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Obrador, la preuve qu’on a le droit d’être populiste à condition d’être de gauche

Le gentil Bolsonaro du Mexique qu'il est de bon ton d'apprécier


Obrador, la preuve qu’on a le droit d’être populiste à condition d’être de gauche
Andrés Manuel Lopez Obrador, président du Mexique, janvier 2019. ©Mario Guzmán/EFE/SIPA / 00890912_000001

Les premiers pas d’Andrés Manuel López Obrador à la tête du Mexique sont dans la droite ligne de ce qu’il a montré pendant sa campagne: le nouveau président a tout du populiste à la Bolsonaro, mais lui est un populiste de gauche. 


Dans les médias européens, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) est souvent présenté comme une figure bienveillante de la gauche, loin de l’image d’extrême droite de son homologue brésilien, Jair Bolsonaro. Il est vrai qu’après 71 ans de pouvoir hégémonique du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et 18 ans de « transition démocratique », le premier triomphe de la gauche mexicaine à l’élection présidentielle semblait confirmer un vrai jeu d’alternance. Il convient cependant de se demander si la division gauche/droite constitue la catégorie la plus pertinente pour comprendre le phénomène politique « AMLO ».

Obrador, la « gauche » plus ultra

Bien que sa figure domine de manière écrasante la gauche mexicaine depuis qu’il a été élu chef du gouvernement de la capitale mexicaine en décembre 2000, sa filiation idéologique de gauche n’a jamais été assurée. Ayant probablement rejoint le PRI en 1976, il n’apparaît pas non plus comme un vrai outsider. Et plusieurs de ses collaborateurs les plus proches dans son  gouvernement furent des personnalités du PRI dans les années 70, ou bien des enfants de personnalités du pouvoir de l’époque. Il veut en tout cas s’inscrire dans une histoire longue du Mexique avec ce qu’il nomme la « quatrième transformation du Mexique », supposée être le quatrième grand changement après l’Indépendance, la Réforme (qui achève la séparation de l’Église et de l’État) et la Révolution. Tout indique enfin, selon la très sérieuse sociologue María Amparo Casar, que ses vastes programmes sociaux qui touchent, selon les estimations, 23 millions de personnes, relèvent très classiquement d’une relation de type clientéliste.

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Par ailleurs, le président n’a jamais été un défenseur avéré des minorités discriminées. Au contraire, Obrador adopte généralement un agenda d’inclination conservatrice, au point d’appeler à la mise en œuvre d’une « constitution morale » qui doit servir de « guide de valeurs » au peuple mexicain. N’oublions pas aussi que, à l’égal de Trump ou de Bolsonaro, Obrador est arrivé au pouvoir grâce à des alliances avec des groupes évangéliques, ici des religieux conservateurs regroupés dans le Parti de la rencontre sociale. Il ne faut ainsi pas s’étonner qu’il ait proposé de soumettre à consultation publique les « questions controversées » comme le droit à l’avortement et il a récemment décidé de retirer son soutien aux programmes de garde d’enfants destinés aux mères qui travaillent, ainsi qu’aux refuges pour femmes et enfants en situation de violence. De plus, Obrador défend désormais ouvertement la militarisation de la sécurité publique par la voie d’une modification de la Constitution.

Le « bon peuple » et la « mafia au pouvoir »

Le discours électoral d’Obrador s’est structuré selon la rhétorique populiste la plus pure, à savoir par l’opposition entre le « bon peuple » et la « mafia au pouvoir », le « PRIAN » (jeu de mots qui fusionne les noms des deux partis de gouvernement, le PRI et le PAN). Ainsi, son mouvement Morena (brune) fait référence à des images fortement émotionnelles telles que la « vierge brune » (virgen morena), sans doute le symbole culturel le plus puissant pour les Mexicains, de la même manière qu’elle évoque la couleur de peau de la majorité des Mexicains, celle des métis et des Indiens. Au fur et à mesure que la campagne politique avançait, les journalistes réputés et les médias influents furent également qualifiés de « sbires de la mafia au pouvoir » ou de « presse conservatrice », le tout accompagné de l’offre habituelle de réponses simples à des problèmes complexes.

Petit Chávez deviendra grand

Mais ce qui est vraiment troublant, ce sont les traits autoritaires qui refont surface avec le président Obrador. À la manière d’ « Aló Presidente » de Chávez, l’actuel président mexicain donne des conférences tous les jours à sept heures. Nous retrouvons la litanie de dénonciations contre les « néo-libéraux », les « conservateurs » et les médias. Une nouvelle orientation du gouvernement peut être annoncée à tout moment et des accusations peuvent être portées, devant les médias, contre la « corruption » provenant des fonctionnaires des agences autonomes, comme cela s’est passé dans le cas du président de la Commission de régulation de l’énergie, Guillermo Ignacio García, qui a osé discuter, techniquement, d’une proposition d’Obrador.

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Président élu, Obrador a alors posé pour être photographié avec un livre qui a pour titre Qui est aux commandes ici ? La crise de la démocratie représentative. L’image va de pair avec sa défense de la démocratie participative, mais montre aussi son dédain à l’égard de la démocratie représentative et, au sens plus large, de la démocratie libérale. Il ne s’agit pas que de rhétorique, puisqu’il attaque le pouvoir judiciaire, propose des candidats questionnés à la Cour suprême et que son gouvernement est en train de diminuer ou de supprimer les soutiens financiers aux organes autonomes et aux associations de la société civile. Le président semble détester le terme « société civile ». Sur le plan international, Obrador cache d’ailleurs à peine son soutien à Maduro et évite d’ennuyer Daniel Ortega au nom du mot d’ordre « pas d’intervention ».

Obrador, toujours à la campagne

Ni vraiment de gauche, ni véritable outsider, ainsi pourrait se résumer Obrador. Au pouvoir depuis plus de 100 jours, il semble encore être en campagne électorale. Le président a passé plus de temps à visiter les différents coins du pays qu’à s’asseoir à son bureau afin de mettre en œuvre son programme. Jusqu’à maintenant, après l’orgie de corruption des dernières années, l’ancien président Peña Nieto et ses proches passent des journées tranquilles. Au même moment, l’insécurité s’accroît et l’on est en train de passer de l’échelle des assassinats ciblés à celle des massacres indiscriminés. La croissance économique n’est pas non plus au rendez-vous : d’après la Banque du Mexique et l’OCDE, les prévisions de croissance du Mexique pour 2019 sont passées, en quelques mois, de 2,5 % à 1,7 %. Mais l’essentiel est de montrer qui est le nouveau maître au pouvoir au Mexique. Selon l’adage de Lampedusa, « il faut que tout change pour que rien ne change », Obrador semble davantage se livrer à la transformation du symbolique et à la prise du pouvoir qu`à la transformation du réel.

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Malgré sa grande popularité actuelle – plus grande que Poutine, mais moins que celle du terrifiant président philippin Duterte -, beaucoup d’intellectuels et de journalistes mexicains sont très préoccupés par ce scénario d’une dérive autoritaire dans le style Chavez-Maduro ou Ortega. Ceux qui ont lutté pour la démocratisation du Mexique prient pour que le mariage latino-américain, hélas devenu récurrent, entre démocratie et grandes inégalités sociales enfante un nouveau gouvernement dont on pourra probablement dire qu’il fut populiste et une nouvelle renaissance de la vieille culture politique du PRI.



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