladresse politique du pouvoir de l’époque. Raymond Barre, par exemple, dont le premier commentaire sur l’événement est de l’ordre du monstrueux lapsus : « Je rentre de Lyon plein d’indignation pour cet attentat odieux qui voulait frapper les juifs se trouvant dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. » Des Français innocents… Ou encore le Président de la république qui ne fera part de son émotion que le 8 octobre, soit cinq jours plus tard.

Comme quoi on a oublié que la France de ces années-là avait à sa tête une droite, celle des républicains indépendants comme on disait alors, dont l’ADN politique puisait plutôt du côté de Vichy et d’Uriage que de Londres, et qui n’hésita pas de surcroît à recycler en jeunes loups modernistes les anciens d’Occident. L’antisémitisme, à l’époque, n’était donc pas franchement celui des banlieues des années 00 mais faisait partie du charme discret d’une certaine bourgeoisie libérale et technocratique. C’est Alain de Rotschild d’ailleurs, président du Crif à l’époque, qui s’indigne de « la passivité des pouvoirs publics devant le terrorisme international. » Et Simone Veil elle-même, ministre de la Santé, prise à partie par des manifestants, est obligée de reconnaître qu’elle regrette « la relative discrétion du gouvernement. »

Pourtant, à la base, loin des timidités des politiques, un flic va faire son boulot et va bien le faire. Il s’agit de Marcel Leclerc, le patron de la Crim. Il va d’abord explorer la piste la plus évidente, celle d’un attentat néo-nazi. Il y avait alors un grand revival de la croix gammée en Europe. On s’occupait tellement du terrorisme rouge qu’on en avait oublié le noir qui se révélait pourtant beaucoup plus aveugle, beaucoup plus meurtrier et ouvertement antisémite : le 2 août 1980, ce sont 80 morts en gare de Bologne et le 26 septembre de la même année, 13 morts et 200 blessés à la fête de Munich. Pour la presse française dans son ensemble et pour une bonne partie de la classe politique, Copernic s’inscrit dans cette liste. On a même un groupe sous la main, la Fane (fédération d’action nationaliste européenne) dirigé par Marc Fredriksen déjà poursuivi pour délit de presse, Fane devenue FNE (faisceaux nationalistes européens) après sa dissolution.

La piste est d’autant plus délicate que ce groupuscule est composé de pas mal de policiers dont on ne sait plus s’ils sont infiltrés et sympathisants. Et pour arranger le tout, le nouveau chef des FNE croit intelligent de revendiquer l’attentat alors qu’il apparaît assez vite qu’il en est logistiquement incapable. Leclerc, même si ça ne plaît pas montre que tout ça ne tient pas.

Reste donc la piste internationale, c’est-à-dire, parlons clair, arabe, c’est-à-dire palestinienne, via Chypre et le Liban. Problème : la diplomatie française est d’une prudence extrême dans la région et refuse que les enquêteurs français aillent sur le terrain, à Beyrouth. Et puis Ibrahim Souss, représentant de l’OLP à Paris et Arafat lui-même ont condamné sans ambiguïté l’attentat. Seulement voilà, une scission du FPLP de Habache, le FPLP-CS apparaît alors comme la piste la plus sérieuse. L’affaire est confiée à la DST.

On ne retracera pas ici toutes les péripéties d’une enquête de vingt huit ans qui semble s’être provisoirement terminée en octobre 2008 avec l’arrestation d’un très respectable professeur de sociologie d’Ottawa, d’origine libanaise, par la police montée canadienne. Il y aurait de quoi, en effet, dans ce livre, faire le bonheur terrifié d’un John Le Carré.

Il faut le lire, peut-être pour cela, et aussi pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui à savoir notre capacité à vivre, en permanence, avec l’idée du terrorisme de masse comme une éventualité, voire une probabilité. Et que cela, dans l’inconscient français, ne remonte pas au 11 septembre 2001 mais bien à un certain 3 octobre 1980.

