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Mai 68 à l’Elysée: la commémoration de l’ordre établi


Mai 68 à l’Elysée: la commémoration de l’ordre établi
Elisabeth Lévy. Photo: Hannah Assouline

« Papa pue ». On ne sait si Emmanuel Macron connaît ce slogan de Mai 68 dont Patrick Buisson estime, à raison, qu’il est l’un des plus significatifs, mais le président qui ne rate pas une occasion de fustiger les forces du passé pourrait, vulgarité mise à part, en faire sa devise. Contrairement à de nombreux commentateurs, on ne s’offusquera pas que le chef de l’État envisage de commémorer (et non de célébrer, précise-t-on à l’Élysée) la glorieuse guerre contre le vieux monde. Quant aux soixante-huitards maintenus, comme Alain Krivine, on comprend qu’ils fassent grise mine : la bienveillance publique dont bénéficie leur glorieux mouvement de contestation prouve, si besoin était encore, que celui-ci n’a ébranlé l’ordre ancien que pour légitimer le nouveau. À vrai dire, on n’avait pas attendu Macron pour savoir que les « mutins de Panurge » avaient gagné et que les anarchistes, désormais couronnés, cumulaient les charmes de la rébellion et le confort de la domination.

Macron c’est Mai 68

Luc Ferry a donc tort de reprocher à Emmanuel Macron de vouloir « récupérer un mouvement qui fut d’abord antiétatique ». Notre jeune président n’est pas seulement un enfant de 68, il est celui qui réalise son programme caché, même et surtout au regard de ses acteurs directs. En effet, en scellant l’alliance, jusque-là honteuse, de la bourgeoisie et de la contestation, Macron a bouclé la boucle libérale-libertaire : le pouvoir ne se réclame plus du sabre et du goupillon, mais du CAC et de la PMA. De ce point de vue, le ralliement de Pierre Gattaz, le patron du Medef, à l’écriture inclusive est parfaitement emblématique.

L’État macronien peut donc aisément s’accommoder de l’héritage d’un printemps qui, prétendant refonder le collectif en faisant exploser les cadres traditionnels de l’existence, a abouti au sacre de l’individu. Il y a bien sûr des mauvais coucheurs qui persistent dans leur rejet de « la pensée 68 », mais c’est justement cette France « maussade » que le chef de l’État ne cesse de brocarder.

Mai 68 est archiconsensuel

En réalité, Mai 68 n’est pas trop polémique, comme on le dit, mais archiconsensuel : même la France ronchonne de la Manif pour tous est à l’unisson de l’individualisme contemporain. Élu du Finistère et candidat à la présidence LR, Maël de Calan se demande si on va célébrer « les étudiants gauchistes et leurs théories insensées, qui font aujourd’hui sourire, mais qui résonnaient autrement dans le contexte géopolitique et idéologique des années 1960 ». Il n’est pas sûr que les étudiants qui s’opposent aujourd’hui à la sélection à l’université avec la même énergie que leurs lointains ancêtres soient aussi amusants qu’eux, mais ils sont aussi insensés. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de leur céder sur toute la ligne.

Nul n’ignore que les bonnes universités ont instauré des procédures de sélection depuis longtemps et que les diplômes délivrés par les facs non sélectives n’ont guère de valeur. Visiblement terrifié par sa jeunesse, le Premier ministre a pourtant déclaré, fort mal à l’aise : « Dans la plupart des cas, l’université dira “oui” au choix du bachelier et dans certains cas, elle dira “oui, si”, c’est-à-dire si le candidat accepte un parcours adapté qui lui permette de réussir dans la filière qu’il a choisie. » Inutile de préciser que, pour les actuels dirigeants de l’increvable UNEF, il n’y a pas de « si » qui tienne. « L’étudiant n’aura pas le dernier mot. On lui imposera une remise à niveau qui pourra aller jusqu’à un an supplémentaire », s’insurge Lilâ Le Bas, présidente du syndicat. Le désir de l’étudiant est un ordre. Un diplôme, comme je veux, quand je veux ! Et tant pis, si, au bout du compte, la réalité ne tient pas ses promesses et que ce diplôme est dénué de toute valeur. Le spectacle d’une jeunesse considérant que la réussite lui est due et refusant le moindre effort pour parvenir à ce qu’elle veut est finalement bien plus navrant encore que la perspective, plutôt comique, d’un banquet d’anciens combattants réunis autour de Geismar et Cohn-Bendit.

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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