Migrants : la raison du plus faible


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Dans son dernier éditorial, « L’asile pour tous, une histoire de fous », Elisabeth Lévy a bien posé les termes du problème auquel est confrontée l’Union Européenne. La quadrature du cercle. Le tourment d’une société hédoniste et consommatrice, souvent désabusée à l’égard d’elle-même,  mais fascinant une bonne partie de la planète tant pour sa « douceur de vivre » – relative! – que pour les valeurs qu’elle est parvenue à promouvoir et incarner – parfois à son corps défendant – au terme d’une longue histoire de civilisation. Le tourment des « bons sentiments » confrontés à la gestion du réel. Le difficile discernement entre misère du monde et malheur du monde.

Mais que sert à cette argumentation de jouer à se faire peur (encore plus), en évoquant  les hordes de Nord-Coréens déferlant un jour  hors de leurs frontières pour fuir leur « régime ubuesque » ? Face au visage du malheur, qui est aussi le réel de notre monde ubuesque, que sert-il à la démonstration de brandir la dangereuse « chimère » de prétendre soustraire à leur sort les peuples soumis à des régimes tyranniques ? Comment conclure ce débat terrible d’un trait de plume –  qui certes aura peut-être tremblé – que « la véritable générosité, parfois, c’est de dire non » ?

Car je ne peux m’empêcher d’évoquer la dernière grande immigration illégale qu’a connue l’Europe. C’était il y a presque soixante-dix ans, un épisode méconnu de l’après-guerre, évoqué notamment à la fin du très beau livre – peut-être son plus beau livre – de Primo Levi, Maintenant ou jamais : nommé en hébreu Beri’ha, la fuite, il a concerné sans doute plus de deux cent mille Juifs d’Europe de l’Est, se heurtant à l’impossibilité de retourner dans leurs maisons et leurs villages, victimes par milliers d’horribles pogroms comme celui de Kielce en Pologne, en juillet 1946, ou cruellement retenus dans les anciens camps tel celui de Bergen-Belsen, attendant la commisération du monde pour trouver une terre d’asile. A travers monts et forêts, dans les intempéries et la neige des sommets alpins, à l’aide souvent de passeurs à qui il fallait distribuer les pots-de-vin, au travers des check-points des armées locales ou d’occupation, ils ont fui leurs terres de détresse dans une course éperdue vers les ports de France ou d’Italie, et s’entasser dans de misérables rafiots. Exodus. Que devait leur dire l’Europe exsangue, l’Europe détruite, toute occupée à panser ses plaies et à intégrer la nouvelle donne du Rideau de Fer?

Il y eut alors, comme cela avait été déjà le cas dans l’immédiat avant-guerre, beaucoup de gens pour dire que « la véritable générosité, parfois, c’est de dire non ». Je sais, mutatis mutandis, et comparaison n’est pas raison. Cela signifie-t-il pourtant qu’il nous faille accepter, justifier même, de nous laisser perdre et divaguer dans des histoires de diagonales de fous ?

 *Photo : Sipa. Numéro de reportage : AP21795876_000045.

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