Ce soir-là, pourtant, il semblerait, d’après les archives de la météo nationale, que la température ait été exceptionnellement douce.

Variations saisonnières

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Enfin une bonne nouvelle concernant l’un des fléaux de notre temps : la violence en milieu scolaire, qui jusque là n’a cessé de s’accroître – rappelons-nous de l’intrusion au lycée de Gagny le 10 mars dernier. Après cet incident très médiatisé, le gouvernement avait décidé de prendre le problème à bras le corps, avec un plan ad hoc cosigné par les ex-ministres de l’Education nationale et de l’Intérieur, Xavier Darcos et Michèle Alliot-Marie. Eh bien, ça marche ! Des données récemment recueillies montrent clairement une baisse significative, voire une chute, de ce type de délits dans la plupart des établissements, y compris dans des zones réputées « sensibles ». Mais ne crions pas victoire trop tôt : les spécialistes craignent que cette accalmie, constatée depuis le 30 juin ne prenne fin dès le début du mois de septembre.

Debré : « H1N1 : laissez pisser ! »

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Ne le répétez pas à Juliette Gréco : j’adore les dimanches. Se lever à 7 heures, descendre sur le boulevard, commander un café à la terrasse du coin, écouter la blague dominicale du garçon – toujours la même – et ouvrir le Journal du Dimanche, il n’y a pas mieux dans la vie.

Pas mieux, sauf agoniser dans son grabat, expectorer comme pas permis et se lamenter, entre deux souffles rauques, sur son pauvre sort : « Le médecin m’a dit que c’était une angine, mais je le connais bien, il n’a pas voulu m’alarmer, j’ai H1N1, je l’ai vu à la télé, fièvre, céphalée, maux de gorge, grouinements intempestifs, tous les symptômes sont là, je vais crever, pas de doute, j’aurais dû mettre un masque. » Et puis le miracle : on ouvre le Journal du Dimanche et on y lit une interview de Bernard Debré qui déclare, en substance, que la grippe H1N1 n’est pas dangereuse, que les pouvoirs publics en font beaucoup trop et que tout ça ne vaut pas le premier rhume venu. Atchoum ? À vos souhaits !

On bondit alors du lit, on tousse un grand coup et on répète la leçon du professeur Debré : « H1N1, laissez pisser ! » Le plus grand urologue de Paris a parlé ; personne n’ira le contredire.

Sauf que, dans la vraie vie, quelqu’un qui irait consulter un urologue pour soigner sa grippe aurait vite fait de finir aux urgences psychiatriques. Nous tenons donc à affranchir nos confrères du JDD : le nez, la gorge et les oreilles ne se situent qu’à de très intimes et agréables occasions au niveau des organes dont l’urologie traitent les affections. En permanence, ce serait du vice.

Cependant, Bernard Debré a raison. On nous rebat tellement les oreilles avec la pandémie de grippe porcine que nous serons morts d’une otite médiatique avant d’avoir contracté le virus H1N1. Il n’est pas un jour sans que le sacro-saint principe de précaution n’apporte avec lui son lot de nouvelles ridicules : ces jours-ci, ce sont des adolescents français que l’on a mis en quarantaine dans un collège de la région parisienne et que l’on a exhibés, masqués, au Journal de 20 heures.

Plus édifiant encore : en Grande-Bretagne, l’Eglise anglicane a pris cette semaine des mesures à la hauteur de la pandémie. Elle a fait vider les bénitiers de ses paroisses afin de limiter la contamination des fidèles qui n’auraient pas manqué pour faire leurs dévotions de s’asperger, les cons, de H1N1 béni. Si les curés commencent à douter de Dieu pour placer au-dessus de Lui le principe de précaution, c’est que l’heure du Jugement a sonné.

