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Malaise d’État


Malaise d’État

Plage

D’accord, il est normal voire rassurant que le pays entier s’inquiète du coup de pompe présidentiel. Théoriquement, c’est plutôt le deuxième corps du Roi qui incarne la France, mais ne soyons pas rabat-joie. Cette bruyante sollicitude pour le premier (corps) est peut-être le dernier avatar de notre conscience collective, ce qui nous reste du sentiment d’une histoire et d’un avenir partagés. Admettons donc que ce souci de la santé du monarque manifesté par le peuple témoigne de son intérêt pour celle de la France.

Évidemment, on en a trop fait. C’est toujour pareil, difficile de s’arrêter quand on tient un bon sujet. Et quand on est journaliste de garde estivale, qu’on vient de tenir une semaine sur la grippe A, qui tue sans tuer, et qu’on n’a pas d’autre guerre à se mettre sous la dent que celle qui oppose juilletistes et aoûtiens, je peux vous dire que le malaise de Sarkozy fait figure de source de Coca Zéro dans le désert. Même Causeur en cause, c’est dire. De plus, la santé des princes qui nous gouvernent est le sujet idéal pour ressasser l’une des rengaines médiatiques les plus éprouvées – « on vous cache tout, on vous dit rien ». Déterrer des cadavres dans tous les placards est devenu l’alpha et l’oméga de l’investigation – c’est une métaphore, bien sûr.

[access capability= »lire_inedits »]Après des dizaines de bulletins de santé et autres considérations sur le surmenage sarkozyen, alors que notre malade national partait se reposer sur les terres de Madame, certains de nos estimables confrères se sont aperçus que ça chauffait en Afghanistan, notamment pour nos soldats. Plusieurs jours après l’excellent Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret Défense (liberation.fr), Le Parisien a donc évoqué l’embuscade au cours de laquelle trois de nos soldats ont été blessés, dont deux grièvement – ce qui signifie en langage clair qu’ils sont très salement amochés. Et, soyons juste, lorsqu’un autre de nos hommes a finalement eu le bon goût de mourir le 1er août, il a eu droit à un sujet au JT, juste après le chassé-croisé précédemment cité et les accidents de la route afférents à ce dernier. Allez, notre piou-piou décédé a peut être eu droit à presque autant de temps que les vacanciers malchanceux – et, il faut le saluer, à la « une » du Parisien le lendemain.

Pas de quoi s’énerver. Les médias pensent comme nous, il n’y a là rien de nouveau. Et s’ils nous parlent plus d’embouteillages et de malaise vagal que d’Afghanistan, c’est parce qu’ils nous connaissent et savent ce qui est bon pour nous. C’est bien ce qui met mal à l’aise dans cette affaire de malaise d’État. Le jogging du président, le régime du président, le périnée du président : tout cela fabrique un monde commun plutôt cheap. Et pendant que nous nous passionnons pour Sarkozy, ses bobos et ses trucs beauté exactement comme pour ceux de Michael Jackson il y a un mois, la famille de notre soldat mort au combat pourrait légitimement se plaindre de notre ingratitude collective, comme pourraient se plaindre ceux qui ne sont pas morts mais devront apprendre à vivre autrement.

On a le droit de désapprouver l’engagement de la France en Afghanistan ; même quand on adhère à l’objectif, aussi vague soit-il, il est raisonnable de s’interroger sur la stratégie et les moyens mis en oeuvre. Reste que, là-bas, les soldats français se battent en notre nom et au nom de nos principes. Si l’idée de solidarité nationale a un sens, c’est d’abord envers eux. Ce n’est pas une question de morale mais de survie. Quand un pays ne sait plus honorer ceux qui risquent leur vie pour lui – sous ses couleurs –, il ne souffre pas d’un malaise vagal mais d’un sérieux vague à l’âme.[/access]

Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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