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Nous somme tous des indignados


photo : Julien Lagarde (Flickr)

La jubilation est à son comble dans la sphère hesselienne : au moment même où, le 15 mai, leur gourou lançait son « appel de Thorens » sous la pluie aux « nouveaux résistants » autoproclamés, les « Indignados » espagnols se mobilisaient Puerta del Sol, à Madrid.
La parole de leur héros devenait ainsi « performative », comme on dit à la Sorbonne, et non plus seulement le vade-mecum d’un « buonisme » de supermarché.

Dépêché sur place, Daniel Mermet mobilisait les moyens du direct pour transmettre au peuple de France Inter son épectase face au déclenchement de la révolte contre la « dictature bipartidaire » qui, selon lui, écrase les damnés de notre continent. « Je me trouve actuellement au Ground Zero de l’indignation ! » s’exclame-t-il, au comble de la félicité. Ground Zero (prononcer « ziro »)? Cette métaphore faillit me coûter 135 euros et 1 point de permis, car elle détourna une seconde mon attention du « bip-bip » antiradar dont mon véhicule est équipé jusqu’à nouvel ordre de la place Beauvau. Dans l’auberge espagnole où se précipitent nos commentateurs pour se faire voir « là où ça se passe », Mermet mérite d’être honoré comme l’employé du mois, avec sa photo dans le hall d’entrée.[access capability= »lire_inedits »]

Accoler dans une même métaphore Ben Laden et Hessel relève de ce raccourci fulgurant dont seul les génies ont le secret. Si j’avais osé la même figure de rhétorique, je serais passé sur le champ de la case « néo-réac » à celle de « bon pour l’asile ».

L’étincelle hesselienne embrasera-t-elle la morne plaine occidentale ?

« C’est Mai 68 ! » « C’est la place al-Tahrir qui s’installe en Europe ! » À entendre Mermet, ses compères et commères des ondes nationales, l’étincelle hesselienne est en passe de mettre le feu à toute la morne plaine d’un Occident aussi moisi que corrompu.
Dans ce concert de jubilation fortissimo, l’air pianissimo du raisonnement sceptique risque d’être passablement inaudible, ce qui ne nous empêchera pas de l’entonner.

Quoi de plus normal que les jeunes urbains diplômés des grandes villes espagnoles, dont le taux de chômage atteint, paraît-il, 43%, protestent dans la rue contre la situation qui leur est faite ? Qu’ils en rendent responsables leurs dirigeants, gauche et droite confondues, est leur droit le plus strict, et à leur place je chercherais le moyen le plus adéquat pour le leur faire comprendre. Camper Puerta del Sol ? Pourquoi pas ? Mais après ? Contraindre l’Allemagne à payer, par le biais de l’euro, les folies financières des pays du « Club Med » ? Hors de question. Nationaliser les banques, sources de tous les maux ? Cela ne diminuera pas d’un centime la dette publique, et le coup de l’URSS faisant un bras d’honneur à l’emprunt russe tsariste est un one shot historique.

Ce qui se dessine dans les mois qui viennent pour l’Espagne, ce n’est pas le rassemblement fusionnel dans l’euphorie d’une joyeuse indignation, mais la déstructuration sournoise d’une nation et d’un État inachevé. Plus que la déroute des socialistes et l’apparent triomphe de la droite aux dernières municipales, c’est la montée en puissance des partis régionalistes, voire séparatistes, dans les provinces riches : Pays basque et Catalogne. Et ceux-là ne rêvent que de laisser les « Indignados » de Madrid à leur camping sauvage sous tente quechua.[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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