Cette pandémie a des airs apocalyptiques, mais d’une apocalypse où tout le monde se mettrait à sonner de la trompette tandis que l’Ange exterminateur serait un cul-de-jatte aux petits bras : 800 morts au niveau mondial depuis l’apparition de la grippe A, quand la grippe saisonnière vous produit quelques milliers de macchabées annuels simplement en France ! Le rendement mortuaire de cette pandémie-là n’est pas au rendez-vous.

Pourquoi donc tant de bruit pour, apparemment, si peu de choses ?

Cela tient certainement à l’histoire et à la structure de la veille sanitaire mondiale : la grippe est, pour ainsi dire, la raison d’être de l’OMS. Du moins, c’est à cause de la grippe espagnole de 1918 et de ses dizaines de millions de morts (beaucoup plus que la Première Guerre mondiale elle-même) qu’a été créé le Comité d’Hygiène International, embryon de la future Organisation Mondiale de la Santé. Le système sanitaire international a alors été entièrement conçu pour affronter les pandémies grippales – ce qui explique d’ailleurs parfois ses insuffisances dans d’autres domaines. Autant le dire : si la grippe actuelle était la même que celle de 1918, la réaction de l’OMS aurait été totalement justifiée.

Mais l’hyperactivité de l’OMS sur la grippe A n’aurait produit aucun effet sans le suivisme des Etats. Depuis le début de la « crise », tous les gouvernements se sont pliés aux recommandations de l’Organisation mondiale, sans jamais trop rechigner, parfois en les devançant. Certes, on peut critiquer ce panurgisme, mais il faut savoir ce que l’on veut de nos gouvernants : quand ils ne sont pas assez diligents en matière de santé publique, on les accuse de tous les maux ; quand ils le sont trop, on les accuse aussi.

Le souvenir de la canicule de 2003 est dans tous les esprits de la classe politique : personne n’envie le destin de Jean-François Mattei. Encore qu’on serait bien inspiré de se demander si l’ancien ministre n’a pas joué un peu trop vite le rôle du bouc émissaire dans cette histoire-là. Quand des petits vieux crèvent chez eux, est-ce la faute du ministre de la Santé ou celle d’une société qui appelle « séniors » ses vieillards pour ne plus aller les visiter ? En 2003, nos vieux ne sont pas morts des effets de la canicule, mais de la solitude et de l’abandon.

Bref, c’est le ministre qui a toujours tort. Et l’ancestral adage est avéré : il vaut mieux être malade ou mort que ministre de la Santé et en tailleur rose. Quel que soit le scénario, c’est la faute au ministre.

Ce qui peut, enfin, expliquer, l’hyper-vigilance de l’OMS comme des Etats sur cette affaire-là, c’est la grande inconnue que nous promet la grippe A dans les prochains mois. Selon certains virologues, le virus pourrait encore muter. Dans le meilleur des cas, on s’en sortira avec du paracétamol. Dans le pire, avec les pieds devant.

L’iPhone aphone ?

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SFR, Orange et Bouygues se livrent depuis un mois à une guerre publicitaire géante. L’objet en est la dernière version de l’iPhone d’Apple, le 3GS, chacun nous expliquant que c’est bien sûr chez lui et pas chez le méchant voisin qu’il faut se procurer le petit bijou. Comme d’habitude dans ces cas-là, difficile de comparer les offres absconses des trois opérateurs, même quand on a un mois de congés pour se plonger dans les clauses restrictives et les notes en bas de pages. Mais pour une fois, le choix sera moins complexe qu’à l’accoutumée, il existe un point de comparaison objectif, où les trois grands sont d’ailleurs à égalité : chez SFR, chez Orange et chez Bouygues, le nouvel iPhone est en rupture de stock, et donc totalement indisponible…

Les vrais-semblants de Mehdi Belhaj Kacem

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Qu’est-ce que l’ironie ? C’est la question que pose Mehdi Belhaj Kacem dans Ironie et vérité, le deuxième tome de L’esprit du nihilisme, imposante entreprise philosophique en cinq tomes à laquelle il travaille depuis quelques années.

