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Ne demandez plus la lune !


Ne demandez plus la lune !
Quand on lui montre la Lune, l'imbécile ne regarde même plus le doigt.
Quand on lui montre la Lune, l'imbécile ne regarde même plus le doigt.
Quand on lui montre la Lune, l'imbécile ne regarde même plus le doigt.

Malgré les efforts déployés, le cœur n’y était pas. Le quarantième anniversaire de la mission Apollo 11 a été l’une de ces fêtes sans joie où l’enthousiasme des invités semble un peu forcé. Mais puisque nous sommes conviés à dresser un bilan, il faut dire que la nouvelle ère promise par le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune tarde à arriver. En réalité, et contrairement à ce qu’on a répété sur tous nos écrans, les images des astronautes sautillant sur notre unique satellite naturel annonçaient plutôt la fin d’un rêve qu’un nouveau commencement. « Buzz » Aldrin, qui pensait à l’époque qu’en 2009, on fêterait l’anniversaire du premier homme sur Mars, a exprimé un peu de cette déception. Mais elle a un soubassement plus profond : la fin du Progrès comme structure mentale dominante.

[access capability= »lire_inedits »]En posant son pied droit sur la Lune, Armstrong a fait tomber le rideau sur l’après-guerre, mais aussi sur plus d’un siècle de Progrès. Le premier homme sur la Lune et son concurrent, le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, incarnaient respectivement des systèmes. Leurs exploits étaient supposés prouver la supériorité d’un modèle de société et même d’une vision du monde porteuse d’un avenir meilleur. Leurs exploits apportaient la preuve de la véracité de ces modèles. Pour des centaines de millions de personnes, la science et ses retombées technologiques spectaculaires exposées à l’occasion de la « conquête de l’espace » annonçaient que l’homme allait bientôt se libérer de la nature en même temps que de ses propres misères.

La NASA de l’époque fut le fer de lance d’une hyper-nation qui, deux ou trois décennies durant, crut qu’elle allait résoudre tous les problèmes fondamentaux de l’humanité. Aucune société n’a jamais poussé aussi loin l’idée que la science et la technologie permettraient de vaincre la famine et la maladie et d’offrir à tous une société d’abondance. Bref, les missions Apollo marquent le début de la fin de l’Histoire.

Quatre décennies plus tard, on sait que cette croyance en un univers maîtrisé sous direction US relevait de la science-fiction. Le rêve de toute-puissance a tourné court. Tout comme la carrière politique du président alors fraîchement élu, Richard Nixon. Au moment où les trois astronautes alunissaient, les accords de Bretton-Woods, qui régissaient le système financier international et donnaient une position dominante aux Etats-Unis, étaient déjà sérieusement mis à mal. La crise énergétique et le chômage endémique signèrent, sur les deux rives de l’Atlantique, la fin des Trente Glorieuses et les conquêtes d’une courte génération de croissance exceptionnelle semblent aujourd’hui beaucoup moins « acquises » qu’annoncé.

Hollywood ne s’y est pas trompé : c’est la mission Apollo 13, marquée par un accident grave, qui a eu son grand film oscarisé, et non l’impeccable Apollo 11. Ce n’est pas le rêve réalisé mais un cauchemar de l’homme pris au piège par une technologie mal maîtrisée. Les mots du pilote d’Apollo 13, « Houston, we have a problem », ont recouvert la belle formule « One small step for (a) man, one giant leap for mankind ». Retour sur Terre à plus d’un titre.

On me dira à raison qu’il y a eu cet instant magique où tous les cœurs humains ont battu à l’unisson, où nous étions tous des frères terriens. Oui, mais on sait que le Terrien a la larme facile et l’émotion abondante : la mort d’une insignifiante princesse anglaise ou celle du roi de la pop, il lui en faut peu, désormais, pour penser la même chose que tout le monde en même temps. Pas besoin de dépenser des milliards et de mettre des vies humaines en péril pour donner l’antenne en direct à des correspondants spéciaux émus qui récitent des banalités aux quatre coins de notre planète ronde. « On a marché sur la Lune » et le moonwalk jacksonien ont la même puissance de feu cathodique, donc émotionnelle. L’important, ce n’est pas l’événement, c’est d’être ensemble – et séparés.

En juillet 1969, le monde insouciant, confiant dans l’avenir, vivait sans le savoir ses dernières heures. Derrière la porte, un autre monde était tapi, à qui allait revenir la mission pas marrante de régler les ardoises laissées par le précédent. Un monde où on travaillerait plus pour gagner moins.[/access]

Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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