L’ironie est d’abord, selon lui, « le trait anthropologique et « psychologique » dominant du nihilisme démocratique occidental. » « La jeunesse est rigolarde et dépressive, morne et jouisseuse », écrit-t-il. Très justement, il estime que l’ironie de masse contemporaine est « profondément mélancolique, et même dépressive. » Il rejoint là, ironiquement, des vérités énoncées également par deux infâmes réactionnaires qu’il honnit : Houellebecq et Beigbeder, qui avaient déjà pressenti dans nos overdoses de second degré sans issue la dernière marche précédant le suicide.

Mehdi Belhaj Kacem s’en prend à raison au « type d’énonciation obligatoire qu’est l’autodérision imprescriptiblement préalable à la dérision de tout ce qui existe », à l’ironie transformée en « l’impératif catégorique ». Il écrit encore : « Nous faisons semblant de faire semblant d’être dupes, nous « jouons » les dupes d’un air « dégagé », et c’est ainsi que nous le sommes vraiment. »

Simultanément, Ironie et vérité comporte un éloge de « la grande ironie », celle de Kierkegaard, des romantiques allemands et de la grande veine de l’ironie française, celle de Marivaux et Diderot avant tout. « Esprit français, défendons-nous », écrit-il en une sentence que les « innommables lecteurs réactionnaires de Causeur » apprécieront.

Refusant de s’en tenir à la dénonciation pure et simple de l’ironie contemporaine, il note avec acuité que « tout le monde est spontanément porté à saisir sa vérité propre, hors même de tout regard extérieur, par l’ironie et l’autodérision. » Il soutient, en dernier lieu, que « la vérité, de toujours, est elle-même de structure ironique, […] la structure de l’ironie étant celle qui ne force pas la vérité à s’avouer, mais la laisse à sa caractéristique ontologique majeure, qui est son indécidabilité. »

Cette dernière thèse, probablement la plus importante aux yeux de l’auteur, m’est demeurée hélas, au terme de la lecture de son opuscule, parfaitement incompréhensible. Car s’il est l’héritier de Lacan, Deleuze, Derrida et Badiou pour le meilleur, il l’est aussi pour le pire : par ses difficultés à s’arracher à la jouissance d’être incompréhensible, par laquelle il gâche des talents de pensée et d’écriture exceptionnels.

Presque tous ses textes, dont certains sont splendides (notamment, dans Society, ceux sur le coup de foudre et la pornographie), sont écrits comme au fil de l’inconscient. Il s’engage dans des questionnements passionnants, mais laisse chacun en suspens, l’abandonne presque toujours en cours de route. Il procède en intriquant et en traitant simultanément une telle multiplicité de questions qu’il est naturellement impossible de le suivre. Ces questions, qui comportent déjà leur difficulté intrinsèque, pourraient aisément être abordées de manière successive, pour épargner au lecteur une difficulté, elle, parfaitement artificielle.

En outre, les démonstrations de Mehdi Belhaj Kacem sont trop souvent interrompues par des règlements de compte personnels avec tel ou tel philosophe contemporain, dans lesquels toute rigueur philosophique est abdiquée. Dans Ironie et vérité, c’est le cas notamment avec Baudrillard et Tiqqun, dans des pages très piteuses où la confusion atteint son sommet et où l’auteur prétend réfuter des thèses qu’il n’est pas même capable (ou du moins le feint-il) d’exposer de manière cohérente et fidèle.

Mehdi Belhaj Kacem se refuse par ailleurs presque toujours à définir rigoureusement ses concepts avant d’en user. Il estime peut-être que tout ce qui est, même vaguement, linéaire, est par là même nécessairement réactionnaire et haïssable. Cela me semble faux. Enfin, je trouve dommageable à sa pensée son recours très fréquent à l’argument d’autorité (du genre : Lacan l’a dit, donc c’est vrai), quel que soit le coefficient d’ironie dont cet usage peut être affecté, ainsi que sa tendance à céder plus qu’à son tour au « prestige de la belle formule », incompréhensible de préférence.

En dépit de tout cela, il y a beaucoup de belles pages dans Ironie et vérité, sur Socrate par exemple, ou sur la pièce tardive de Marivaux Les acteurs de bonne foi. Hélas, Mehdi Belhaj Kacem réserve pour finir à l’ironie le même sort qu’à ses autres concepts. Il en propose plusieurs définitions manifestement (ironiquement ?) contradictoires entre elles, en laissant à la perspicacité du lecteur le soin de les articuler elle-même – c’est-à-dire de faire son boulot dialectique à sa place. Son ouvrage ne propose ainsi aucun critère distinctif permettant de discerner pourquoi la « grande ironie » est grande, et vraie, et pourquoi « l’ironie de masse » ne l’est pas. Si ce qu’il nomme « l’indiscernable » ou « l’indécidable » de la vérité, ce sont cette confusion et cette overdose de paradoxes, je ne peux que m’inscrire en faux contre son concept de vérité.

Mehdi Belhaj Kacem est l’un des êtres les plus doués de sa génération. Son talent mérite beaucoup mieux. Puisse-t-il guérir promptement de ses overdoses d’abysses, briller moins afin d’éclairer davantage le vulgaire – ses frères mortels.

L'esprit du nihilisme: Tome 1, Ironie et vérité

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Parle à mon cul, ma tête est malade !

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J’ai parmi mes proches beaucoup d’hommes et de femmes qui ont suivi une psychanalyse. Certains en suivent encore. Je n’ai pas remarqué que mes amis à psy étaient plus équilibrés, plus chanceux en amour ou s’entendaient mieux avec leur mère que mes amis sans. Cela doit-il nous amener à remettre en cause la supériorité des thérapeutes occidentaux sur les marabouts africains ? Cela mérite peut-être une étude. Dans l’ensemble, je n’observe pas que les gens quittent le divan en meilleur état mental qu’ils ne l’étaient en entrant, mais on me dit que sans analyse ce serait pire, je veux bien le croire.

Tout ceci reste bien mystérieux pour moi et je ne m’étendrai pas sur une question dont j’ignore presque tout. L’économie que je réalise en me passant de psy doit suffire à mon bonheur et je n’ai pas d’opinion sur cette science, en tout cas quand elle s’exerce entre adultes consentants. Mais il arrive que certains praticiens dépassent les bornes. Le Dr Daniel Cosculluela, psychiatre de 52 ans, dont le procès a fait l’actualité d’un soir le mois dernier a pris 12 ans de réclusion et une interdiction d’exercer définitive pour avoir abusé sexuellement de quatre de ses patientes.

Mettre sous hypnose de pauvres femmes crédules qui se déshabillent avant de s’allonger sur le divan, pour mener une introspection à leur insu, ce n’est pas joli, joli et le docteur aurait pu se contenter de sa Porsche pour les amadouer et arriver à ses fins. Ses pratiques l’ont mené en prison et la justice a été rendue, ne revenons pas sur la condamnation.

Pourtant, l’énoncé des accusations portées contre le satyre m’a laissé un peu perplexe. Le docteur était accusé d’avoir « placé ses patientes par des pratiques inhabituelles dans un état de dépendance susceptible d’altérer leur volonté pour leur imposer des relations sexuelles ».

Jusqu’à présent, personne n’a porté plainte contre moi mais depuis le verdict de ce procès, je suis inquiet. Pourrais-je un jour être trainé en justice par une femme ou pourquoi pas quatre pour les avoir « placées dans un état de dépendance », ou pour avoir « altéré leur volonté afin de leur imposer des relations sexuelles » ? Je croyais qu’il fallait précisément altérer les volontés pour obtenir des relations sexuelles sans avoir à les imposer. Je tenais même cette condition comme une règle de base de la séduction. Comment faire pour mettre une femme dans son lit la première fois sans promesse de lendemain ni de sentiments et sans avoir au préalable altéré un peu sa volonté ? Comment la faire revenir sans la placer par des pratiques inhabituelles pour elle dans un état de dépendance ? Sommes-nous menacés par nos habitudes de séduction ? Devrons-nous adopter de nouvelles pratiques plus conforme à la législation ?

Tous les rites de la relation amoureuse, toutes les preuves de cet amour qu’on nous réclame à cor et à cri, des fleurs de la Saint Valentin au week-end romantique, à quoi servent-ils sinon à altérer la volonté et placer en état de dépendance ? La déclaration d’amour, cette arme fatale pour la volonté du sexe faible et redoutable pour s’assurer sa dépendance devra-elle être placée sous contrôle judiciaire ?

Autre chose, les pratiques inhabituelles ainsi que la mise en état de dépendance dont on accuse le psychiatre dans cette affaire peuvent-elles être entendues au sens sexuel du terme et être retenues à charge dans d’autres contextes que celui d’une thérapie? Serons-nous jugés pour nous être livrés à des pratiques sexuelles inhabituelles plaçant des femmes dans un état de dépendance sexuelle afin de leur imposer des relations sexuelles ?

Là, ça devient très inquiétant. Serons-nous demain montrés du doigt pour les talents qui nous valent d’être convoités aujourd’hui ? L’état de dépendance de nos amoureuses nous sera-t-il un jour reproché ? Devrons- nous modérer nos prouesses pour échapper à des poursuites judiciaires ?

Evidemment, tout est question d’interprétation mais la judiciarisation de la société française et la féminisation de la magistrature ne me rassurent en rien. Je ne me sens pas à l’abri d’une juge d’Outreau. Exposés par la législation à la vengeance de femmes trompées ou désaimées, regretterons-nous un jour l’âge d’or d’avant les procès, celui des cris et des gifles, quand les filles hystériques savaient ne pas se tenir ?

Mais c’est sans doute pour les femmes que le risque est le plus grand. Une justice qui leur interdirait d’altérer les volontés des mâles et de les placer en état de dépendance sonnerait le glas du règne féminin. Et nous, les hommes, qui ne vivons que dans l’espoir de voir nos volontés altérées et dans l’extase de notre dépendance, en serions les premières victimes. En fait le danger de cette jurisprudence nous menace tous. Les uns et les autres, ne poursuivons-nous pas toute notre vie la quête de ce pays merveilleux ou les volontés s’anéantissent et ou la dépendance est totale ? Ne courrons-nous pas tous après ce trouble de l’âme ou la dépendance a remporté sur la volonté une victoire écrasante ? Ne cherchons-nous pas tous l’amour ?

Défendons ensemble, main dans la main, nos droits à vivre en esclaves, à faire le contraire de ce que l’on veut et à ne plus pouvoir nous passer les uns des autres, si nous voulons rester des hommes. Et des femmes.

La luxure, c’est pas du luxe !

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« Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure. » A en croire cette citation du Monde extraite du rapport de l’enquête policière sur les supposées malversations financières de Julien Dray, cette sombre histoire de fric se doublerait d’une croustillante histoire de fesses. En effet, ce que semble nier le député de l’Essonne, c’est de se livrer à des pratiques sexuelles que la morale réprouve, la luxure étant, comme chacun sait, un péché capital ayant trait à la chair. Comme il semble que la libido de Juju soit essentiellement horlogère, on peut faire l’hypothèse que le flic ayant procédé à son interrogatoire ait confondu luxe et luxure. Si cela devait être le cas, ce fonctionnaire devrait arrêter, de son côté, certaines pratiques réputées rendre sourd.